Publié le 27 Aug 2015 - 02:29
ABOU LO (PCA DE L’AÉROPORT INTERNATIONAL BLAISE DIAGNE)

‘’On ne peut pas avancer une  date de livraison car le chantier est à l’arrêt’’ 

 

Le président du Conseil d’administration de l’aéroport international Blaise Diagne (AIBD) brise le silence. Et c’est pour donner sa part de vérité sur le différend qui oppose l’Etat du Sénégal au constructeur Saudi Bin Ladin Group (Sbg). Dans cet entretien accordé à EnQuête, Abou Lo estime que les réclamations du groupe saoudien ne sont pas fondées. Toutefois, il appelle aux négociations avec Sbg et refuse de se prononcer sur une date de livraison de l’ouvrage aéroportuaire.

 

L’aéroport international Blaise Diagne est au devant de l’actualité du fait d’un contentieux entre l’Etat du Sénégal et la société privée Saudi Bin Ladin Group. Qu’en est-il exactement ?

Effectivement, AIBD fait ces temps-ci la Une de beaucoup de quotidiens et de sites d’information en ligne. C’est un problème très simple. L’Etat du Sénégal, à travers AIBD, a  signé un contrat avec la société Saudi Bin Ladin Group. Le contrat a été signé sous le régime de Me Abdoulaye Wade. Le président Macky Sall a donc hérité de ce dossier. Mais  compte tenu de la continuité de l’Etat, il était du devoir du pouvoir en place de continuer à collaborer avec le constructeur saoudien.

Il y a eu quatre avenants jusqu’ici. Et je dois signaler que les trois avenants ont été signés respectivement au mois de décembre 2008, au mois de juillet 2010 et au mois de juin 2011, donc avant que le président Macky Sall n’arrive au pouvoir. Ces avenants ont été paraphés dans le but d’inclure certaines modifications des travaux. Après, il y a eu un quatrième avenant qui a été signé au mois de juillet 2013. C’est à dire un an après l’accession de l’actuel régime au pouvoir. Dans cet avenant, l’Etat du Sénégal ne devrait pas payer de l’argent. C’était un avenant qui avait été fait parce qu’on avait exclu des avenants précédents les travaux d’un village du nom de Mbadatt qui devrait être déplacé. Ces travaux devraient être intégrés dans un autre avenant qui ferait l’objet d’un cinquième avenant. Toutes les sommes qui ont été dépensées jusqu’au troisième avenant ont été faites avant le régime actuel. Il est important de préciser que depuis que Macky Sall est au pouvoir, l’Etat du Sénégal n’a encore payé aucun avenant, n’a décaissé aucun sou  en dehors de ce qui a été signé dans le contrat initial et dans les trois derniers avenants.

Et qu’en est-il du cinquième avenant dont on parle tant ?

Les travaux du village de Mbadatt devraient être intégrés dans un cinquième avenant. Mais  dans cet avenant, il est mentionné une réclamation de Saudi Bin Laden group.

 Sur quoi porte cette réclamation de Sbg?

Le constructeur  demande des pénalités de retard, des modifications de certaines dispositions du contrat. C’est une réclamation qui s’élève à 96 millions d’euros, environ 63,840 milliards de F Cfa.

Comptez-vous donner une suite favorable à cette requête de Saudi Bin Laden ?

La direction de l’AIBD et son Conseil d’administration sont très clairs. Nous avons rejeté cette demande. Nous disons que tout ce qui a été réclamé par Saudi Bin Laden n’est pas fondé. La faute leur incombe. D’après les calculs de nos experts et techniciens, les seules réclamations que nous devons payer s’élèvent à l’ordre de 200 000 euros (environ 131 millions de F Cfa, Ndlr). Ceci est dû seulement aux pénalités de retard dans les paiements que AIBD devrait à Sbg. Lors de nos négociations avec Sbg au mois de décembre 2013, nous avons été très clairs. Nous avions dit que nous ne reconnaissions pas la réclamation. Nous avons donné notre avis et nous l’avons exposé à nos autorités.

Et quelle a été la réaction de Saudi Bin Laden ?

