Publié le 6 Oct 2017 - 16:21
ABDOULAYE DIALLO, ARTISTE PEINTRE

Mythique et mystique

 

Quand vous lui demandez s’il est un artiste, il vous dit : ‘’je veux être artiste’’. Pourtant, il n’a rien mais vraiment rien à envier à ceux qui se réclament artistes. Son histoire avec la peinture explique peut-être les précautions qu’il prend en répondant. Laquelle histoire étonne, fascine et accroche. EnQuête vous la conte ici.

 

S’essayer pour la première fois à la peinture à 60 ans n’est pas chose courante. C’est à la limite étrange et insolite, surtout qu’ici, le principal concerné est un expert des télécommunications à la retraite, président de Dahira et même probable imam. Pour résumer ce qui lui est arrivé, Abdoulaye Diallo vous dira : ‘’J’ai découvert le jeu à 60 ans.’’ De sa vie, avant sa première expérience, Abdoulaye Diallo ne s’est jamais douté avoir des talents de plasticien, même s’il a toujours été fasciné par le monde des arts, eu égard à la brillance que l’on note dans son regard quand il parle du peintre, sculpteur, graveur et écrivain catalan Salvador Dali. Mais être amoureux des arts ne signifie pas être artiste.

‘’On organisait le festival Jokko sur l’île de Ngor. Il y avait des performeurs à cette rencontre et parmi eux, Kré Mbaye. J’ai vu le grand à l’œuvre et il était d’une puissance impossible. Il faisait des choses extraordinaires. J’avais envie de faire rire tout le monde. J’ai appelé Gaston Madeira qui avait acheté quelques tableaux aux performeurs qui étaient sur l’île et je lui ai demandé de me chercher une toile et des couleurs. J’ai demandé à Kré Mbaye de me prêter son couteau. Il était étonné et me demandait ce que je voulais faire. Quand il a fait, j’ai commencé à l’imiter. Je faisais comme lui et les gens riaient. C’était fabuleux. J’étais fatigué quand je terminais la toile ; et je l’ai laissée là’’, se remémore-t-il.

Il avait même sûrement oublié sa première œuvre et ne pensait pas qu’elle ne serait pas la dernière, quand un de ses amis l’a interpellé et lui a demandé qui est l’auteur de cette création. En rigolant, il lui a dit : c’est moi. Son interlocuteur trouvait qu’il était un artiste talentueux. Abdoulaye Diallo considérait cela comme une taquinerie. Il n’y a pas accordé trop d’attention. Le soir, son ami est revenu à la charge avec une admiratrice de la toile d’essai. Ce qui était un jeu, au début, a commencé à devenir sérieux. La nouvelle admiratrice tenait à acheter le tableau et à l’amener en Europe. Pris de court, M. Diallo a refusé et demandé à l’acheteuse d’attendre, le temps qu’il perfectionne le travail. Il ne pouvait, en fait, pas croire que ce simple gribouillage puisse être considéré comme une œuvre d’art. Mais cela ne lui déplaisait pas que des gens apprécient.

Tableaux ‘’savants’’

Il a alors commencé à jouer le jeu : ‘’Je vais organiser une exposition dans un an, et je vous vendrai après le tableau qui vous intéresse’’, dira-t-il à sa première cliente. Adorant Dali et fin mathématicien, il se disait : ‘’Salvador a commencé à peindre, alors qu’il avait 14 ans. Et pour moi, 59 c’était 14’’. Abdoulaye avait à cette époque 59 ans. ‘’Dali a exposé à 15 ans et pour moi 15, c’était 60 et moi j’allais avoir 60 ans’’, partage-t-il sur un ton plein de malice. Après ce calcul, il se dit qu’il en est capable. L’ancien propriétaire du musée Boribana, feu Boubacar Koné, le fortifie dans son idée. ‘’Un jour, il est venu et m’a trouvé en train de travailler sur une toile. Il m’a dit : Abdoulaye, tu joues et tu ne te prends pas au sérieux, mais ce que tu fais est sérieux. Il m’a filmé et est retourné aux USA. Un jour, sa femme m’appelle et me dit qu’elle a un cadeau pour moi qu’elle a envoyé dans ma boite mail. Je regarde et c’était un film sur moi, monté par le monteur du film ‘’Les Avatars’’. Un grand cadeau pour moi’’, avoue-t-il.

Dans sa demeure en brique rouge au bord de la plage de l’île de Ngor, il s’est créé un atelier. Il veut faire des tableaux ‘’savants’’ et de haute facture. En mode concentration totale sur sa nouvelle passion, il n’arrive pas à réaliser ne serait-ce qu’une toile. Il comprend alors que la première approche adoptée est la meilleure : ne pas se prendre au sérieux. ‘’C’est à partir du jeu que les choses sérieuses se réalisent’’, philosophe-t-il. Dès lors, Abdoulaye Diallo réalise une collection importante. Chose promise, chose due, il monte sa première exposition un an après. ‘’Mes amis étaient là et il y avait 62 toiles. J’étais choqué. Sur les 62 toiles, j’en ai vendu au moins 37. Je me disais que ce n’était pas possible. Moi, je cherchais une passion. J’apprenais à jouer, parce que je n’avais jamais joué auparavant. Mais ce jeu-là est vraiment intéressant. Tu joues et tu gagnes beaucoup plus’’, sourit-il.

