Publié le 2 Oct 2019 - 21:19
31e CONGRES DES NOTAIRES D’AFRIQUE

La grand-messe des notaires

 

Contrats de mariage, successions, privilèges de juridiction, immunité dans l’exercice de leurs fonctions, les notaires étalent leurs doléances et restent évasifs sur la demande des étudiants et autres notaires stagiaires à plus d’ouverture de la profession.

 

Si la volonté des notaires est suivie par le gouvernement, à l’avenir, pour se marier, il ne faudrait plus se rendre à la mairie, devant l’officier d’état civil. Il faudrait plutôt aller chez le notaire pour établir un contrat de mariage. C’est, en tout cas, une des volontés affirmées par la présidente de la Chambre des notaires, Aïssatou Sow, hier, au 31e Congrès des notaires d’Afrique. ‘’Nous aimerions que nos législateurs prennent des dispositions pour permettre aux notaires l’établissement de contrats de mariage en remplacement du système d’option devant l’officier d’état civil’’, déclare-t-elle.

Ce n’est pas tout. Si le président de la République donne corps à la revendication des notaires, les magistrats, aussi, se verront dépossédés d’une bonne partie de leurs prérogatives en matière civile : mariage, divorce, succession… Voilà ce qu’il faudrait entendre par la notion de déjudiciarisation qui est l’un des thèmes majeurs de ce 31e congrès tenu au Sénégal du 1er au 4 octobre. ‘’Le terme déjudiciarisation, affirme Me Sow, est absent de bien des dictionnaires… Il désigne, en vue de désengorger les juridictions de certains dossiers, la suppression ou la réduction de l’intervention du juge dans des situations qui relèvent traditionnellement de son office. Donnant ainsi aux justiciables la possibilité de trouver eux-mêmes la solution adéquate à leurs différends avec l’aide d’un tiers de confiance comme le notaire au besoin’’.

L’objectif des notaires, à terme, c’est tout simplement de réduire le contentieux judiciaire à ‘’sa plus simple expression’’. Pour y parvenir, la présidente de la Chambre sénégalaise préconise que le législateur ‘’rende obligatoire la réquisition du notaire en matière immobilière, quelles que soient la nature des droits concernés ou la qualité des contractants à peine de nullité absolu’’. Aussi, demande-t-elle de soulager les juridictions, en conférant au notaire ‘’la compétence exclusive sinon concurrente pour déterminer la dévolution successorale et accomplir les formalités  qui en résultent par le seul acte notarié’’. A l’en croire, cela suppose la modification de la loi foncière ‘’qui a impacté cette matière’’.

Déjudiciarisation et népotisme

Les notaires requièrent également l’ouverture des testaments olographes par acte notarié et non devant le juge, conformément aux dispositions du Code de la famille. En outre, la présidente de la Chambre des notaires sollicite, au nom de ses pairs, l’établissement des Pv des conseils de famille par acte authentique, l’implication du notaire dans les procédures et déclarations aux fins d’adoption, dans la déclaration aux fins de transcription de mariages coutumiers, dans les déclarations d’acceptation sous bénéfice d’inventaire ou de renonciation...

Dans ses réponses, le président de la République, Macky Sall, semble favorable aux recommandations. Mieux, le chef de l’Etat semble même donner un blanc-seing aux notaires pour lui revenir avec toutes les propositions qu’ils jugeront nécessaires. Il déclare : ‘’Le notaire contribue à la pacification des relations sociales par la sécurisation qu’il apporte aux contrats. Il joue, à cet égard, un rôle essentiel dans la bonne gouvernance juridique des affaires. C’est pourquoi je souhaite, dans vos délibérations, que vous ne soyez pas inhibés. Faites toutes les propositions qui permettent à nos sociétés d’avancer.’’

Quid de l’intervention des notaires en matière de statut personnel ? A ce propos, le président Sall se veut clair : ‘’Il est temps, au Sénégal, que les notaires puissent prendre en charge les aspects liés à l’état civil, au mariage, au divorce…’’ Selon Macky Sall, il s’agit, à l’occasion de ce congrès, ‘’d’entrevoir le rôle que le notaire peut jouer comme acteur prépondérant du processus de règlement extrajudiciaire des différends à travers une déjudiciarisation accrue comme procédé permettant d’éviter le règlement des litiges par les juges’’.

Par ailleurs, le chef de l’Etat constate que la justice telle qu’elle a toujours fonctionné, apparait, aux yeux des usagers, comme lentes. En conséquence, il faudrait trouver des remèdes pour aller plus vite. ‘’Avec des procédures longues, lourdes et complexes qui échappent à leur contrôle’’. ‘’Les réformes que j’ai entreprises depuis 2012 tendent à y apporter des corrections rapides et adaptées’’, souligne-t-il.

Ainsi, les notaires veulent marcher sur les plates-bandes des magistrats. Présent à la salle de conférences, le président de l’Union des magistrats sénégalais (Ums) n’y voit pour autant pas de soucis majeurs. Mais, prévient-il, la matérialisation d’une telle recommandation (déjudiciarisation) suppose plusieurs préalables. ‘’Sur le principe, signale-t-il, nous n’avons pas de problèmes. Mais il faut tenir compte de plusieurs paramètres’’.

En fait, en toile de fond de ces doléances de la Chambre des notaires du Sénégal, il y a, à n’en pas douter, des enjeux financiers énormes. Le notaire veut être presque partout en matière civile. Bien entendu, cette intervention ne sera jamais gratuite, comme le sont les actes de justice. A ce propos d’ailleurs, le chef de l’Etat dira : ‘’Il convient, dès lors, de trouver un équilibre entre le bénéfice indéniable de la déjudiciarisation et les coûts induits pour les usagers.’’

