Publié le 1 Mar 2015 - 20:26
« LES VICTIMISATIONS SCOLAIRES AU SENEGAL A L’EPREUVE DE L’ANALYSE DE « GENRE »

L’étude qui décortique les violences sexuelles

 

Dans une étude « Les victimisations scolaires au Sénégal à l’épreuve de l’analyse de « genre » : De la construction socioculturelle et institutionnelle des violences sexuelles en Afrique subsaharienne », l’Enseignant-chercheur à l’UFR des Sciences de l’Education, de la Formation et du Sport à l’Université Gaston Berger de Saint-Louis, Mamadou Lamine Coulibaly, montre qu’il est temps d’aborder la question du viol sous plusieurs angles. Quand les enseignants et maîtres coraniques sont de plus en plus indexés dans des histoires de mœurs, le professeur crève l’abcès. ’’Nous avons toujours pensé les pressions sexuelles dans un sens, celui des adultes hommes sur les jeunes filles scolarisées. Or l’expression « violences sexuelles en milieu scolaire » devrait intégrer une nouvelle donne, à savoir les stratégies de séduction à la fois « intéressées » et « ludiques » des jeunes filles envers leurs professeurs ».

Une enseignante a dénoncé, dans son étude, ‘’le jeu pervers auquel on assiste actuellement avec des filles qui peuvent aller jusqu’à se lancer des défis et des paris sur leurs cibles éventuelles, dans le but de rendre l’enseignant dépendant d’elles et d’obtenir ce qu’elles veulent (…) et ça fausse beaucoup de choses ». Dans l’étude assez fournie du chercheur de l’université Gaston Berger, des professeurs vont jusqu’à affirmer la capacité de nuisance de la gent féminine et leur incapacité à résister.  Et, disent-ils : ‘’La femme est à l’origine de tous les malheurs chez les hommes, à cause de sa faculté et sa capacité de manipulation. Les élèves (sous-entendu les filles) savent très bien mettre en œuvre des stratégies de séduction pour avoir les notes qu’il faut et passer comme ça en classe supérieure (…) Les filles savent toucher la sensibilité des hommes et elles essaieront jusqu’à ce qu’elles touchent leur cible.’’

Mamadou Lamine Coulibaly pousse la société à ouvrir les yeux face à cette race de jeunes filles qui sont pour la plupart ‘’responsables de leurs propres victimisations’’. Il parle dès lors d’émergence « d’acteurs sociaux dotés de marges de manœuvre et capables de se déterminer dans des stratégies, voire des stratagèmes destinés à jouer le jeu des « transactions ». La séduction et la provocation délibérées deviennent « manipulation » et « oppression » pour ceux d’entre eux qui ne peuvent maîtriser leurs désirs envers leurs jeunes élèves ». Pour M Coulibaly, cet état de fait constitue « une menace pour un système éducatif qui fonctionne en dehors de toute déontologie et qui risque de voir se développer les pratiques de transactions sexuelles ». Des professeurs ont confié  « qu’il n’y a que la déontologie du professeur qui peut nous préserver d’une banalisation et d’une démystification de notre statut ».

Embêtés avant d’être abusés ?

Quand il aborde le sujet dans son ouvrage, le chercheur Mamadou Coulibaly  suggère d’opérer une rupture. Il faudrait, pour lui, raisonner en termes de ‘’ pressions sexuelles’’ plutôt que de recourir à la notion de ‘’violences sexuelles‘’. Il aborde, dans sa publication, la thématique des violences en milieu scolaire basées sur le genre, en s’appuyant sur un ensemble de ‘’données scolaires recueillies sur la base d’un questionnaire composé de trente sept items administré à 2 707 collégiens et lycéens répartis sur douze établissements du moyen (collège) et du secondaire (lycées)’’.

Ensuite, le chercheur explique qu’‘’en tout, 9,6% des élèves des lycéens et collégiens sénégalais déclarent avoir été « embêtés pour des histoires sexuelles ». Les situations où les élèves disent qu’ils sont « embêtés pour des histoires sexuelles » correspondent souvent  à des pratiques ou des attitudes de séduction ‘’forcée’’. Autre explication : ‘’Quand l’élève sent qu’un adulte le ou la regarde d’une manière significative et suggestive. Entrent également dans cette catégorie le chantage direct ou indirect aux notes qui vont avec les demandes de liaisons contraintes, les déclarations explicites d’amour, sans oublier les brimades autour des relations amoureuses venant d’autres camarades. Ce sont des situations que les élèves décrivent spontanément, même si nous n’avons recueilli aucun témoignage de victime avérée d’agression sexuelle physique’’.

L’étude mentionne aussi que ‘’si les jeunes filles sont généralement les principales victimes des pressions sexuelles, c’est-à-dire dans 62% des cas, l’enquête au Sénégal révèle que les garçons l’intègrent également comme pouvant constituer une partie intégrante de leur expérience scolaire : ils sont en effet 3,1 % à affirmer avoir été embêtés pour des histoires sexuelles’’. Autre remarque : ‘’cette enquête montre par ailleurs que les adultes des établissements (surveillants et professeurs) ne constituent pas les seuls auteurs, loin s’en faut.

Et contrairement à une idée reçue, les professeurs auteurs ne représentent que 11% des occurrences même si la prise en compte des autres adultes des établissements fait passer le pourcentage des pressions adultes globales à près de 20% de l’ensemble, soit un cas sur cinq. Autre fait marquant révélé par l’enquête : les pressions sexuelles sont assez fréquemment le fait d’adultes hors des établissements scolaires, dans 27% des cas (20,6% quand c’est un garçon qui est victime et 30% quand c’est une fille)’’.

Des témoignages d’un enseignant cité dans son ouvrage sont édifiants. Pour l’enseignant : ‘’quand une fille tente de séduire un professeur, c’est une prémonition de quelque chose qui arrive, une chance, une ouverture ou une promotion (…) et c’est pourquoi quand une fille me fait les yeux doux, je regarde toujours à travers elle pour voir ce qui va m’arriver de merveilleux et je jubile à cette occasion, car c’est vraiment une situation prémonitoire de quelque chose d’intéressant pour la personne’’.

Pour le professeur, les causes de ces pressions sexuelles qui débouchent souvent sur un viol, sont à mettre sur le compte ‘’d’un prolongement de l’organisation sociale dans l’institution scolaire et comme le résultat de la prégnance des représentations sociales qui la sous-tendent’’. En termes plus simples, ‘’de par leur statut dans les sociétés africaines, les femmes constituent un « capital » matériel et symbolique pouvant participer au prestige et au pouvoir des hommes qui les conquièrent’’.

 

 

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