Naturellement Sbg persiste. Maintenant, pour ne pas bloquer les travaux, nous avons fait une proposition concrète. Il s’agit de faire une démarcation entre les réclamations et les travaux. Nous avons demandé au constructeur de continuer l’exécution des travaux et après, nous allons discuter de la réclamation. Du point de vue technique, la position de l’AIBD est claire : cette réclamation ne peut pas être acceptée. Nous avons soumis notre avis aux autorités, c’est aux autorités de prendre leur décision. Voilà le fondement juridique de tout ce bruit que vous entendez.

Mais si chaque partie campe sur sa position, est-ce qu’on ne va pas tout droit vers un clash ?

Non. Ce que nous avons avancé, c’est une position technique. Compte tenu des éléments techniques que nous avons, cette réclamation n’est pas bonne jusqu’à ce qu’il nous donne des arguments qui peuvent contredire cela. Au stade où nous sommes et d’après les avis techniques que nous avons et l’avis de notre assistant maître d’ouvrage qui est chargé de la validation des études, du contrôle et de la supervision des travaux, nous ne pouvons pas accepter techniquement cette réclamation.

Et si  Saudi Bin Laden ne cède pas…?

Dans tous les cas, nous avons proposé qu’il y ait un cinquième avenant. Je vous ai parlé tantôt du village de Mbadatt qui a été déplacé. Il doit y avoir des travaux au niveau du site de déplacement. Ces travaux doivent faire partie d’un cinquième avenant. Dans tous les cas, nous devons signer un cinquième avenant. Si la réclamation est acceptée ou s’il y a des négociations là-dessus, ça fera l’objet d’un sixième avenant. Ce que nous disons est que la réclamation s’élève à 200 000 euros, les pénalités de retard. Rien que pour cela, il doit y avoir un autre avenant.

A combien s’élève le cinquième avenant ?

Le cinquième avenant s’élève à 10 millions d’euros (6,5 milliards de F Cfa). Et c’est pour les travaux du site du village de Mbadatt, lequel  a été déplacé.

Les travaux de construction de  l’AIBD sont au ralenti. Que comptez-vous faire pour sortir de cette impasse ?

Aujourd’hui, AIBD SA ne doit rien au groupe Saudi Bin Laden. Nous avons signé un contrat clair avec cette société. Nous payons à des échéances bien précises compte tenu de l’état d’avancement des travaux. Pour chaque décaissement, nous avons l’évaluation, nous avons la supervision et nous payons des factures que nous présente Saudi Bin Laden group. Il est donc du ressort de Sbg de finaliser les travaux.

Est ce que Saudi Bin Laden doit de l’argent à des entreprises sous-traitantes ?

Saudi Bin Laden a signé des contrats de sous-traitance avec des sociétés qui sont en grande partie des sociétés sénégalaises. Dans ces contrats, AIBD n’a rien à avoir. AIBD paie régulièrement le groupe Saudi Bin Laden. Maintenant, Saudi Bin Laden doit payer, après exécution des travaux, à ses sous-traitants. Le contenu de leur contrat n’engage pas AIBD SA. Donc, s’il paie ses sous-traitants, c’est entre eux. Si les sous-traitants ne sont pas payés, les travailleurs de ces derniers ne vont pas faire les travaux et c’est ce qui a emmené les problèmes. Donc, il ne faut pas lier le cinquième avenant au non-paiement des sous-traitants. Du point de vue contractuel, nous avons payé Bin Laden Group. Si aujourd’hui des entreprises ne sont pas payées, cela ne relève pas de la faute de AIBD SA ni de l’Etat. Mais plutôt  du constructeur Saudi Bin Laden Group qui n’a pas payé ses sous-traitants. D’ailleurs certains ont même arrêté les travaux.

Quel est le taux de réalisation actuel des travaux ?

Je parle rarement des détails d’un chantier mais je ne me fie qu’aux chiffres que nous donnent nos techniciens et en premier lieu, l’assistant du maître d’ouvrage. Aujourd’hui, selon les études et les estimations de cette entreprise, nous sommes à 85% et moi je me limite à ça, parce que ce sont des chiffres qui ont été donnés par l’assistant maître d‘ouvrage,  lequel fait office de bureau de contrôle et de supervision du chantier.

 Des sources proches de Saudi Bin Ladin Group font état d’un taux d’exécution de 90% 

Je dis et je le répète, j’ai entendu beaucoup de chiffres mais moi, je me fie aux chiffres que nous donne notre maître d’ouvrage. Et selon ces chiffres, nous sommes à 85%.