Pour le président de l’Ums, il faudrait non seulement tenir compte de cet aspect, mais aussi de la notion de sécurité juridique. ‘’Il ne faudrait, dit Souleymane Téliko, pas faire de sorte que les usagers paient beaucoup plus qu’ils le font devant les juridictions. Ensuite, le tribunal confère des garanties d’exécution et de sécurité. Il faudrait que ces garanties soient également prises en compte’’.

Dans tous les cas, le président de l’Ums met en garde contre la précipitation ainsi que des mesures non concertées. ‘’Il faut se concerter avec tous les acteurs concernés : les notaires, les magistrats, les avocats… même la société civile, parce que ce sont des questions qui concernent la société par rapport à sa vision notamment du mariage, du divorce…’’, a-t-il-renchéri. Pour M. Téliko, il faudrait aussi voir dans quelles conditions cela va s’opérer, dans quelles modalités, quels aspects du divorce ou du mariage seront concernés… ? ‘’Je suppose que quand on parle de divorce, par exemple, il s’agit du divorce par consentement mutuel. Dans tous les cas, il faut se concerter avec tous les acteurs, même avec la société civile, parce que ce sont des questions qui interpellent toute les composantes de la société’’, répète-t-il.

Immunités et privilèges

L’offensive des notaires ne se limite pas à demander plus de compétences et donc, corolairement, plus de niches de revenus. Ils souhaitent également plus de protection pour leur corps. La présidente de la Chambre des notaires exprime : ‘’…La réalisation de cet objectif plaide pour que les notaires qui en sont les principaux acteurs ne soient pas troublés dans l’exercice de leurs fonctions.’’ Demander cette protection n’est pas, pour elle, s’arc-bouter à un quelconque privilège. Bien au contraire, à l’en croire, ceci est indispensable au maintien de la paix sociale et de la sécurité juridique. ‘’Le service public du droit, estime Me Aissatou Sow, est un art parfois assez complexe et sensible. Il est donc indispensable de rétablir les immunités d’exercice et surtout la protection du service public dont nous avons en charge. Ces mesures qui figurent dans nos statuts depuis toujours ont été ébranlées par l’actuelle rédaction de notre statut. Ce qui affaiblit notre institution’’.

Selon Me Sow, le privilège de juridiction est une nécessité pour la bonne exécution de leur mission. ‘’A défaut d’avoir une loi régissant notre statut, que cette protection soit prévue dans un autre texte de loi’’.

La notaire reste convaincue que la profession peut compter sur le président de la République qui a déjà eu à leur témoigner de sa disponibilité. D’abord, Macky Sall avait refusé d’adopter au Sénégal une recommandation de l’Ohada consistant à la suppression de l’intervention obligatoire du notaire pour la constitution de sociétés commerciales. ‘’Vous avez dit non à cette déréglementation’’, se réjouit Me Sow. L’autre exemple majeur est l’affectation à la chambre d’une ‘’somptueuse villa en plein centre-ville de Dakar’’ pour l’édification d’un siège. Last but not least, le chef de l’Etat, pour les besoins de l’organisation du congrès, a gracieusement mis à la disposition des notaires le Centre international de conférences Abdou Diouf de Diamniadio. Hier, le président de la République en a rajouté, en sommant, séance tenante, le garde des Sceaux de prévoir cette question du privilège de juridiction des notaires dans les toutes prochaines modifications du Code de procédure pénal. Car, estime Macky Sall, c’est une demande tout à fait légitime.

Reste à savoir si des notaires comme Aïssatou Guèye Diagne ne vont pas s’engouffrer dans la brèche.

Omerta sur la demande d’ouverture de la profession

Par ailleurs, la chambre, tout comme le président de la République, est restée sourde aux nombreuses récriminations des notaires stagiaires qui accusent les barons de népotisme. Pour eux, le notariat demeure un cercle fermé, accaparé par un groupuscule de notaires qui y font entrer qui ils veulent. ‘’Dans un pays normal, confie un des stagiaires, on doit pouvoir rêver de devenir notaire comme on rêve de devenir magistrat ou médecin. Les règles doivent être claires et transparentes pour tout le monde. Nous avons laissé nos métiers. Nous avons réussi un concours très sélectif. Nous attendons d’être rétablis dans nos droits’’. Les stagiaires regrettent de n’avoir pas eu la parole pour porter leur doléance devant le chef de l’Etat. ‘’Il doit savoir que nous n’avons besoin que de la signature d’un décret. Cinquante-et-un notaires pour un pays comme le Sénégal, c’est trop peu’’.

Ce dignitaire du notariat mondial ne veut pas s’immiscer dans les affaires internes du Sénégal. Mais bousculé, il admet que le Sénégal peut faire des efforts dans le sens d’une plus grande ouverture. ‘’Pour qu’il y ait sécurité, il faut que le notaire soit présent partout’’, finit-il par lâcher.

Selon les stagiaires, le Sénégal fait partie des pays où le ratio notaires/nombre d’habitants est des plus faibles. Certains donnent l’exemple du Togo qui compte environ 80 notaires pour 8 millions d’habitants. En fait, souligne un de nos interlocuteurs, tout le monde a intérêt à ce qu’il y ait des règles transparentes. ‘’Sinon, le jour où le neveu du chef de l’Etat voudra, par exemple, y entrer, on va faire sauter le verrou et tout le monde se retrouvera dans la pagaille’’.

Relativement à cette question, la présidente de la chambre a, dans son allocution, déclaré que les notaires stagiaires pourraient bientôt intégrer la profession. Mais ces derniers restent très sceptiques. Pour certains d’entre eux, c’est juste une annonce de plus destinée à les endormir.

MOR AMAR

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