Publié le 13 Jan 2020 - 21:57
ACCOUCHEMENT AU SENEGAL

Le calvaire de la délivrance

 

Pour une femme enceinte, l’angoisse est une compagne quotidienne. Actuellement, au Sénégal, il faut y ajouter le calvaire de l’accouchement, du fait de la faible capacité de prise en charge des structures hospitalières. Des femmes en travail font le tour des structures sanitaires, espérant trouver un point de chute, afin de mettre au monde leurs nouveau-nés. Une longue chevauchée… au bout de l’angoisse. Reportage.

 

La jeune dame n’arrive pas à fermer l’œil, dans la salle post-natale du centre de santé Philippe Maguilène Senghor. Sa voix mélancolique perce le silence de la nuit. Elle se remémore. Elle culpabilise.  Et elle regrette. Anta vient de mettre au monde un mort-né. Ce, après avoir fait le tour des structures sanitaires pour son accouchement. La jeune dame a été, tour à tour, renvoyée à cause d’un manque d’espace, lui a-t-on servi, à chaque fois. ‘’Si on nous avait admis très tôt dans les précédents hôpitaux, le bébé serait sûrement né sain et sauf’’, dit-elle avec amertume à son mari, son seul accompagnant.

Pour la soulager, ce dernier, apparemment meurtri et affligé, évoque la volonté divine et s’en remet à Dieu. ‘’Cela devait certainement se passer comme ça. Alors gardons la foi’’, dit-il. Cette dame voit ainsi neuf mois d’attente réduits à néant.

Son histoire rejoint celle d’Aicha. Contrairement à la susnommée, l’habitante de Grand-Yoff a eu la chance de mettre au monde son fils.  Mais à quel prix ! 22 h, dans ce quartier populeux, Aicha, en état de grossesse très avancée, profite de la pénombre pour se rendre furtivement dans le district sanitaire de la zone. Habillée d’une robe multicolore ample, son mouchoir de tête solidement nouée, la jeune dame essaye tant bien que mal de cacher sa souffrance. Les contractions ne lui laissent pas de répit. Elle grimace de temps à autre et gémit quelquefois pour exprimer sa douleur. A bord d’un taxi, elle s’impatiente. Son gros ventre, elle l’a recouvert avec un large foulard pour se protéger des regards indiscrets. Une fois dans la structure sanitaire nichée dans la municipalité du ministre de la Santé Abdoulaye Diouf Sarr, la dame se rend compte qu’elle n’est pas au bout de ses supplices.

Dans un long couloir qui ne finit pas de s’étirer, est installé un banc pour les malades et leurs accompagnants. Ici, on se croirait en plein jour, car les va-et-vient sont incessants. On est devant la salle de consultation de la maternité ; une bâtisse aux murs verts-blancs.  Un passage obligatoire, avant d’admettre les patientes en salle d’accouchement. Aicha rejoint la file et patiente. Très vite, elle oublie sa douleur qui laisse place à l’angoisse.  Puisqu’après un passage à la salle de consultation, on lui notifie qu’il est impossible de la garder dans les lieux, à cause d’un manque de place. Aicha ne sera pas admise en salle d’accouchement. La déception se lit sur le visage ; elle fait signe à ses accompagnants de quitter les lieux. ‘’Elle (la sage-femme) dit que je dois être en observation, alors qu’il n’y a pas assez de places dans cette hôpital. Elle m’a orientée dans une autre structure (Abass Ndao) et m’a même remis une note pour cela’’, tente-t-elle de se rassurer.

Alors, commence son marathon. Elle choisit de se rendre au centre de santé Nabil Choucair de la Patte d’Oie. Ici, la préposée au service d’accueil de la maternité est momentanément absente. De retour, la dame à la blouse rose anéantit une nouvelle fois l’espoir d’Aicha. ‘’Madame, nous n’avons pas de place ; allez voir à l’hôpital Philippe Senghor’’, sert-elle à la patiente, alors que les contractions s’accentuent. Aicha et ses accompagnants ne savent plus à quel saint se vouer. Et pourquoi ne pas essayer de voir le privé pour un meilleur salut ? Cette perspective sera vite rangée aux oubliettes, face aux assertions d’une patiente qui a également fait le tour des hôpitaux et même des cliniques, sans succès. Affalée sur une chaise dans la salle d’attente, le teint noir, la jeune femme doit accoucher d’un prématuré de 7 mois. Par conséquent, elle aura besoin de crèche pour son futur bébé.

‘’A chaque fois, on me renvoie pour défaut de place’’

‘’J’ai quitté chez moi dans la matinée, vers 10 h. Depuis lors, je suis à la recherche d’une structure sanitaire. A chaque fois, on me renvoie pour défaut de place. J’ai même été à une clinique où on m’a exigé une forte somme, avant mon admission. Je leur ai demandé de me laisser jusqu’à demain pour apporter l’argent, car je ne l’ai pas avec moi, mais ils n’ont pas voulu m’admettre. Nabil Choucair est la deuxième structure sanitaire où je me suis rendue depuis ce matin’’, narre-t-elle d’un trait.

Devant ces propos, Aicha reste bouche-bée, et la peur se lit sur son visage déjà recouvert du masque de la grossesse.

Le salut, pour la jeune dame, viendra d’un voisin dont le frère travaille à Gaspard Camara. En effet, devant la tournure des événements, l’un des accompagnants a pris son téléphone pour appeler le voisin qui, aussitôt, a câblé son frère qui n’était pas de garde cette nuit-là. Mais ce dernier a pris la peine d’appeler à l’hôpital et expliquer que sa nièce allait venir accoucher là-bas. C’est ainsi qu’elle a pu retrouver le sourire et connaître les joies de la maternité.

La circulaire du ministre, le sauf-conduit

La maternité est le rêve de toutes les femmes. Un rêve qui est en passe de se transformer en cauchemar pour nombre de femmes au Sénégal. En plus des douleurs de l’accouchement, les femmes doivent, depuis un bon bout de temps, composer avec le manque d’espace dans les structures publiques. Avant d’entendre les cris de leurs nourrissons, elles vivent un véritable calvaire. C’est dans ce contexte qu’intervient la circulaire du ministre de la Santé relative à la prise en charge des urgences. Dans sa note, Abdoulaye Diouf Sarr demande aux directeurs d’hôpitaux que ‘’tout patient qui arrive en situation d’urgence doit être prioritairement pris en charge. (…) Faute de place ou de conditions optimales de prise en charge, il doit organiser sa référence avec la structure où il sera orienté ou le faire en collaboration avec le Samu (…)’’.

Il faut dire, cependant, que le Sénégal n’est pas prêt encore à résoudre le problème des urgences. En effet, une femme a perdu la vie à Thiès, durant le premier weekend du mois de janvier, après avoir mis au monde des jumeaux. La nouvelle maman a, d’après les informations, succombé au cours de son évacuation à l’hôpital régional de Thiès. Dans le même sillage, Coumba se remémore encore de l’accouchement difficile de sa nièce, renvoyée par plusieurs hôpitaux et créant ainsi beaucoup d’inquiétude dans sa famille. ‘’Personne n’a fermé l’œil, cette nuit-là, à la maison. On se demandait si son cas n’était pas trop critique, vu les multiples renvois. C’est une clinique qui l’a finalement accueillie et elle a accouché par césarienne, à cause de son long périple.  Ma nièce garde toujours en mémoire la mésaventure de cette soirée’’, explique-t-elle.

Avec cette circulaire du ministre, les femmes sénégalaises peuvent garder un brin d’espoir, quant à l’accueil qui leur sera réservé dans les structures sanitaires.

NB : Les noms ont été changés

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