Publié le 19 Apr 2019 - 01:37
‘’DJINNE MAIMOUNA, CRISES PSYCHOSOCIALES A L’ECOLE

Le psychologue Babacar Diop perce le mystère

 

‘’Djinné Maïmouna, crises psychosociales et hystériformes dans l’école sénégalaise, approche psychosociologique’’ est le titre de l’ouvrage que vient de publier le docteur en sociologie et psychologue conseiller Babacar Diop. Il cherche à donner une explication rationnelle aux crises psychosociales des élèves. La cérémonie de dédicace a eu lieu, hier, au lycée Kennedy.

 

‘’Djinn’’ vient du mot arabe ‘’Jihann’’ qui signifie caché, invisible. L’auteur l’associe au prénom Maïmouna, en raison des multiples mésaventures entourant cet être surnaturel qui affecte le plus souvent les jeunes filles. Le titre et la photo de couverture du livre pourraient laisser penser qu’il s’agit d’une énième démonstration visant à pérenniser dans les esprits l’existence d’êtres surnaturels prompts à perturber la quiétude des élèves sénégalais. Mais non, car ici, l’auteur s’attèle, par une méthode rigoureuse hautement saluée par ses pairs, à déconstruire le mythe entourant les crises d’hystérie affectant bon nombre d’apprenants.

Si les chefs religieux affirment que l’islam reconnait l’existence des djinns, dans cette œuvre de 200 pages subdivisée en six chapitres, Babacar Diop s’évertue à expliquer de manière rationnelle les causes des nombreuses crises psychosociales des élèves, particulièrement des filles dans les lycées et collèges du Sénégal. Partant de l’origine même des crises d’hystérie dans l’Antiquité grecque, il présente l’ampleur de la problématique dans les lycées et collèges, non sans répertorier les causes après des enquêtes menées dans différents établissements du pays.

Le psychologue conseiller a, par ailleurs, montré les différentes formes de manifestation, non sans proposer des solutions de prise en charge à l’ensemble du système éducatif.

Solutions de prise en charge

 Déterminé à aller au-delà des explications magico-religieuses de ce phénomène longtemps véhiculées et d’éclairer la lanterne des Sénégalais, Babacar Diop propose une approche scientifique. La lecture de son livre ouvre des pistes de réponses sociologiques, psychologiques et biologiques. C’est sans doute pour cette raison qu’il invite à rire et à sourire face à cette notion de djinn. ‘’Souvent, dans la société sénégalaise, lorsqu’un phénomène parait incompréhensible, l’homo senegalensis a tendance à se référer au djinn qui est un héritage de l’islam. Cependant, de nos enquêtes, nous avons constaté que ces crises s’expliquent par plusieurs phobies. La phobie des devoirs, de l’échec, des examens. Ce sont des craintes irrationnelles, angoissantes. Nous avons aussi montré qu’elles s’expliquent par les représentations traumatisantes qu’on observe dans la société sénégalaise. En outre, la faim fait partie des causes, car quand on a faim, des réactions biochimiques se déclenchent et peuvent conduire à ces crises. Elles ont aussi un lien avec la pauvreté des familles des victimes’’, fait-il savoir.

Selon lui, le problème est d’actualité et plusieurs conséquences en découlent : les troubles de mémoire, de la concentration, de l’humeur, une stigmatisation, une discrimination, une auto-stigmatisation, des blessures psychosomatiques et la peur de la solitude.

Pourquoi les jeunes filles sont les plus exposées

Les filles sont caractérisées par une fragilité émotionnelle, psychophysiologique, un fait plus accentué à l’adolescence. En effet, ce moment fait de changements physiques arrive avec son lot de bouleversements psychologiques et émotionnels, installant une vulnérabilité de l’adolescente prompte à craquer à tout moment. Par ailleurs, l’école sénégalaise, dans sa structuration, semble enfoncer le clou. Car enseignants et personnel médical s’accordent pour dire qu’un pic de ces crises est noté en période d’évaluation.

Ainsi, en plus de la surcharge scolaire, les élèves font face au quotidien à une pression familiale et communautaire quant à leurs performances scolaires. Bref, ils sont attendus de pied ferme. Et le directeur du Centre national d’orientation, Macodou Dièye, de dire : ‘’Il faut être témoin de ces crises pour en mesurer la gravité. Des élèves tombant subitement animés d’une énergie incontrôlable… Je pense qu’il est important de se poser les bonnes questions. Est-ce que ce système éducatif est fait pour nous ? Est-il adapté à nos réalités ? Sommes-nous à l’aise avec ce système éducatif où, parfois, nous apprenons des choses lourdes et statiques datant de l’Antiquité, n’ayant aucun rapport avec ce que vivent nos élèves ? Je pense que, souvent, nous demandons aux élèves plus qu’ils n’en peuvent. Je félicite Babacar pour son courage, car il a touché un point jusque-là tabou, pourtant bien réel dans nos établissements, en proposant des solutions pertinentes. Expliquer, c’est comprendre et comprendre, c’est aider le système éducatif’’.

Les responsabilités sont partagées

 Pour d’autres, ‘’Djinné Maïmouna’’ met chaque acteur devant ses responsabilités. Les enseignants sont invités à revoir leur pédagogie, la gestion d’une classe en fonction des différences des uns et des autres, afin d’éviter toute frustration. Les parents sont interpellés quant à la forte pression qu’ils mettent sur leurs enfants qui, souvent, sont en perte de repères.

Toutefois, une autre cause de ces crises, souvent banalisées, est aujourd’hui source de déséquilibre physiologique dont l’hypoglycémie ou encore la baisse du glucose sanguin source d’énergie. Il se trouve que la sous-alimentation cause bien de dégâts. ‘’Les enfants de Dakar ne prennent pas le petit-déjeuner. A cause des embouteillages, l’enfant quitte tôt la maison, le ventre vide. Chaque jour, des filles tombent et le personnel médical est souvent submergé. Vous les voyez prendre une tasse de café devant le portail sans aucun accompagnement. Elles ne mangent rien jusqu’à la fin des cours qui vont jusqu’à 17 h et cela les affaiblit complètement. J’interpelle vivement les parents sur ce point. Le petit-déjeuner est un repas essentiel’’, martèle la proviseure du lycée John F. Kennedy.

Babacar Diop peut se féliciter d’avoir apporté des réponses et des solutions à plusieurs chefs d’établissement présents à cette cérémonie de dédicace confrontés à ce phénomène. Ce sont, entre autres, l’implication du psychologue conseiller dans la prévention des crises d’hystérie, dans tous les établissements du pays, la présence active des assistantes sociales et le retour des cantines scolaires. Ce qui fait dire à Idrissa Diop, enseignant chercheur à l’Ucad, que ‘’dans nos écoles, le psychologue est sous-employé. Il ne sert qu’à orienter les élèves. Pourtant, il a été formé pour agir en faveur du bien-être des élèves. Ce dernier est capable d’accompagner les enfants en difficulté qui, très souvent, ont une personnalité fragile. Evitons de frapper nos enfants, parce que quand vous le faites, vous lui dites qu’il n’est rien, qu’il ne vaut rien. Bref, vous le rabaissez sérieusement’’.  

Cependant, certains pensent que la consommation de drogue et d’alcool en milieu scolaire n’est pas à exclure. L’auteur a le mérite de s’être lancé sur un terrain vierge et ouvre ainsi des pistes de réflexion sur un sujet dont l’étude est loin d’être épuisée. La Coalition des organisations  en synergie pour la défense de l'éducation publique (Cosydep), selon son coordonnateur Cheikh Mbow, se réjouit d’avoir enfin la pièce manquante du puzzle dans la gestion du système éducatif sénégalais. Il entend partager les informations de l’auteur à l’échelle nationale, œuvrer pour l’accessibilité du livre aux acteurs de l’éducation nationale et enfin faire un plaidoyer dans le but d’alerter l’opinion et d’éradiquer le phénomène.

EMMANUELLA MARAME FAYE

 

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