Publié le 4 Apr 2019 - 13:26
ABDOULAYE BAR DIOUF, AGENT DE JOUEURS EN ITALIE

‘’Je ne vois pas Koulibaly s’hasarder à rejoindre le Real Madrid ou Manchester United, si…’’

 

Dans un entretien accordé à ‘’EnQuête’’, l’agent intermédiaire du football africain résident à Brescia - en Italie - Abdoulaye Bar Diouf, estime que l’équipe A du Sénégal a fait l’essentiel, en décrochant la qualification à la Can-2019. Selon lui, Aliou Cissé dispose des hommes qu’il faut pour la prochaine campagne en Egypte. Il est convaincu que l’élimination des olympiques pour la Can-U23 est de la responsabilité des Sénégalais eux-mêmes.

 

Les éliminatoires de la Coupe d’Afrique des nations viennent de s’achever. Le Sénégal, invincible en six matches, a terminé à la première place du groupe A (16 pts). Comment appréciez-vous le parcours des Lions durant ce tournoi ?

Le Sénégal a fait un parcours extraordinaire. Aliou Cissé a réussi à faire le maximum avec les hommes dont il dispose. L’équipe a obtenu sa qualification et le coach a déjà acquis une équipe. Il reste à travailler pour avoir son identité de jeu, son 11 de départ et ceux qui vont les épauler. Pour l’instant, rien n’est acquis. Il dispose des hommes, mais tout peut arriver d’ici le mois de juin. Il faut toucher du bois pour qu’il puisse compter sur tous les hommes qu’il a déjà et d’autres qu’il est en train de cibler et qui ne sont pas encore venus en équipe nationale. A deux éléments près, il peut encore intégrer dans ce groupe d’autres joueurs.

Par rapport à ce match contre le Mali, est-ce qu’il ne fallait pas poursuivre sur la lancée de celui contre Madagascar, au lieu de remanier l’équipe avec une nouvelle composition ?

Non, non ! Je ne suis pas d’accord. C’était une date Fifa et les joueurs qui étaient là devaient rentrer dans la semaine. La majorité d’entre eux ont joué le week-end avec leurs clubs respectifs. Il fallait les reposer et voir d’autres possibilités. Par exemple, quelqu’un comme Pape Djibril Diaw qui est défenseur central, il a joué latéral gauche. C’est un joueur qu’il est en train de suivre. Il y a Pape Abdou Cissé qui a joué comme défenseur central. Krépin Diatta a bien débuté en équipe nationale du Sénégal contre Madagascar et contre le Mali, il l’a utilisé en seconde période. Avec Sadio Mané, ils ont su remettre les pendules à l’heure et finalement le Sénégal a gagné. Il y a aussi Alfred Gomis qui a démarré dans le but. Il est un potentiel numéro 1 ou 2, c’est Aliou qui décide. Khadim Faye disait dans une interview que le Sénégal est bien lotis au poste des gardiens. Je suis parfaitement d’accord avec lui. Aliou Cissé a déjà ses hommes, à un élément près. Si Abdoulaye Diallo revient, ce sera extraordinaire. Kobaly Ndiaye que j’ai vu jouer avec les U20, est un gardien extraordinaire.

Krépin Diatta et Santy Ngom ont-ils apporté à l’équipe du Sénégal ce qui lui manquait, c’est-à-dire la créativité dans l’entrejeu ?

Cela dépend des modules de jeu. Les Sénégalais insistent trop sur l’entrejeu. Krépin et Santy Ngom seront utiles quand on jouera avec un seul attaquant de pointe. Ce sont des ‘’playmakers’’, comme on le dit en Angleterre. Par exemple, dans le système du 4-3-3, il y aura un attaquant de pointe fixe et un milieu de terrain qui va alimenter le jeu. Dans ce cas, il y aura une option entre les deux joueurs. Aliou ne se fixe pas comme objectif d’évoluer dans un seul système de jeu. Il peut choisir le 4-3-3 ou le 4-2-3-1. Les Sénégalais ne doivent pas se focaliser sur la titularisation d’un joueur x ou y dans l’entrejeu. Si le coach opte pour le 3-5-2, typiquement italien, il n’aura pas besoin de Krépin, parce qu’il va jouer avec deux 9 : un en pointe et un neuf et demi. A la limite, s’il l’utilise dans ce dispositif, Krépin sera milieu droit ou gauche.

