Publié le 24 Jul 2018 - 02:17
ABDOUL AZIZ MBAYE, MINISTRE-CONSEILLER DU PRESIDENT DE LA REPUBLIQUE

‘’Le second mandat de Macky Sall ne se jugera pas à l’aune de la pénurie d’eau’’

 

Ministre-conseiller spécial du président de la République, Abdoul Aziz Mbaye croit dur comme fer que les contrecoups de la pénurie d’eau ne peuvent en aucune manière jouer en défaveur d’un second mandat de Macky Sall en 2019. Toutefois, il déclare que le gouvernement travaille d’arrache-pied pour apporter des solutions structurelles à ce problème.

 

La situation du pays est marquée par une pénurie d’eau qui assaille les populations depuis un bon moment. En dépit des échéances annoncées par les gouvernants pour solutionner le problème, elle perdure. Quelle appréciation faites-vous de cela ?

A Dakar, on est dans une métropole africaine en développement. L’essentiel des métropoles africaines en développement ou des métropoles dans le monde d’ailleurs sont caractérisées par une évolution très rapide des populations. Depuis 2013, les populations de la métropole de Dakar ont augmenté de manière importante. Peut-être que le problème est également lié à l’exode rural qui est devenu maintenant un peu plus important qu’avant. Cela s’est traduit immédiatement par une augmentation de la demande de l’eau consommée dans la capitale. Rien qu’à Dakar, on a besoin de plus de 130 000 m3 d’eau par jour. Cette demande est extrêmement forte si on sait l’offre qui vient du Lac de Guiers et des différents autres sites où on a des forages qui alimentent Dakar. Il a fallu augmenter cette capacité rapidement à partir de celles qui existaient. Mais encore une fois, les choses ne se font pas du jour au lendemain. Il faut accepter le principe qu’évolution rapide de la demande va avec une évolution importante des moyens mis en place pour essayer de couvrir les besoins des populations.

Etant donné que gouverner, c’est prévoir ; est-ce que les autorités n’ont pas failli à ce niveau ?

Oui gouverner, c’est prévoir. Mais vous comprendrez quand même que quand je vous ai dit qu’une évolution s’est faite depuis 2013, cela veut dire que depuis cette date, on travaille quotidiennement sur cette question. Les gouvernements qui se sont succédé, moi j’en sais quelque chose, ont travaillé régulièrement sur la question de l’approvisionnement de l’eau à Dakar.

Globalement, est-ce que cette pénurie d’eau n’est pas liée aux lenteurs notées dans le renouvellement du contrat d’affermage avec la Sde ?

Non ! C’est deux processus tout à fait séparé. Parce que l’un est un processus de contractualisation de la gestion de l’eau au Sénégal et l’autre est une question d’assurer un approvisionnement régulier de l’eau dans le pays, de bâtir la capacité de production d’eau.

Beaucoup pensent que si Wade a été emporté par les coupures intempestives d’électricité, Macky Sall court le risque d’être emporté par l’eau. Que répondez-vous à cela ?

Tous les dirigeants savent que la demande sociale dans un pays est dynamique. Elle n’est pas quelque chose de stagnante ou de statique. Elle demande une attention assidue et régulière. Aujourd’hui, effectivement il y a la demande en eau. Mais il y a moins la demande en électricité à laquelle on a répondu de manière très concrète et pragmatique. On est parti de plusieurs centaines d’heures de coupures par an à une dizaine d’heures en moyenne par an. Cela veut dire qu’on a réfléchi au problème, on l’a mesuré, on a trouvé une solution adéquate. Les choses peuvent devenir un peu plus difficiles avec l’augmentation du prix du baril du pétrole, il faut simplement veiller à ce qu’il y ait actuellement suffisamment d’approvisionnement pour garantir la régularité de la fourniture d’électricité. Pour l’eau, c’est la même chose.

Il faut veiller à ce qu’on réponde au problème. Mais il faut beaucoup expliquer. On a parfois des défauts d’explication. Que les gens comprennent à l’avance qu’il y a des risques qui sont dus, pas parce qu’on ne fait pas le travail nécessaire. Le gouvernement peut décider de mettre en place un système pour avoir de l’eau dans toutes les villes du Sénégal, y compris Dakar dans sa grande métropole, mais que la mise en œuvre de la solution prenne du temps qu’il faut prendre dans un sens ordonné, c’est-à-dire que les gens sachent qu’à partir de telle date, on aura résolu le problème à 30%, à partir de telle date, on aura fini. Je crois que la déclaration de Mansour Faye a été dans ce sens. Le problème du gouvernement, ce n’est pas un manque de vision sur la politique à suivre pour répondre au besoin d’eau, ce n’est pas non plus un problème de manque de moyens pour y arriver, c’est qu’on a besoin de temps pour répondre à quelque chose qui a été brutale qui est l’évolution rapide des populations.