Est ce que le blocage ne se trouve pas aussi dans la redevance de développement des infrastructures aéroportuaires (Rdia) comme l’avancent certains ?

Dire cela, c’est ne pas connaître le concept qui sous-tend la création du projet de l’AIBD. La Rdia n’a aucun rapport avec le constructeur même s’il y a un rapport indirect entre l’état d’avancement des travaux et le rythme des décaissements. Aujourd’hui, le problème de la Rdia n’affecte pas, du tout, les paiements que AIBD doit à Sbg. Comme je l’ai dit, nous sommes à jour. La collecte de la Rdia AIBD n’a rien à voir dedans. Il y a des organismes qui sont chargés d’assurer cette collecte pour le compte de l’Etat. Cet argent collecté ne transite par aucun compte d’AIBD SA. Il va directement vers un compte séquestre au niveau de la Banque BNP Paribas. Donc, cela n’a aucun rapport avec l’arrêt des travaux ou leur avancement. Il y aurait un rapport si AIBD n’avait pas payé à cause d’un refus des bailleurs de décaisser de l’argent. Nous ne sommes pas dans ce cas de figure.

Parlons maintenant des populations affectées par le projet de construction de l’Aibd. Où en êtes-vous avec les recasements?

C’est le lieu de remercier toutes les autorités qui sont impliquées dans ce dossier. En premier les autorités administratives de la région de Thiès et les autorités locales mais aussi de remercier les députés, le Forum Civil et toutes les bonnes volontés et le guide religieux Serigne Abdoul Aziz Sy  ‘’Al Amine’’. Aujourd’hui, l’essentiel a été fait. Nous avons signé un protocole d’accord avec les populations qui ont accepté, dans leur grande majorité, de quitter les villages et d’aller s’installer dans les sites de recasement. Il y a eu quelques populations qui ont été réfractaires. Elles avaient refusé de quitter et d’aller dans les sites de recasement proposés par l’Etat. Mais aujourd’hui, elles sont en train de revenir sur leur décision. A la suite de la visite du ministre des Transports aériens, certaines de ces familles réfractaires ont accepté d’aller rejoindre finalement ces sites proposés par l’Etat. Nous pensons que dans les prochains jours, la quasi-totalité de ces familles vont accepter de rejoindre ces sites.

Donc il y a toujours des familles qui sont restées sur place ?

Ces familles ne disent pas qu’elles restent sur place. Elles veulent quitter les lieux mais elles ne veulent pas être recasées dans les sites proposés par l’Etat mais dans un autre périmètre non loin de l’aéroport où se trouvent leurs champs. Ce n’est pas parce qu’elles ne veulent pas quitter. Sur le principe, elles sont tous d’accord. Maintenant, c’est de voir où est-ce qu’elles vont aller. Aujourd’hui,  il y a 6 familles qui sont concernées. Mais nous pensons qu’elles vont toutes finir par  rejoindre le site.

Aujourd’hui, le taux d’exécution des travaux est de 85%, le recasement est presque assuré, à quand la livraison de l’AIBD ?

 Je ne peux pas avancer de date parce que avancer une dat, c’est supposer avoir un état du chantier bien précis. Aujourd’hui, les travaux sont arrêtés. Quelle hypothèse pouvons-nous faire pour dire que les travaux seront terminés à telle date. Ce qui est plus important est qu’on trouve une solution pour continuer les travaux. Si aujourd’hui, les travaux sont arrêtés, nous sommes dans une impasse, comment peut-on avancer des dates dans ce cas de figure ?

Pourtant votre ministre de tutelle a avancé une date ; juillet 2016. Qu’en pensez-vous ?

Le ministre a avancé une date, il a ses raisons. Moi à mon niveau, je dis ce que je pense, ce que je constate sur le terrain. Nous avons un chantier qui est pratiquement à l’arrêt ou qui est au ralenti complètement ; nous sommes en négociation, nous n’avons pas encore terminé les négociations, nous n’avons pas signé le cinquième avenant pour lequel Saudi Bin Laden Group prend comme condition de continuer les travaux. Les sous-traitants réclament le paiement de leurs factures, cela n’est pas fait. Dans ces conditions, je n’avance pas de date.

Donc c’est peu probable que l’aéroport soit réceptionné en juillet 2016 ?

Vous pouvez tourner comme vous voulez, je n’avance pas de date.

PAR ALIOU NGAMBY NDIAYE

 

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