Beaucoup d’observateurs considèrent le Sénégal comme un des favoris de la Can-2019. Partagez-vous cette opinion ?

On ne peut décréter la victoire finale d’une équipe à la Coupe d’Afrique, au moment où nous sommes. Tout dépendra des hommes qu’Aliou Cissé aura à sa disposition à la Can et pour chaque match. Un tournoi, on le prend ‘’step by step’’, match après match. L’appétit vient en mangeant. Il y a la phase de poules, ensuite les quarts de finale et les demi-finales. Dépassée cette dernière étape, on peut penser remporter le titre. Aucune équipe, dans le monde, un entraineur ou une fédération, ne peut déterminer à l’avance le résultat final d’un tournoi. C’est après avoir dépassé les demi-finales qu’on peut dire qu’on va gagner la coupe parce qu’on saura si nos joueurs sont en forme et qu’on connaitra notre adversaire. Pour le moment, on ne peut seulement dire, sur le papier, que le Sénégal a de fortes individualités.

Il y a Sadio Mané qui fait du bien à Liverpool, Kalidou Koulibaly, du côté de Naples, qui est l’un des meilleurs défenseurs de la Serie A italienne et du monde. Mbaye Niang est toujours performant en équipe nationale, Idrissa Gana Guèye est extraordinaire à Everton. On a Edouard Mendy qui est titulaire en France (avec Reims, Ndlr) et Alfred Gomis qui est dans le haut niveau en Italie. Mais on ne peut pas dire qu’on va faire plier tous nos adversaires. Parce que dans les grands tournois, il y a des pays qui arrivent avec des joueurs qui jouent en Roumanie, en Moldavie, en Ukraine… C’est dans ces compétitions que ces types de joueurs se révèlent pour rejoindre de grands championnats. Cela aurait pu être le cas d’Aliou Badji qui est au Rapid Vienne. S’il venait en Coupe d’Afrique, il pourrait faire un tournoi extraordinaire. Il y a des pays comme le Nigeria, le Cameroun qui ont des joueurs qui jouent dans ces championnats que les Sénégalais ne connaissent pas. Ces derniers peuvent être des révélations.

Notre équipe U23 a été éliminée au 2e tour des éliminatoires de la Coupe d’Afrique des nations des moins de 23 ans par celle de la Guinée. Comment analysez-vous cet échec ?

L’échec de l’équipe U23 est provoqué par nous-mêmes sénégalais, en ne donnant pas la possibilité à d’autres Sénégalais de porter le maillot national. On doit faire la sélection parmi tous les joueurs qui sont au Sénégal et partout dans le monde. On ne doit pas favoriser certains gosses qui sont en France ou dans certains clubs parce que leurs dirigeants sont ceci ou cela. Si on continue à faire ce jeu-là, le football sénégalais n’ira nulle part. L’équipe nationale est pour tous les Sénégalais. Quand je le dénonce, on me reproche d’être trop italien ou de faire la promotion du football italien. Je ne suis pas là pour prôner le football x ou y. J’ai toujours proposé des joueurs pour le Sénégal et cela pour toutes les sélections. J’ai travaillé dans le dossier Koulibaly, Keïta Baldé, Mbaye Niang ou Alfred Gomis. J’avais proposé des joueurs qui pouvaient épauler l’équipe U23. Il y a Franco Kanouté de Pescara qui est titulaire en Serie B italienne et formé à la Juventus de Turin.  Le portier Fallou Sarr, italo-sénégalais, a été pendant deux ans le 2e gardien à Bologne avec Roberto Donani, un grand nom dans le football italien, avant d’être prêté à Fano en 3e division. C’est le cas de Moussa Ndiaye, Mame Mor Ndiaye, qui a un vrai talent. Ce qu’on a vu l’équipe du Sénégal faire en Guinée… Un gardien de but qui boxe un ballon à l’intérieur de la surface de réparation.

