Publié le 16 Oct 2020 - 19:28
ÉQUIPE DE FRANCE

Mbappé, la drôle d’évolution

 

Buteur en Croatie, Kylian Mbappé a de nouveau passé sa nuit à décrocher dans tous les sens et à chercher les clés du système français. Une attitude qui pose la question de son évolution.

 

Il y a quelques mois encore, lorsqu'il nous était demandé de résumer le profil de Kylian Mbappé, trois rencontres pouvaient être déposées sur la table : le Dortmund-Monaco d’avril 2017, le France-Argentine du Mondial 2018 et le Bruges-PSG du 22 octobre 2019. Ce dernier match est peut-être d’ailleurs la plus belle pièce de la collection de l’attaquant du PSG : débarqué à la 52e minute sur la pelouse du Jan-Breydel, Mbappé en était ressorti quarante minutes plus tard avec un triplé et une passe décisive sous le bras, alors que Bruges regardait les Parisiens dans les yeux jusqu’à son entrée en jeu. Sans trembler, le Français avait alors retourné la table, aidé ses potes à déformer un bloc défensif adverse jusqu’alors impeccable et surtout offert une solution pour casser le pressing belge grâce à un cocktail de feintes de corps, de crochets courts et de déplacements rapides subtilement pensés (prise de distance avec l’adversaire direct, course déclenchée au moment parfait, excellence dans les courses diagonales...). À Bruges, Kylian Mbappé avait 20 ans et n’avait qu’un objectif : devenir le meilleur dans son registre.

Puis, les mois ont passé et ce début de saison est arrivé, une drôle de période que Didier Deschamps a décidé de transformer en laboratoire. En septembre, le sélectionneur des Bleus avait testé le 3-5-2. En octobre, c’était le tour du 4-4-2 losange, système pensé pour Antoine Griezmann, mais aussi pour Mbappé, que Deschamps cherche en permanence à placer dans les meilleures conditions possibles. Mais quelque chose a changé chez Kylian Mbappé, comme si, soudainement, un match de foot était devenu dans sa tête un game 5 de finale NBA, un univers unique où les individualités se répondent dans des rencontres sans couture. Ainsi, que ce soit face au Portugal dimanche ou en Croatie mercredi, on a trouvé sur scène un Mbappé refusant de se cantonner à son rôle (et donc à son couloir et à la prise de profondeur) et qui est très souvent venu grignoter celui des autres.

Le 4-4-2 losange demande pourtant autre chose au joueur du PSG : il lui ordonne, sans ballon, d’ouvrir des espaces via ses appels et d’offrir un terrain d’expression à Antoine Griezmann, placé en 10. Face au Portugal, Kylian Mbappé n’a quasiment fait que l’inverse et est souvent venu demander le ballon dans les pieds alors que son associé offensif, Olivier Giroud, conservait une position centrale. Qui allait alors faire les appels pour éviter l’embouteillage ? Personne, alors que le Parisien n’a, en plus, pas réussi le moindre dribble de la soirée.

Le rêve de devenir un LeBron James en crampons ?

Et contre la Croatie, alors ? Cette fois, Giroud était sur le banc et Deschamps avait décidé de filer une chance à Anthony Martial. Conséquence ? Aucune, ou presque, puisque Mbappé a de nouveau passé sa nuit à décrocher dans tous les sens pour récupérer des ballons dans les pieds, alors que personne ne plongeait dans son dos. Et, la seule fois qu’un joueur l’a fait (Martial), au bout, le numéro 10 des Bleus a foiré son intérieur du pied. Mercredi soir, Kylian Mbappé a touché douze ballons de plus qu’Antoine Griezmann et a voulu prendre les clés du jeu pour mettre des étincelles (seul Pogba a réussi à le faire lors de son ouverture pour Digne). Problème : en faisant ça, il a surtout phagocyté l’animation offensive française, s’est souvent retrouvé à trente mètres du but croate – si ce n’est sur la magnifique action du second but tricolore – et a semblé toujours vouloir être à la création des mouvements plus qu’au cœur des mouvements, soit là où il excelle. Pire : l’attaquant du PSG n’a quasiment fait aucun appel en profondeur et a foiré les quelques situations de transition (notamment celle où Rabiot lui fait une superbe ouverture entre les deux centraux croates dans le premier quart d’heure) qui devaient le conduire en face à face avec Livaković.

Cette attitude dans le jeu de Mbappé n’est pas nouvelle et pose une question : vers quoi veut-il évoluer ? Il est normal qu’un sportif de haut niveau souhaite étendre son arsenal, qu’il cherche à boucher les trous de sa palette et qu’il ait pour ambition de devenir un athlète toujours plus complet. Seul souci, cela ne doit pas avoir pour conséquence une perte d’influence dans l’expression collective. Au Mondial 2018 et avant, Kylian Mbappé était un tueur dans la transition et possédait une intelligence dans le déplacement presque unique. Après, on l’imaginait grandir en progressant en attaque placée et mûrir dans les petits espaces, mais pas en cherchant à s’éloigner des trente derniers mètres.

Mbappé est un attaquant, un joueur de surface, mais semble aussi se rêver en meneur de jeu, en un Neymar à la Française ou un LeBron James en crampons, quitte à marcher sur les zones d’action de ses coéquipiers, ce qui creuse d’énormes trous tactiques dans une animation française qui manque déjà cruellement de folie. Il faut, de plus, ajouter à ça l’impression que celui qui facture quand même cinq buts et quatre passes décisives toutes compétitions confondues depuis le début de saison tente moins de choses techniquement, si ce n’est des passements de jambes à gogo, casse parfois le rythme collectif et s’éparpille. Être un monstre absolu dans son registre ou chercher à devenir un joueur total au risque de se perdre dans son évolution, voilà l’enjeu du moment : un enjeu excitant, mais à régler rapidement. On n’a pas toujours un but pour donner de la couleur à des soirées grises.

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