Publié le 29 Jul 2016 - 22:36
ABOUBACRY MBODJ (PRESIDENT DE LA RADDHO)

‘’Les citoyens sont très déçus par Macky Sall’’

 

La gestion du pays par le Président Macky Sall n’apporte aucune rupture. C’est du moins le constat du président de la Rencontre africaine pour la défense des droits de l’Homme (Raddho). Aboubacry Mbodj, dans cet entretien avec EnQuête, soutient que le relèvement de Nafi Ngom Keïta de la tête de l’ONAC participe de l’affaiblissement des corps de contrôle.

 

Le Président Macky Sall a récemment mis fin aux fonctions de Nafi Ngom Keïta à la tête de l’OFNAC désormais sous la houlette de Seynabou Ndiaye Diakhaté. Quel commentaire un tel acte vous inspire ?

Nous avons tous été surpris de la décision de l’Etat de ne pas renouveler le contrat de Nafi Ngom Keïta à la tête de l’OFNAC. Or, le dernier rapport qu’elle a publié en mai 2016, a été un excellent document très fouillé, qui met en exergue les malversations par rapport à la gestion de certains responsables au plus haut niveau. C’est un grand étonnement pour la Raddho de voir des personnes qui ont fait un excellent travail, traitées de cette manière. Elles sont mises dans une situation très inconfortable.

Car, après la publication de ce rapport, des personnalités qui sont très proches du camp présidentiel ont formulé des critiques très acerbes, y compris le directeur de cabinet du président de la République. Ce qui ne va pas dans le sens du renforcement des organes de contrôle mis en place pour lutter contre la corruption, la non-transparence et la concussion. La Raddho est pour le renforcement des institutions de contrôle notamment l’OFNAC, l’Inspection générale d’Etat (IGE) et la Cour des comptes.

Est-ce que Nafi Ngom Keïta n’a pas été victime de ce rapport ?

C’est parce qu’elle est allée jusqu’au fond des choses qu’elle a été relevée de ses fonctions. La thèse selon laquelle elle a été limogée comme l’affirme Me Mame Adama Guèye, semble plausible. Pour la première fois, nous avons vu des personnalités proches du pouvoir épinglées par un organe de contrôle de l’Etat et qui, d’une certaine manière, a transmis les résultats de son travail à la justice. Malheureusement, ce qu’il faut constater, c’est que la justice qui devait assurer le suivi ne s’est pas prononcée jusque-là sur les résultats de ce rapport.

Justement, comment appréciez-vous l’indifférence de l’Etat par rapport à ce rapport ?

Mais c’est ce qui est surprenant et décevant ! L’OFNAC n’est pas un organe judiciaire. Donc il ne juge pas. Il révèle des faits qu’il transmet à la justice. Maintenant, c’est à celle-ci de convoquer les personnes qui ont été épinglées afin de les entendre. Même si ces personnes sont présumées innocentes jusqu’à ce que la justice ait établi leur culpabilité ! Mais nous avons vu que depuis lors, la justice n’a fait aucun effort pour examiner les résultats et les recommandations de ce rapport. Cela montre tout simplement que notre justice fonctionne avec des manquements extrêmement graves comme le relève d’ailleurs l’Union des magistrats du Sénégal (UMS) qui demande que le président de la République ne soit plus membre du Conseil supérieur de la magistrature (CSM), au même titre que le ministre de la justice, pour préserver l’indépendance de cet organe. Cela entre dans le cadre des relations formulées par la Commission nationale de réforme des institutions (CNRI).

Est-ce que le départ de Nafi Ngom Keïta ne va pas encourager certains à continuer les dérives dans leur gestion ?

Ça, c’est évident. Cela, d’autant plus que ce sont des proches du président de la République qui ont eu à élever la voix contre le rapport. C’est une manière même de donner raison à ces personnes. Cela va dans le sens effectivement de l’affaiblissement des organes de contrôle. Quelle que soit la personne qui sera mise à la tête de l’OFNAC, si on ne lui donne pas toute la liberté requise pour qu’elle exerce correctement son travail, l’OFNAC ne sera qu’un tigre en papier. Et c’est ce que nous regrettons.