Le 2e but concédé, c’est la faute à ce portier Sarr. Pourquoi on l’a appelé, alors qu’il y a d’autres gardiens professionnels comme Khadim Ndiaye à l’Atalanta, Fallou Sarr à Fano, Maurice Gomis, le petit frère d’Alfred, et Lys ? Même un jeune Gambien, Ebrima Darboe (U19 As Roma, Ndlr), m’a approché pour voir comment jouer avec les sélections des jeunes du Sénégal. Et tant d’autres garçons. Même s’ils ne jouent pas, on a la possibilité de les appeler afin de les fixer pour l’avenir. Il va arriver un jour où un de ces joueurs sera dans le collimateur des dirigeants italiens. En ce moment, il y aura un tiraillement entre le Sénégal et l’Italie ou la France. Ces jeunes joueurs qui n’ont pas la possibilité ou ne veulent pas porter le maillot de certaines sélections, comme celle de l’Italie, réclament leur appartenance au Sénégal. Je me suis toujours rapproché des dirigeants du football sénégalais pour leur parler de ces gosses qui sont de vrais professionnels. Ils préfèrent appeler des joueurs amateurs qui évoluent en France.

Cela s’explique, peut-être, par le manque de moyens suffisants à la disposition des fédéraux ?

Il y a des gens qui ont travaillé comme bénévoles. Ils n’ont jamais demandé de l’argent. Il suffit d’un petit papier pour faire ce qu’ils ont à faire parce qu’ils ont le soutien de gens et par le biais d’agences italiennes de football. Aujourd’hui, par exemple, mon collaborateur c’est Fabriozo Ferrari qui fait partie des plus grands agents de joueurs au monde. C’est à travers sa personne que j’ai toutes mes entrées en Italie. Si je veux rencontrer un joueur sénégalais, je peux passer par lui. Qu’ils arrêtent ce qu’ils font. L’équipe nationale du Sénégal n’appartient pas seulement aux Dakarois, aux Kaolackois ou encore aux Saint-Louisiens, encore moins aux joueurs sénégalais en France ou en Espagne. J’ai détecté un joueur évoluant au Portugal pour les U20. Il s’appelle Mor Ndiaye et joue la Ligue des champions des moins de 20 ans avec Porto. Ce gosse doit être dans la liste de Youssoupha Dabo pour la Coupe du monde. Pourquoi on ne donne pas la possibilité à ces joueurs de jouer pour le Sénégal ?

L’équipe des moins de 20 ans a aussi échoué en finale de la Can de sa catégorie, pour la troisième fois d’affilée. Qu’est-ce qui ne va pas, selon vous ?

Pour les U20, j’ai vu une équipe extraordinaire. Youssoupha Dabo a bien travaillé, mais peut-être que son discours, lors de la finale, n’a pas donné assez de motivation aux gosses. Dans le football, il y a l’aspect technique et tactique, mais aussi le côté motivation ou psychologique pour entrer dans la tête des joueurs. C’est ça qui a manqué à ces gosses, je pense. A la dernière minute, seule le discours restait pour mettre dans la tête des jeunes qu’ils vont réaliser une chose historique en gagnant un trophée continental. Il faut  aussi enseigner à ces gosses la modestie et avoir plus de concentration devant le ballon. Ils ont manqué de modestie lors de la séance des tirs au but.

Au chapitre des transferts, il y a le nom de Sadio Mané qui est cité avec insistance du côté du Real Madrid. Pensez-vous que c’est le bon moment et le bon endroit pour lui ?

