Publié le 4 Jul 2015 - 12:30
‘’EMIGRATION CLANDESTINE’’

Macky Sall : ‘’L’Europe ne peut pas prendre les élites et rejeter le reste’’

 

C’est juste après le lancement de la 15ème édition des Rencontres économiques d’Aix-en-Provence que le Président Macky Sall a fait face à la presse française hier. Le centre d’intérêt de ce forum étant cette année articulé autour du travail, la  question de l’immigration dite clandestine s’est naturellement invitée dans les débats. Aussi la question lui a-t-il été posée lors de son face-à-face d’une trentaine de minutes avec la presse. Et bien d’autres sujets comme les options prises sur l’Energie avec l’implication de Jean Louis Borloo, le Programme Sénégal émergent (PSE), l’environnement des affaires au Sénégal, après trois ans au pouvoir . Des extraits.

 

Parlez-nous un peu de votre Programme baptisé ‘’Programme Sénégal émergent’’ sur lequel vous comptez appuyer votre politique !

Je vous remercie de m’avoir invité à cette grande rencontre, la 15ème édition des rencontres économiques d’Aix-en-Provence, articulée autour de la problématique de l’Emploi qui sert aussi à donner une réponse structurelle au sous-emploi des jeunes qui sont justement au centre de la stratégie du Plan Sénégal Emergent. Si donc je devais répondre à cette question, je dirais que le PSE est structuré autour de trois axes majeurs. L’axe principal consiste à renouveler le système de production à tous les niveaux. L’Agriculture, les Infrastructures etc. pour avoir une croissance durable et réaliser l’émergence en 2035. Un deuxième axe est réservé au développement humain. C’est un aspect important pour le Développement de l’Education, de la Santé sans lesquels on ne peut rien construire de durable. Il y a un troisième axe sans lequel on ne peut pas aller à l’émergence. Il s’agit de la Bonne gouvernance, l’Etat de droit, la démocratie.

En gros, on peut dire que le Plan Sénégal émergent est une vision économique qui pose le renouveau dans le système de production. Nous avons un système qui est encore archaïque. Si je prends par exemple un secteur vital comme l’Agriculture,  le niveau d’irrigation est resté très faible, en dessous de 10%. Donc il faut moderniser tout le système depuis le système d’irrigation jusqu’aux semences en passant par la mécanisation. Nous avons mis l’accent sur des secteurs clefs comme l’autosuffisance en denrées, plus précisément en céréales.

Il nous faut moderniser nos infrastructures de communication. Pour ce qui est du niveau des échanges, vous avez environ 11% entre pays africains. En Europe, c’est au-delà de 60%. Ce commerce suppose la présence de l’infrastructure (routes, chemins de fer etc). Un autre volet important du Plan, c’est la maîtrise de l’Energie, sans laquelle on ne peut rien faire de durable. Tout cela nécessite bien une Gouvernance sérieuse, rigoureuse et crédible. Sans état de droit, sans démocratie, quelles que soient les ressources qui seront mises en place, cela ne servira à rien. C’est donc ce condensé qui va nous permettre d’aller vers des taux de croissance de 7% et plus.

Quelles sont les forces et faiblesses de ce plan ? 

Nous avons des  forces, mais aussi nous avons des faiblesses. Nous sommes par exemple dépendants de la variation des produits pétroliers. Il y a du gaz qui a été découvert, mais c’est encore récent. Il y a aussi les fluctuations du dollar. Mais nous sommes une démocratie très jeune et volontariste et nous comptons transformer nos faiblesses en force.

L’une des faiblesses que nous voulons transformer en force, c’est d’abord notre démocratie. C’est toute l’Afrique qui montre ce potentiel de jeunesse et cette énergie émergente. Donc, avec un peu de formation,  nous pouvons changer les choses. Nous avons véritablement misé sur le travail autour de questions qui nous préoccupent comme l’alimentation. Il y a aussi les questions liées aux changements climatiques qui attaquent directement notre production agricole. Il nous faudra donc moderniser notre agriculture et cette modernisation va régler en partie la  question de l’emploi. Tout est lié.

Y a-t-il une politique pour rassurer les investisseurs étrangers ? 

Pour attirer les investisseurs, il faut améliorer le climat des affaires. Sur ce plan, le Sénégal a réalisé de bons progrès en trois ans. Nous sommes bien classés dans les indices, que ce soit le Doing business. Nous faisons aujourd’hui partie des cinq meilleurs pays réformateurs du Continent africain. Que ce soit Standard and poor et Transparency international, nous sommes partout bien notés. Il faut maintenant travailler encore mieux, même si les résultats commencent à être visibles.

Comment observez-vous le phénomène migratoire tel qu’il se déploie surtout en Europe ?