Avez-vous ce temps dont vous parlez, si on sait que les prochaines élections sont dans moins de 7 mois ? Est-ce que tout cela milite en faveur d’un second mandat pour Macky Sall ?

Le second mandat ne se jugera pas à l’aune du problème de l’eau. On le jugera sur l’ensemble de l’œuvre du président de la République pendant son mandat actuel. Celui-ci d’ailleurs a été un mandat de changement radical dans la gestion de ce pays. Le Sénégal s’est embarqué maintenant réellement dans la modernisation avec le développement d’infrastructures de haut niveau, l’investissement dans le capital humain d’une manière solide et du renforcement des systèmes de gouvernance d’une manière régulière et acceptée par tout le monde sur le plan national et international.

Pensez-vous que ce bilan soit assez convaincant pour lui assurer un second mandat ?

Dans ce pays, il y a deux niveaux où il faut juger l’action du gouvernement. Le premier niveau, c’est de voir ce qui se passe de manière globale avec notre économie qui est passée d’une croissance de 1.4% à plus de 7%.

Mais ce chiffre est aujourd’hui contesté par certains économistes.

En matière de croissance dans les pays, on ne peut pas aller à l’encontre de ce que disent le Fmi et la Banque mondiale. Le Fmi regarde ces aspects macroéconomiques comme du lait sur le feu dans tous les pays, parce que c’est là qu’on voit en réalité les difficultés des uns et des autres pour financer leur développement. Donc ici, on a une croissance assidue à 7% et je crois que si cela continue comme ça, on arrivera à une croissance à deux chiffres très rapidement dans ce pays. Un pays ne peut pas décoller tant qu’il n’est pas capable d’avoir une croissance régulière et de haut niveau. Ça, on l’a depuis quelques années au Sénégal. Travaillons pour que ça dure. C’est ça qui est important. Parce que si on assure le décollage, on arrivera en 2035 à l’émergence.

Le deuxième niveau important dans un pays, ce n’est pas comment le gâteau a augmenté, c’est comment il a été partagé. Je crois que les politiques de ce qu’on appelle les filets sociaux de sauvetage ont été développées dans ce pays d’une manière régulière mais organisée et systématisée. La Bourse de sécurité familiale, c’est quelque chose qui a été essayée dans beaucoup de pays comme le Brésil et ça marche très bien ici au Sénégal. Il y a seulement les gens qui vivent dans l’opulence qui regardent ça comme une chose faible. Mais quand un paysan qui avant, faisait une récolte et gagnait entre 150 000 et 200 000 F par an, est assisté dans sa précarité avec 100 000 F CFA par an, c’est quelque chose de conséquent. En même temps, ça va avec des obligations de vaccination, d’inscription des enfants à l’école, etc. Tout cela, c’est ce qu’on appelle du développement. Quand on ajoute à cela la Couverture maladie universelle, on voit que les gens les plus démunis dans ce pays, on ne les a pas laissés le long du chemin. Un développement, c’est une croissance de l’économie globale peut-être, mais c’est aussi une solidarité qui fait qu’on ne laisse personne au bord du chemin.

L’opposition semble reprendre du poil de la bête surtout après sa marche du vendredi 13 juillet dernier. Est-ce que la forte mobilisation qu’elle a réussie à faire n’est pas un signal fort pour le régime ?

Si l’opposition annonce qu’elle va rassembler un million de personnes et qu’au bout du compte elle n’en mobilise que 5 000 dans la ville, il faut se poser des questions. Je pense qu’il y a un grand problème au Sénégal, beaucoup plus qu’ailleurs. On est une démocratie moderne et on a eu des joutes politiques depuis longtemps. Mais on a perdu quelque chose. Au Sénégal, l’opposition a comme stratégie, d’un côté la diabolisation du pouvoir en place, et de l’autre la victimisation d’elle-même. Notre opposition est en effet caractérisée par quelque chose qui m’effare. Aucune proposition de solution des problèmes des gens dans ce pays, aucune réponse à la demande sociale, aucune réponse alternative. Au contraire, j’ai entendu des choses qui m’inquiètent. Quand un responsable de l’opposition se met à dire pendant la manifestation qu’ils ont faite le 19 avril que le parrainage est une question de vie ou de mort, je trouve cela irresponsable. Quand un chef de l’opposition insulte sa propre justice comme l’a fait un ancien ministre récemment en traitant les magistrats de bandes de malfaiteurs, je crois qu’il y a une irresponsabilité qui se passe.