Abdoulaye Sarr, Directeur technique de Génération Foot, m’a appris une chose : lorsque le coach du Burkina Faso (Paulo Duarte, Ndlr), contre le Sénégal (2-2), a touché la tête d’Ismaïla Sarr, il m’a dit : à travers ce geste, le coach veut dire aux Sénégalais qu’un jour, je voudrais entrainer cette équipe avec ce joueur. La dernière finale de la Ligue des champions, j’ai vu Zidane faire ce même geste pour montrer son affection à Sadio Mané. Si, aujourd’hui, on dit que Zidane veut Sadio Mané, c’est une bonne chose. L’entourage du joueur doit bien étudier le dossier pour voir ce que le club lui propose. Le Real Madrid ne se refuse pas.

L’intérêt du Real Madrid pour Koulibaly est aussi évoqué. Quelle est la meilleure option pour lui, entre le club madrilène et Manchester United, qui est également intéressé ?  

Je vois les Sénégalais insister sur le départ de Koulibaly. En tant que Sénégalais vivant en Italie et connaissant Naples et son président, je ne sais pas s’il va quitter ou s’il restera. Les dirigeants napolitains lui ont déjà proposé de doubler son salaire. Si c’est le cas, en plus du fait qu’il se sent bien dans la ville de Naples, avec un grand entraineur, Carlo Ancelotti, je ne le vois pas s’hasarder à rejoindre le Real Madrid ou Manchester United. Le joueur, ce qui l’intéresse, c’est d’être sur le terrain, de se sentir bien dans la ville et de gagner bien sa vie. C’est le cas en ce moment.

C’est vrai que l’argent compte beaucoup, mais concernant le défi sportif, est-ce qu’il ne serait pas tenté de rejoindre Madrid pour avoir plus de chances de remporter des titres…

Mais le défi sportif, Kalidou Koulibaly, c’est le joueur sénégalais le plus capé de la Serie A italienne ! A part Boucary Dramé, c’est le Sénégalais qui a joué le plus de matches en championnat italien. Naples est une équipe qui peut gagner cette année même la Ligue Europa. Il va continuer à être l’un des meilleurs défenseurs du Calcio italien. Ce qui n’est pas une petite chose. Un joueur comme Marek Hamsik, il est à Naples depuis presque une décennie. Aujourd’hui, Koulibaly, avec Naples, ce sont des liens qui s’inscrivent dans l’avenir. Il faut qu’on arrête de penser que Naples est une petite équipe. Mais Naples a battu Liverpool (1-0, 2e journée Ligue des champions). Kalidou Koulibaly est dans un bon championnat. Le reste, c’est qu’il gagne plus d’argent et ses relations futures avec la ville de Naples et tout ce qui gravite autour du football italien pour qu’il puisse apporter quelque chose au Sénégal. Comme des infrastructures, à l’image de Keïta Diao Baldé et Sadio Mané qui construisent des écoles dans leurs localités d’origine.

En parlant de Keïta Diao Baldé, les choses ne se passent pas comme espéré à l’Inter…

Il a eu des problèmes physiques. Il a repris et a même joué lors de la défaite contre la Lazio (0-1, dimanche dernier, Ndlr). Aujourd’hui, s’il retrouve sa forme durant les dernières journées de championnat, il sera bien parce qu’Icardi est exclu du groupe. Il peut même retrouver la forme avec l’équipe nationale du Sénégal.

Donc, la mise à l’écart d’Icardi lui est profitable ?

Cela peut lui profiter. Mais Diao a traversé des périodes difficiles du fait de problèmes physiques. Il peut mieux servir cette année en équipe du Sénégal. La saison prochaine sera plus positive pour lui avec l’Inter, s’il démarre bien les préparations. Il est aimé à l’Inter Milan et il travaille pour revenir à son meilleur niveau.

LOUIS GEORGES DIATTA

 

Section: