Publié le 22 Jul 2019 - 19:38
ACCUEIL POPULAIRE DES LIONS

Prime au défaitisme ou belle leçon de vie

 

La toile a chauffé durant le week-end. Pendant que certains se réjouissaient de l’accueil populaire réservé aux Lions du Sénégal, d’autres y voyaient simplement une prime à la médiocrité. Des sociologues membres du think-thant Legs (Leadership, éthique, gouvernance et stratégie) se mêlent à la polémique, apportent leurs éclairages.

 

Malgré la défaite du Sénégal en finale de la Coupe d’Afrique des nations, vendredi dernier, un accueil très chaleureux a été réservé aux joueurs de l’équipe nationale. Ce qui dépasse l’entendement de certains Sénégalais pour qui défaite ne rime pas avec célébration.

Sociologue, Dr Moustapha Ndiaye y va de son commentaire : ‘’Il y a, en effet, un besoin d'enivrement collectif qui transparaît, au-delà de l'effervescence apparente. Il faut savoir que l'enjeu de ces compétitions n'est pas forcément sportif. Un peuple qui souffre au quotidien et qui se sent exclu trouve, à travers ces moments de communion superficielle ou passagère, l'illusion de satisfaction d'un besoin d'appartenance.’’ Le spécialiste se rappelle les années de gloire du Sénégal, lors de ‘’l’épopée’’ de 2002, quand le fameux slogan d’un ‘’Sénégal qui gagne’’ faisait des ravages.

Pour lui, ces instants sont malheureusement instrumentalisés parfois par une certaine élite politique. Il ajoute : ‘’Pour le jeune Sénégalais rejeté par un système oligarchique, anonyme dans son fief, le moment est l'occasion de se sentir membre et le port des maillots permet de gommer les clivages sociaux. La mise en orbite de ces jeunes sortis des mêmes fiefs et ayant réussi la mobilité sociale via le sport, leur donne aussi l'impression d'un self accomplishment par procuration.’’

Selon le sociologue, pour mieux comprendre l’effervescence autour de l’équipe, il faudrait également convoquer les piètres performances des Lions, lors des premiers tours. Ce qui fait qu’un petit ‘’sursaut d'orgueil’’, renseigne-t-il, peut arriver à satisfaire certains compatriotes. Ce qui en soi traduit ‘’un sentiment profond de perte de confiance qui reflète un état d'esprit d'une large frange de la population, notamment jeune. Elle (cette frange de la population) a perdu le droit d'espérer ou la possibilité de triomphe. Ce qui fait qu'une petite avancée est perçue comme un triomphe. Un petit obstacle conçu comme une barrière infranchissable’’.

Le sociologue d’ajouter : ‘’La faiblesse mentale évoquée par nos adversaires est une réalité objective qui dépasse le sport. Le chantier le plus important, à mon avis, est la réconciliation des Sénégalais, notamment les jeunes avec leur amour propre, l'esprit compétiteur et la volonté de surpassement, voire de domination (au sens positif). C'est un point discutable peut-être, mais le débat est ouvert.’’

De l’avis de M. Ndiaye, la prestation en deçà des potentialités des joueurs traduit un certain plafond de verre et d'autosatisfaction qui ne leur permet pas d'optimiser leurs forces.

 Qu'est-ce qui explique cette euphorie ?

Pour sa part, Elimane Kane, lui, tient d’emblée à souligner que l’équipe revient du Caire avec beaucoup de mérite certes, mais sans le trophée. Selon lui, les Lions, qui n’ont pas réussi le grand défi qui consiste à faire entrer le Sénégal dans le palmarès des champions d'Afrique des nations de football, ne méritaient pas un tel accueil. Sociologue, le président du Legs se pose une multitude de questions.

Qu'est-ce qui explique cette euphorie et cet accueil triomphal ? Est-il donc possible de triompher sans vaincre ? Y a-t-il un autre type de victoire à lire dans cette liesse populaire qui a accompagné le retour des Lions dans la Tanière nationale ? Victoire des faux espoirs ou effet placebo d'un sédatif moral ? M. Kane aurait préféré des questionnements sur les défis comportementaux des Sénégalais. Sur les limites dans la finition de nos œuvres. 

‘’Pourquoi peinons-nous souvent à tenir jusqu'au bout de l'effort et de créer les conditions de la réussite accomplie ? Que nous manque-t-il pour que nos moyens et énergies investis puissent donner des résultats optimaux ? Au lieu d'une telle introspection, nous avons préféré mettre les feux des projecteurs sur une sorte de victoire usurpée’’, lance-t-il.

Recourant à Freud, il se demande : ‘’Est-ce une volonté d'assouvir un désir profond pour la coupe qui a su mobiliser tout un peuple, comme un seul homme, pour supporter l'équipe nationale jusqu'à l'assaut final ?’’ A cette question, il répond : ‘’A défaut de trouver la grâce de Dame coupe, objet d’un désir ardent entretenu depuis longtemps, le peuple supporteur décide de décharger sa libido par une masturbation subliminale, en faisant semblant d'accueillir des présumés champions qui n'en sont pas.’’

