Publié le 9 Nov 2017 - 18:58
123ème EDITION DU GRAND MAGAL DE TOUBA

Sur les routes de la mort

 

Apocalypse ! C’était le titre de notre précédente édition, parue mardi dernier. On a beau prier, multiplier les appels à la prudence, les dieux de la mort semblent avoir jeté leur dévolu sur les routes qui mènent vers la cité religieuse de Touba. Ils ont encore frappé fort. 

 

Chaos ! C’est le mot qui sied le mieux pour camper le triste décor sur la route de Touba, entre Ngaye Mékhé et la cité religieuse, en ce mardi, veille de la 123e édition du Grand Magal de Cheikh Ahmadou Bamba. Encore des accidents. Du sang, des larmes, de la tristesse et beaucoup de désolation. D’abord à la sortie de Thilmakha. Au bord de la route sont jonchés des corps inertes : un mort et trois blessés, dont deux grièvement. Ils sont 4 jeunes à la fleur de l’âge. Parmi eux, une fille appelée Ngoné Sène. La vingtaine, elle vient de Pikine. Sur ses jambes déchirées coule le liquide rouge. Avec ses ‘’amis’’, ils voulaient rallier la ville sainte via motos ‘’Jakarta’’. Hélas ! Le destin leur a réservé un sort tragique.

‘’Nous formions un convoi. Soudain, Mbaye est tombé. Il est décédé sur le coup’’, dit un témoin avec des trémolos dans sa voix. Reprenant son souffle, il poursuit son récit macabre, balayant d’un revers de main une autre version selon laquelle le ‘’Jakartaman’’, ressortissant de Thiès, aurait été fauché par un chauffeur de bus qui n’a même pas daigné s’arrêter. ‘’La chute, reprend-il avec mélancolie, a surpris tous ses poursuivants immédiats qui l’ont rejoint à terre. Ceux qui affirment le contraire racontent des histoires’’, persiste-t-il amer, certifiant qu’il était lui-même du peloton et a vu se dérouler toute la scène.

L’horloge affiche 20h15. L’atmosphère sur les lieux est consternante. A la douleur et aux grimaces des blessés gisant dans leur sang se mêlent les cris et pleurs des âmes sensibles, notamment de gros gaillards qui ne peuvent se contenir devant le corps raide, la tête fracassée du Thiessois, à jamais disparu. Certains pleurent à chaudes larmes. ‘’Pourquoi sanglotent-ils ? Et lui, pourquoi ne bouge-t-il pas ?’’ interroge un des blessés, hébété et souffrant. ‘’Ce n’est rien. Il a juste mal à la tête…’’, tentent de rassurer les secouristes de circonstance.

Très vite, la communauté des ‘’Jakartamen’’, très solidaires dans la dure épreuve, colonisent cette portion de la route Mékhé-Touba, prisée par les automobilistes du fait de la rareté, voire l’inexistence des embouteillages. Pour les conducteurs des motos ‘’Jakarta’’, cette voie est empruntée, surtout pour échapper à la traque des forces de l’ordre sur la route de Diourbel. Sur place, commentaires et témoignages vont bon train. Tandis que les uns regrettent le voyage en convoi : ‘’si quelqu’un tombe, tout le monde tombe’’ ; d’autres demandent tout simplement une ‘’application rigoureuse’’ de l’interdiction faite aux motos ‘’Jakarta’’ de rejoindre la capitale du Mouridisme.

‘’Mbaye Taff’’, le défunt, avait pour spécialité la décoration des motos

Pour les Thiessois, les préoccupations sont tout autres. On se rappelle déjà la victime qui, quelques instants plus tôt, respirait la forme. Essuyant même les plaisanteries de ses amis. Atterré, Ibrahima Mboup, ‘Jakartaman’’, se remémore tout en larmes : ‘’Il vient juste de me dépasser alors que j’étais en escale à Ngaye Mékhé. Je le taquinais en lui disant ‘’kaay taffal ma’’ (Viens me décorer ma moto)’’. Mbaye répondait : ‘’Attends-moi, j’arrive’’, rapporte Ibrahima qui regrette : ‘’C’est vraiment affligeant. Cette moto, il l’a étrennée il n’y a même pas dix jours’’. Surnommé ‘’Mbaye Taff’’, le défunt avait pour spécialité la décoration des motos. Selon ses amis, il était un passionné de deux roues.

