Publié le 11 Nov 2018 - 20:22
ABSENCE DE FORAGES, D’AMBULANCE, D’ELECTRICITE, DE PISTES DE PRODUCTION…

La commune de Niagha hors du temps

 

La commune de Niagha, forte de 13 705 habitants répartis dans 56 villages, manque de tout. Ni électricité ni pistes de production, encore moins de forages ou d’ambulance médicalisée. Elle est oubliée des autorités. Il y a 10 jours, les populations ont battu le macadam pour réclamer plus de considération.

REPORTAGE

Niagha est  un grenier sinistré. Une commune étrangère à toute notion de bonheur. Et pourtant, elle dispose d’atouts importants à même de contribuer efficacement à son essor économique. Mais les populations pataugent dans des difficultés multiples et chroniques. Il s’agit de l’accès à l’eau potable, de l’absence d’ambulance, de forages, de pistes de production, entre autres. C’est pourquoi cette contrée est intitulée ‘’Niagha, les misères d’une localité oubliée’’.

Nichée à l’est de la région de Sédhiou, sur la route nationale n°6 et fondé en 1978, Niagha est une commune peuplée principalement de Peulhs, de Mandingues, de Manjaques et de Wolofs. Dans cette contrée, l’accès à l’eau potable est encore un luxe pour les populations. C’est le constat qui frappe tout visiteur qui foule le sol de la commune située dans le département de Goudomp. Dans cette localité, les habitants ne boivent que l’eau des puits et des rizières. Pas l’ombre d’un château d’eau dans la commune qui polarise 56 villages pour 13 705 habitants.

Dès le petit matin, femmes et enfants effectuent de nombreux trajets jusqu’aux puits pour y chercher l’eau nécessaire à la famille. Ce liquide précieux, qui sert de boisson, à la cuisson des aliments et permet de satisfaire les autres besoins, constitue ici un enjeu majeur. La corvée d’eau dure toute la journée, dans un incessant va-et-vient. Et ce combat, exclusivement mené par les femmes, donne une idée précise de la féminisation de la pauvreté.

Malgré cette vie de galère, les femmes se chamaillent, s’esclaffent, devisent tranquillement et naturellement avec les visiteurs qui ont du mal à comprendre comment elles supportent cette situation pénible et désagréable savamment masquée par des sourires larges et gentils. A les voir puiser, faire la navette entre les maisons et les puits, on a l’impression qu’une malédiction est tombée sur leurs têtes.

Pas l’ombre d’un forage dans la commune

‘’Ces braves femmes qui, parfois, portent sur leur dos des bébés, sont obligées de faire ce trajet un nombre incalculable de fois par jour, parce qu’il n’y a même pas l’ombre d’un forage dans la commune. C’est regrettable’’, se désole le maire Yoro Mballo. Coumba Baldé, trouvée assise sur un tabouret en train d’allaiter son bébé, explique : ‘’Nous nous réveillons à 5 h du matin pour puiser et pouvoir se ravitailler en eau. A 7 h, nous nous affairons autour du petit-déjeuner pour les membres de la famille. Nos lavons les enfants et nettoyons la cour de nos maisons. Ce n’est pas tout. Nous utilisons aussi cette eau des puits, parfois des rizières, pour laver les ustensiles de cuisine. Nous l’utilisons pour boire, pour faire la lessive et pour abreuver le bétail.’’

Dans certains villages visités par ‘’EnQuête’’, les chefs renseignent que ‘’les populations ont cotisé pour creuser de nouveaux puits. Car l’eau de ceux qui sont là depuis des décennies est devenue imbuvable et les puits tarissent, surtout en période de saison sèche’’. Samba Diao, habitant de Saré Téning, trouvé sur le bord de la route en compagnie de ses camarades, explique que les ‘’femmes souffrent énormément de cette situation’’. D’ailleurs, leur porte-parole, Binta Baldé, réclame la construction de forages pour alléger leurs souffrances.