A cracher sur nos institutions, on ne fait qu’essayer de les amoindrir et ça, ce n’est pas bon. Mais quand un ancien président de la République, parce qu’il a des griefs contre le régime et contre le président en place qui, pourtant, a fait tout ce qu’il devait faire vis-à-vis de lui… Regardez la dotation dont il bénéficie, le traitement qu’il a et qu’aucun de ses précédents n’avait jusqu’ici. Malgré tout cela, il continue de l’attaquer. L’autre jour, quand on lui envoyait de nouvelles voitures, un nouveau personnel, j’étais présent, mais il oublie tout cela. Il ne se concentre que sur une chose qui a été son obsession depuis 2011 et qui l’a fait perdre, il veut que son fils le succède à la tête du pays. Son fils ne lui ayant pas succédé, il veut maintenant qu’il vienne coûte que coûte succéder au Président actuel. Je trouve que si pour cette raison, il demande aux jeunes de ce pays de brûler les moyens d’expression démocratique, il y a un problème de responsabilité mais peut-être de santé mentale.

Ah oui ! Pourquoi dites-vous cela ?

Parce que pour demander ça, il faut être malade ! Ce n’est pas le Abdoulaye Wade avocat qui a défendu ici des causes très nobles, ce n’est pas non plus le Abdoulaye Wade qui a été un grand Président de ce pays, qui a contribué largement à la relance du Sénégal comme pays de projets. Ce Abdoulaye Wade n’aurait jamais demandé à des jeunes d’aller brûler quoi que ce soit. Je crois qu’il y a un problème. Heureusement que ses appels ne sont opérants à rien du tout.

Quel est votre avis sur l’affaire Karim Wade avec toute la polémique qui entoure sa candidature qui, selon le juge Yaya Amadou Dia, ne souffre d’aucune illégalité ?

Le juge Yaya Amadou Dia va me faire un peu comme le juge Dème. Les gens se trompent de genre. Tous ces gens qui quittent l’administration pour entrer dans la politique sont pressés. On peut faire une très belle carrière, avoir un bien-être absolument suffisant en étant dans l’administration. Mais aucun métier de l’administration ne permet d’être milliardaire ou ne garantit aussi de devenir président de la République parce qu’on aura été un bon juge ou un juge contestataire. Il faut revenir à la réalité. On doit rester sur le métier où on peut apporter un plus à l’Etat et non pas s’ériger en des messies qu’on n’est pas. Il n’y a aucun juge parmi ceux qui démissionnent et qui entrent dans l’opposition qui ait l’étoffe d’un président de la République.

Un président de la République, ça s’éduque, ça se forme. Regardez ce que Abdoulaye Wade a fait par rapport au Président actuel pour en donner l’étoffe d’un chef d’Etat. Il en a fait un directeur d’une société nationale, ensuite un ministre de la République, un ministre d’Etat, un Premier ministre et puis, un président de l’Assemblée nationale. Au bout de 12 ans d’expérience avec le Président Abdoulaye Wade, l’homme était mûr pour offrir une alternative aux Sénégalais, encore qu’il a été obligé d’aller traverser le pays sur 90 000 km. J’ai été l’un de ses amis avec qui il était allé à la télévision nationale le 1er janvier 2012, alors que Wade était au pouvoir, pour lui dire pourquoi il va perdre les élections de 2012.

Quelle appréciation faites-vous de l’affaire Khalifa Sall ?

Je crois que le groupe d’avocats qui défendent Khalifa Sall ne lui rendent pas service. Depuis le début, ils ont essayé de faire la démonstration que c’est un procès politique. Or un procès politique, il n'y en a pas au Sénégal parce que nous sommes dans une démocratie et qu’on a des juges qui contestent tellement le système qu’ils en démissionnent. On n’a aucun parmi eux qui a dit : j’ai démissionné parce que Khalifa Sall est condamné. En voulant politiser le procès, ils ont perdu toutes les procédures qu’ils ont entamées.

Mais ils ont quand même eu gain de cause au niveau de la Cedeao.

Ils ont déposé 18 requêtes pour demander une décision qui leur soit favorable. Quatre ont été acceptées et 14 ont été rejetées. Sur les quatre, il y en une où on dit qu’entre la période de son élection comme député à celle de la levée de son immunité parlementaire, peut-être que ses droits ont été bafoués. Pourquoi je dis peut-être ? Parce que d’autres juges ont pensé autrement. Malgré tout, on a accepté la décision. L’Etat a été condamné à payer 35 millions pour tous les détenus dans cette affaire, je suis sûr que ce sera accepté à un moment donné comme toutes les décisions de la Cedeao. Nous acceptons au Sénégal les décisions supranationales qui viennent de la Cedeao en matière économique, mais aussi en matière politique.

Ses avocats n’ont jamais voulu aborder le fond et finir avec le procès. Ce qu’ils font ne fait que reporter l’issue finale de la chose qui pourrait permettre d’envisager mille autres perspectives. Il y a des gens qui ont été condamnés mais qui n’ont pas fait toute leur peine. Tout est possible dans la politique.

PAR ASSANE MBAYE

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