Les minutes s’égrènent. Les secours se font toujours désirer. Quelques instants après, un homme annonce l’arrivée des policiers, tous les ‘’Jakartamen’’ courent vers leurs motos et reprennent le trajet pour échapper à la fourrière. En effet, les autorités, sur demande du Comité d’organisation du Magal, avaient lancé ‘’l’opération zéro Jakarta à Touba’’. Le Directeur général de la Police nationale disait à ce propos : ‘’Les mesures nécessaires seront prises. Les motos des récalcitrants seront immobilisées et mises en fourrière, en application de l'arrêté d'interdiction de circuler pris par le ministre des Infrastructures et des Transports terrestres".

Lieutenant Yatma Dièye : ‘’Beaucoup d’accidents ont impliqué des conducteurs de Jakarta’’

Pour déjouer la vigilance policière, les ‘’deux roues’’ ont ainsi privilégié les voies de contournement. Certains d’entre eux ont payé un lourd tribut à cause de leur témérité. Le lieutenant Yatma Dièye du Groupement national des sapeurs-pompiers confirme : ‘’Nous avons noté beaucoup d’accidents ayant impliqué des conducteurs de Jakarta. Parmi eux, quatre ont perdu la vie’’.

Pendant que les ‘’indésirables’’ prenaient la poudre d’escampette, Ngoné, Cheikh et l’autre victime qu’on n’a pu identifier continuent de souffrir le martyre, toujours couchés à même le sol. Jusqu’à notre départ à 20h 53mn, les Sapeurs-pompiers n’étaient pas arrivés. A leur décharge, les postes sont un peu éloignés du lieu de l’accident. Déthié Niang, très en colère, dénonce : ‘’Ce n’est pas normal qu’il n’y ait aucune brigade dans les parages. Jusqu’à Darou Mouhty, il n’y a aucune brigade, alors que cette ville religieuse polarise des milliers d’habitants. Je me demande où ils (les gouvernants) mettent nos milliards.’’

Attendus vers Thilmakha, les Sapeurs-pompiers ont du pain sur la planche. En effet, sur la même route, au bout d’environ une heure de route, nous nous retrouvons devant un autre drame. Une voiture ‘’Ndiaga Ndiaye’’ de 35 places, allant à Touba, s’est renversée. Aucune perte en vies humaines, au moment de notre passage, mais là aussi, le spectacle est désolant. Plusieurs blessés sont enregistrés. Le sang giclant, les larmes coulant des corps des nombreuses victimes étalées sur les herbes sauvages, dans cette forêt à la sortie de Darou Mouhty. La plupart des victimes sont des personnes âgées et des femmes.

L’accident, selon Dame Sall, est causé par un véhicule qui était remorqué, alors qu’il n’avait aucune lumière. Bara Fall, venant de Ndame, semble fatigué. Le visage ensanglanté, il parvient difficilement à balbutier ses nom et prénom, ainsi que le numéro de téléphone de son grand frère résidant à Touba. Comme à Thilmakha, ici également, les victimes se verront obligés de prendre leur mal en patience. Pour combien de temps encore ? Telle était l’interrogation restée sans réponse jusqu’à notre départ à 22h 30.

BILAN DES ACCIDENTS DE LA CIRCULATION

Les chiffres de l’horreur

Pour cette édition 2017 du Grand Magal de Touba, les soldats du feu n’ont pas chômé. Malgré les contraintes, ils ont pu être partout pour sauver des vies. En tout, ils ont effectué, sur tous les axes menant à Touba, 109 interventions, informe le lieutenant Yatma Dièye. 494 victimes ont été dénombrées. 453 ont pu être assistées. 44 autres, dont quatre personnes à bord de motos Jakarta, ont été emportées par la grande faucheuse.

Si l’axe Diourbel-Mbacké vient en tête en termes de nombre d’accidents, il est à signaler qu’aucune perte en vie humaine n’y a été enregistrée. Avec le drame de Sagatta, la route Kébémer-Darou Mouhty remporte la palme cette année, avec 26 décès. Quatre morts ont été notés à l’intérieur de Touba, trois sur la route Ngaye Mékhé-Darou Mouhty, autant entre Bambey et Diourbel. Le reste sur différentes routes à travers le territoire national. 

MOR AMAR (ENVOYE SPECIAL A TOUBA)