La diarrhée, un problème quotidien

Le manque d’eau potable n’est pas le seul fardeau qui pèse sur les populations de la commune de Niagha qui luttent, en cette période de soudure, pour survivre. En effet, dans cette localité, la diarrhée fait partie du quotidien. L’eau est potable à la source, mais toute l’activité autour des puits laisse des traces. Des objets jetés par les enfants, des substances animales et des bactéries infectent les puits de Niagha. ‘’Dans ces conditions, soutient le maire Yoro Mballo, les personnes ne sont pas épargnées par la diarrhée. Nos enfants sont souvent victimes de cette maladie et de maux de ventre, surtout en cette période de saison des pluies’’.

Un tour au poste de santé nous permet de nous rendre compte de l’ampleur du problème, malgré l’absence de l’infirmier chef de poste en mission à Kolda.

Niagha réclame une ambulance pour évacuer ses malades

La commune de Niagha est aussi confrontée à un problème d’évacuation des malades vers les hôpitaux régionaux de Sédhiou et de Kolda. Elle ne dispose pas d’ambulance. ‘’A certaines périodes, surtout en cette période hivernale, nous avons de sérieux problèmes pour évacuer nos malades vers l’hôpital régional de Kolda. Parfois, c’est mon véhicule, en tant que maire de la localité, qui sert d’ambulance’’, se désole l’édile Yoro Mballo.

Le président de la jeunesse de la commune de Niagha, Ousmane Baldé, de renchérir que le problème date de 16 ans et la construction du poste de santé (2002). Désolé de la situation, il regrette les femmes qui meurent entre Niagha, Kolda et Sédhiou. Car la commune est distante de Sédhiou, la capitale régionale, de 37 km. Kolda se trouve à 46 km. ‘’C’est souvent au cours du trajet, alors qu’elles sont en travail pour accoucher, que les femmes meurent en pleine forêt sur des charrettes ou sur des motos Jakarta qui assurent leur évacuation vers les hôpitaux des deux régions, sans compter les enfants qui meurent avec. On a fini de compter nos morts, parce qu’on se perd dans le décompte’’, s’emporte-t-il.

Le jeune homme se demande comment on peut transporter une femme sur le point d’accoucher sur une charrette ou une moto Jakarta, surtout pendant l’hivernage. ‘’On ne sait pas combien de nos femmes meurent par année, à cause du manque de personnel au poste de santé de Niagha ou alors à cause de l’éloignement de structures sanitaires qui se trouvent à des kilomètres de nos lieux d’habitations’’.

‘’Ce problème est tellement crucial que la quasi-totalité des femmes de la commune accouchent à domicile, surtout celles qui habitent les villages éloignés de la nationale n°6. Parfois, dans ces villages, quand on a besoin d’infirmiers ou de sages-femmes, on ne voit personne. Alors, on retourne aux méthodes de nos ancêtres. Parce qu’il manque des postes de santé dans la commune’’, déplore Farou Baldé, porte-parole des femmes du village de Bantanguel.

En plus de l’absence de structures de santé, l’on dénonce également les difficultés auxquelles sont confrontées les femmes pour accéder au crédit, la nécessité de disposer de semences de qualité, d’engrais, d’intrants et de matériels agricoles pour mettre en valeur des parcelles maraichères et rizicoles.

Niagha dépourvu de pistes de production

L’autre problème auquel font face les habitants de la commune de Niagha est celui de l’enclavement. Même si le chef-lieu de commune est situé sur la nationale n°6. Se rendre à Lamel, à Bantangnel, à Bourbon, à Saré Diao, à Sinsinko, à Soliko, entre autres villages, est un véritable casse-tête chinois. Aucune route praticable ne passe par ces villages. Les gouvernements ont promis de construire des pistes de production, depuis Léopold Sédar Senghor jusqu’à Macky Sall, en passant par Abdoulaye Wade et Abdou Diouf. Et pourtant, chaque saison, plusieurs tonnes de produits vivriers, arachidiers et de rente sortent de cette commune en direction du marché hebdomadaire de Diaobé, de Dakar, de la Gambie, voire de la Guinée-Bissau. Or, il faut beaucoup de temps pour parcourir des pistes parsemées d’embûches.