‘’Le berger de l’île de Ngor’’

Ainsi commence alors une carrière. Naquit d’ailleurs dès cette exposition le surnom de l’artiste : ‘’Le berger de l’île de Ngor’’. Car, sur nombre des créations de l’artiste étaient présents des animaux ; et l’un de ses amis décida de rebaptiser Abdoulaye Diallo. Seulement, on a du mal à croire à tout cela, en découvrant la maison-atelier-galerie de M. Diallo. Artiste prolifique, il a réalisé énormément de tableaux en 6 ans de pratique. ‘’J’en ai au moins 88 en stock et pas moins de 17 de plus de 3 mètres’’, informe-t-il. ‘’Je faisais 5 à 6 tableaux par jour, au début. C’était cela ma satisfaction. Je peignais beaucoup et j’apprenais également. Ce que vous voyez là, c’est 6 années d’apprentissage, de techniques. Je disais à mes amis politiques que maintenant, je peux dire avoir mon Bac +6’’. Il n’empêche qu’il veut toujours apprendre. ‘’Je visitais des expos, maintenant je visite toutes les expos. S’il faut voyager pour cela, je le fais discrètement’’, fait-il savoir.

Aussi, il vous dit que tout ce qui compte est ‘’puissance de l’intention et la volonté’’ pour réaliser tout ce qu’on veut. ‘’Pour moi musulman, il y a un hadith très fort qui dit que si la volonté de l’homme s’attachait à atteindre ce qui est au-delà du trône céleste, elle y parviendrait forcément par la grâce d’Allah.’’ Donc, pour lui, l’impossible n’existe pas. Un autre de ses viatiques est un conseil d’un de ses professeurs qui lui disait : ‘’Abdoulaye, apprends à tout faire avec sérieux sans te prendre au sérieux.’’ Ce qui fait qu’aujourd’hui, même si beaucoup de gens profanes ou critiques aiment ce qu’il fait, il hésite à dire qu’il est artiste. Son histoire est quand même surréaliste. En outre, du talent, il en a. Difficile de croire qu’il a parfait tout ce qu’il sait, en si peu de temps. En face des créations du ‘’Berger de Ngor’’, vous découvrirez diverses techniques de travail. De la peinture, il en utilise et tient à ses neuf couches. En sus de la gouache, il utilise du ‘’sang de cactus’’, du café ou encore de l’huile de palme pour faire ses tableaux. De la feuille de thé, il a fait les cheveux d’un portrait de Nelson Mandela. ‘’J’aime expérimenter des matières rares’’, déclare l’artiste.

Abdoulaye Diallo et ses 4 ‘’maîtresses’’

Quand on demande à Abdoulaye Diallo ce qui l’inspire, il vous amène à bord de son embarcation en mer, là où se trouve l’ancien phare de Ngor. C’est ici même où s’est échoué le bateau amenant jadis le matériel devant servir à construire le Méridien Président devenu King Fahd Palace. Ici, il y a ‘’jeunes et fières dames avec leur homme au milieu’’. C’est Abdoulaye Diallo et ses 4 ‘’maîtresses’’. Il fait référence aux quatre génies protecteurs femmes : Coumba Castel à Gorée, Mame Coumba Lamb à Rufisque, Mame Ndiaré à Yoff et Mame Coumba Bang à Saint-Louis. A ces dernières, il a même dédié une grande toile intitulée ‘’Réapparition’’. Par ailleurs, le plasticien n’aime pas que ces femmes. Cet amour n’est que le reflet de celui qu’il porte à la ‘’Femme’’. Il faut le voir parler du génie de la ‘’grossesse’’. Il est fasciné par le processus de la naissance. ‘’Pour moi, si Dieu a décidé que c’est à la femme de réaliser cet acte fabuleux, c’est parce que Dieu aime la femme.’’

Ce qui fascine également Abdoulaye Diallo, ce sont les chiffres, les opérations mathématiques. ‘’Ma passion pour les chiffres vient essentiellement de celle que j’ai pour la numérologie religieuse. Je suis talibé tidiane. Ma vie est rythmée par le zikr qui est le chiffre’’, confie-t-il. ‘’Bien avant d’arriver à la peinture, si vous regardez la devanture de ma maison et partout où je suis propriétaire, vous trouverez le saut du Prophète Souleymane.

C’est un carré de sept petits carrés de côté. J’ai une passion pour les ‘’khaatim’’. C’est le talibé qui parle. A force de Zikr, j’ai fini par me dire tout simplement que, pour moi, cette petite chose qui permet à chacun d’entre nous d’avoir certaines potentialités part toujours du 4 et du 7 et particulièrement du 4’’, explique-t-il. ‘’Dieu a créé l’homme à partir de 4 éléments, ceux de nos ADN. Quand on cherche les noms principiels de Dieu, quelle que soit la religion monothéiste, on tombe sur le 4. Le 4 comme les 4 poches de notre cœur. Le 4 pour le musulman, les 4 syllabes du prénom du Prophète Mouhamad. Et quand on sait qu’à l’origine, son nom, c’était Mouhamamadou. C’était donc 5 syllabes. Pourquoi Dieu a décidé d’en supprimer un ? Lui seul le sait’’, dit-il.

A sa thèse, il ajoute : ‘’Vous savez, en islam, on parle toujours de ce nom caché de Dieu. Ibn Arabi a fait un livre intitulé les 3 lettres circulaires, le ‘’waw’’, le ‘’mim’’ et le ‘’noune’’. Que celui qui cherche ce nom, il faudra dans ce qu’il va trouver avoir les lettres que sont les trois citées, précédées du ‘’alif’’, sinon il est à côté. Je ne peux pas en dire plus’’, sourit-il, mystique.   

 BIGUE BOB

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