Le phénomène migratoire est aussi vieux que les sociétés humaines. C’est vrai que c’est amplifié depuis quelque temps par l’actualité de ce qui se passe dans la Méditerranée qui est devenue un cimetière de migrants illégaux. Evidemment, cela nous interpelle tous dans nos consciences, en tant que pays émetteurs et pays d’accueil.

‘’Aujourd’hui je pense que nous avons une responsabilité commune pour gérer ce problème avec responsabilité, avec dignité. L’Afrique a des migrants qui sont d’Europe, qui sont tiraillés. Lorsque je prends un joueur comme Mamadou Sakho et tous ces joueurs qui alimentent par exemple la Ligue européenne de football, les gens ne posent pas ce problème. Donc, dans une émigration, il faut prendre le positif et le négatif.  On ne peut pas faire une émigration choisie où on ne prend que les élites africaines et le reste, on les rejette à travers des mécanismes de surveillance. Il faut une politique de développement. Il faut aider l’Afrique. L’Europe a le devoir d’accompagner l’Afrique dans le développement de l’emploi parce qu’historiquement, ce devoir s’impose à l’Europe. Aujourd’hui, l’Afrique a besoin de capitaux. Il faut une solidarité internationale. Après la guerre, l’Europe a bénéficié de ces soutiens.

Parmi les raisons avancées pour expliquer l’immigration, il y a le fait que le Sénégal et l’Afrique d’une façon générale sont victimes d’évasion fiscale…

Si effectivement toutes les compagnies qui opèrent en Afrique payaient correctement leurs impôts (…), je pense que nous n’aurions pas besoin de voir des Africains quitter le Continent. L’Afrique a par ailleurs des ressources qui auraient pu être mobilisées dans la création d’emplois et le développement du continent. Il faudrait que ces ressources naturelles africaines soient mieux rémunérées. Depuis longtemps, on entend parler de la détérioration des termes de l’échange.  Les prix des céréales sont, par exemple, fixés de manière inéquitable.

Mais ce ne sont pas là les seules raisons qui expliquent les problèmes.  Je dois dire aussi que la guerre et le terrorisme sont des terreaux fertiles qui facilitent le développement de l’émigration. Il faut donc travailler à assurer une plus grande stabilité et ce problème, nous le poserons lors de la prochaine rencontre avec les Européens sur le sujet de l’émigration.

Je pense que pour régler le problème, il faut mettre en œuvre une politique de développement.

L’Economie numérique constitue-t-elle une opportunité d’aller de l’avant plus rapidement ?

Avec l’économie numérique, l’Afrique va brûler des étapes. Nous n’avons pas besoin de refaire tout le chemin du développement industriel. Pour peu qu’on investisse dans la formation adaptée. Ce qui explique que de plus en plus, des pays comme le Sénégal accueillent des centres d’appels et des centres de productions et de développement de logiciels. Nous avons en ce moment un projet avec Atos de Thierry Breton.  Nous avons en perspective le recrutement de 2 000 ingénieurs en trois ans. Tous ceux qui sortent des écoles d’ingénieurs en matière d’Informatique etc., seront recrutés par ce projet (…) Et surtout nous serons présents dans la bataille des contenus. Nous ne pouvons pas être que des consommateurs. Dans cette perspective, l’Afrique a des potentialités.

On parle de plus en plus de Jean Louis Borloo qui a créé une agence pour un immense projet d’électricité du Continent africain. Dans quelle mesure vous pensez que ce plan va réussir ? Comment voyez-vous l’avenir de ce projet ?

C’est un projet novateur. Nous avons soutenu Jean Louis Borloo lors du dernier sommet de l’Union africaine. Nous avons pu adopter la mise en place d’une agence africaine qui s’occupera exclusivement de l’électrification du Continent. Cette question est naturellement liée au climat, des fonds verts et des fonds d’adaptation qu’il faut  mettre à la disposition du Continent mais principalement focalisé sur le développement de l’électricité par différentes sources. L’une des sources, c’est le soleil, mais aussi le gaz naturel etc. Là, ce sont les pays pollueurs qui devront faire l’effort de  solidarité pour alimenter ce fonds pour l’électrification du continent.

Pourtant le rappeur Alioune Badara ‘’Thiam’’ Akon a un projet. Il est sénégalais, mais on ne sent pas de la solidarité derrière son projet qui se base sur le solaire ?

Akon a beaucoup d’ambitions pour l’Afrique. Ce dont il s’agit ici, c’est d’avoir un seul instrument pour capter les financements. Déjà des pays se sont engagés. Donc il ne s’agit pas d’une opposition. Sans doute si les choses se passent bien et que les financements se présentent, cela pourrait même faciliter les projets d’Akon. Donc cela peut bien être complémentaire.

 

RASSEMBLES PAR MAMOUDOU WANE

 

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