‘’Nous souhaitons vivement que des pistes de production soient construites dans la commune de Niagha. Car il existe dans la zone beaucoup de potentialités économiques : agriculture, élevage, culture maraichère, produits forestiers. Mais, très souvent, nos produits agricoles et laitiers, de même que les récoltes maraichères, pourrissent sur place, faute de routes praticables et de moyens de transport’’, expliquent la plupart des paysans rencontrés. D’après ces derniers, désenclaver cette commune, c’est participer activement à l’essor économique du département de Goudomp, voire de la région de Sédhiou.

C’est pourquoi les populations de la commune ont battu le macadam pour se faire entendre sur les maux qui minent leur quotidien. Elles réclament de meilleures conditions de vie.

Niagha privé d’électricité

19 h. Le soleil se couche sur Niagha. Le responsable communal des jeunes nous invite à partager le diner avec lui autour d’une lampe-tempête. L’occasion est alors toute trouvée pour lui demander la raison pour laquelle la commune manque d’électricité. Selon lui, à la tombée de la nuit, il est quasiment impossible de se mouvoir. ‘’Cette zone, poursuit-il, est une mine d’insécurité’’. Il fait référence ‘’à la recrudescence des attaques à main armée, de vols de bétails et de panneaux solaires, des règlements de comptes entre leaders politiques, etc.’’.

D’ailleurs, les populations attendent toujours de l’actuel président de la République, Macky Sall, qu’il tienne sa promesse d’électrifier la commune, afin de sécuriser les populations et leurs biens et d’améliorer leur qualité de vie. ‘’Nous continuons de réclamer de l’électricité aux autorités étatiques, parce que nos enfants ont besoin de se connecter, de faire des recherches sur Internet pour augmenter leur savoir et apprendre. En dehors de cela, l’électricité nous permet aussi de suivre les informations, grâce à la télévision’’, souligne Ousmane Baldé.

Niagha, ville morte

Le samedi 6 octobre dernier, la commune de Niagha était une ‘’ville morte’’. Les boutiques, les gargotes et le petit marché avaient baissé leurs rideaux. Les marcheurs, qui ont emprunté la route nationale n°6, ont convergé vers la mairie pour remettre leur mémorandum. Au cours de leur trajet, les populations n’ont pas cessé de fustiger les conditions difficiles auxquelles elles sont confrontées quotidiennement. A leur point de chute, Ousmane Baldé, le président de la jeunesse de la commune de Niagha, par ailleurs porte-parole du jour, a listé les maux dont souffre la commune.

‘’Soucieuses des multiples manquements notés dans les tous les secteurs de la vie, les populations de Niagha fustigent la manière dont elles sont reléguées au second plan. Elles demandent l’arrêt immédiat des discriminations qui frappent leur commune et réclament l’équité et la justice humaine. C’est pourquoi nous décidons aujourd’hui d’avancer sans transiger sur certaines questions sans lesquelles nous ne pouvons pas participer au banquet de la mondialisation’’. Ousmane Baldé d’ajouter : ‘’Dans ces problèmes, la seule réponse qui vaille est la suivante : l’éclairage public dans la commune de Niagha, l’obtention d’une ambulance médicalisée, l’amélioration du plateau technique du poste de santé, la construction de forages et de pistes de production pour raccorder les villages.’’

D’après les manifestants, la longue marche vers la prospérité de Niagha passe par l’obtention, d’abord, de l’eau potable, ensuite de l’électricité, de la construction de pistes de production et des mesures d’accompagnement pour son développement.

EMMANUEL BOUBA YANGA

 

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