On nous a fait croire qu’avec l’OFNAC, il y aurait une justice indépendante, une gestion et une gouvernance vertueuse. Toutes ces promesses nous semblent aujourd’hui illusoires dans la mesure où toutes les personnes qui travaillaient avec Nafi Ngom Keïta, qui ont eu à produire ce rapport qui a été salué par une écrasante majorité de la société civile travaillant dans la transparence et la redevabilité, ont été  décriées. Parce que c’est un acte qui, aujourd’hui, décourage toute personne qui va dans le sens d’une meilleure gouvernance, d’une gouvernance sobre et vertueuse comme le Président l’avait annoncé dès son accession à la magistrature suprême de l’Etat.

Croyez-vous toujours à ce concept de gouvernance sobre et vertueuse comme mode de gestion ?

Non ! En tout cas, les actes posés ne correspondent pas aux promesses qui ont été faites. Aujourd’hui, il y a un doute qui pèse sur toutes ces promesses. Nous constatons qu’il n’y a pas de rupture par rapport à l’ancien régime. Nous déplorons le fait que tout ce qui a été annoncé reste en état de promesse non tenue. Il faut dire que les citoyens, comme nous en tant qu’organisation de la société civile œuvrant pour la transparence et la bonne gouvernance, nous sommes très déçus et nous sommes très sceptiques par rapport à cette gouvernance vertueuse.

Pour le juriste Me Mame Adama Guéye, par ailleurs membre de la société civile, ce limogeage de Nafi Ngom Keita relève d’une violation de nos textes. Qu’en dites-vous?

Si on suit la logique des choses, elle a été nommée. Mais elle a prêté serment des mois plus tard, c’est-à-dire en mars 2014 de sorte que son mandat devait prendre fin en mars 2017. A ce niveau, il faut examiner la loi de façon plus précise pour voir s’il n’y a pas eu une violation de nos textes. Je ne peux pas dire qu’il y a actuellement une violation. Mais la thèse de Me Mame Adama Guèye me semble plausible. C’est comme s’il y avait une précipitation à se débarrasser de la présidente de l’OFNAC qui est devenue gênante pour le gouvernement en place.

Je pense que l’OFNAC est une institution indépendante, ne serait-ce que sur la base des textes. Aujourd’hui, il faudrait veiller à ce que le pouvoir en place respecte scrupuleusement les textes de loi qui régissent notre démocratie, la gestion transparente des affaires publiques et économiques dans notre pays. Au cas contraire, ce serait quelque chose qui peut pousser les citoyens à remettre en cause tout ce qui nous a été annoncé comme relevant d’une gouvernance vertueuse. Ce serait regrettable car, ce serait un recul et un précédent  dangereux pour la bonne gouvernance au Sénégal.

L’autre affaire qui défraie la chronique, c’est la suspension d’Ousmane Sonko de son poste d’Inspecteur des impôts et domaines. Comment la société civile apprécie cette décision de l’Etat?  

Pour ce cas, certains disent que M. Sonko, étant un inspecteur des impôts et domaines, doit avoir une obligation de réserve. Ce qui signifie que tout acte posé doit se fonder sur la loi. Qu’est-ce que préconise la loi ? Je pense qu’il y a d’éminents magistrats qui peuvent statuer sur ces questions. Si M. Sonko a eu à outrepasser ses prérogatives, il tombe sous le coup de la loi. Et s’il a la liberté d’exprimer ses points de vue par rapport au statut qu’il occupe, c’est la loi qu’il faudrait saisir pour interpréter et voir quelle attitude prendre par rapport aux propos qui ont été émis par Ousmane Sonko.

Malheureusement, nous constatons que dans la plupart des cas, on fait fi de la loi,  de la Constitution et même des instruments juridiques que le Sénégal a signés et ratifiés. Cela est regrettable et ce n’est pas la première fois. Nous l’avons constaté avec la réactivation de la Cour de répression de l’enrichissement illicite (CREI) qui méritait d’être mise à jour par rapport à la Constitution et par rapport aux traités que le Sénégal a ratifiés. Nous l’avons également vu durant le référendum avec la volte-face que le Président a faite en disant que le Conseil constitutionnel a rendu une décision alors qu’il s’agissait d’un simple avis. Tout cela porte à croire que le respect des lois est mis à rude épreuve au Sénégal. Et c’est vraiment dommage par rapport à toutes ces questions. Mais nous pensons qu’il faut aujourd’hui laisser la justice indépendante statuer sur toutes ces questions.

PAR ASSANE MBAYE ET HABIBATOU TRAORE

 

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