Pour Elimane Haby Kane, ce comportement n'est pas normal. ‘’Il relève d'une perturbation émotionnelle, symptomatique d’une folie sociale ambiante. Les Sénégalais ont soif d'exutoire fictionnel pour noyer leurs misères et leur désespoir dans une euphorie passagère et accéder au nirvana que nulle autre perspective objective ne permet d'entrevoir, dans les temps qui courent’’.

Très sévère, le panafricaniste estime que c’est un ”peuple" perdu, en quête de célébration, qui s'est laissé aller au rythme des signaux médiatiques pour exulter. ‘’L'ambiance, dit-il, est belle et entraînante, mais le réveil dominical nous ramènera à notre dure réalité, quand on se rendra compte qu'en fait, Dame coupe n'a pas été au rendez-vous pour assouvir notre désir. Nous nous rendrons compte du génocide que nous avons perpétré sur notre espérance d'un Sénégal nouveau, un Sénégal qui gagne’’. 

Après la Can, après l’accueil, Elimane en revient aux dures réalités de la vie sénégalaise qui attend ‘’goorgoorlu’’. Pendant ce temps, les Lions internationaux, sur qui tous ces jeunes, qui s'accrochent à un espoir trahi, projettent leur désir de réussite, regagneront leurs clubs, enrichis de leurs primes de performance. ‘’Ils laisseront derrière eux un semblant de championnat national, avec des clubs pompeusement appelés professionnels, fonctionnant avec un style de management d'un pur amateurisme. L'équipe nationale de football est juste une vitrine diplomatique qui cache toute la misère du football national. Cette photo n'est qu'un échantillon de l'image du pays’’, souligne le sociologue activiste. 

La beauté de l’aventure

Mais, au-delà de la froideur scientifique des sociologues, Fatimata Ba y apporte une toute autre analyse qui n’en n’est pas moins pertinente. Elle dit : ‘’La beauté de l’aventure ne se trouve-t-elle pas dans cet élan de sympathie, malgré la défaite ? Je ne crois pas que ce peuple ait fait semblant d’accueillir des loosers. Il vient d’administrer une belle leçon de dépassement au monde. La victoire n’est finalement pas si essentielle. L’émotion qui se dégage de cette liesse est, selon moi, à regarder avec humilité et bienveillance. Nous avons gagné plus qu’une coupe, une cohésion.’’

FOOTBALL ET POLITIQUE

Entre le réel et les excès  

Malgré l’euphorie, certaines vérités vous fouettent de plein fouet dans le visage. Après l’accueil populaire des Lions, certains observateurs relèvent les contradictions et alertent sur les dures réalités des Sénégalais.

Le temps d’une finale, tous les scandales présumés ou réels étaient devenus dérisoires. Les Sénégalais n’en avaient que pour la Can. Lundi, semble alerter Elimane Haby Kane, retour à la dure réalité de la vie : ''Quand une minorité reprendra le chemin du travail précaire et des tracasseries liées à nos problèmes de mobilité, de gestion de notre cadre de vie, à l'incapacité de milliers de patients à faire face à leurs frais médicaux, malgré les multiples programmes sociaux dédiés, quand des milliers de ménages se réveilleront sans disposer d'un minimum de 1 000 F Cfa pour la dépense quotidienne, pour nourrir une famille nombreuse, quand ces milliers de jeunes qui ont fait le trajet de l'aéroport Lss au palais présidentiel se rendront compte qu'ils n'ont toujours pas de travail et que près des  2/3 de leurs frères et sœurs viennent d'échouer au Bac, ils réaliseront le Sénégal réel  dans lequel nous vivons’’, fulmine le sociologue, un brin amer.

Pour lui, ce qui arrive au Sénégal est loin d’être normal. Dans son tableau très sombre, il peint ‘’un pays où l'essentiel des ressources est mobilisé pour les dépenses de fonctionnement captées par des privilégiés pour laisser la grande masse dans l'émoi de la survivance. Un pays où on continue à donner nos maigres deniers publics aux sépultures des plus nantis, alors qu'on jette en prison de vaillants citoyens qui se dressent pour défendre la souveraineté des peuples et les intérêts de la nation…’’

Ce qui nous arrive, finit-il par fulminer : ‘’C'est une vraie folie collective ! Il est temps que le peuple se consulte pour guérir de sa grande maladie.’’ 

Analysant, pour sa part, le comportement des milliers de personnes qui ont marché des kilomètres et pendant des heures pour accueillir et féliciter les "Lions" du football qui, certes n’ont pas démérité, mais ont perdu la finale de la Can-2019, Mass Boye relève de multiples paradoxes. Pour lui, ces jeunes sont prêts à faire tout ça pour l’accueil des Lions, mais ne sont prêts à se mobiliser même pas pour un rassemblement de 2 heures, quand il s’agit de la bonne gestion de leurs ressources naturelles, même pas contre la cherté de la vie ou l'augmentation des prix (ciment, fer, carburant...). Pour ces situations, on préfère plutôt s’en remettre au bon Dieu : ‘’Yalla Bakh Na’’ (Dieu va nous aider).

L’enseignant relève également la prime de 20 millions promise à chaque Lion (déjà millionnaire) et aux membres du staff par le chef de l’Etat !

Or, fait-il remarquer, le même président, il y a quelques mois, disait que la situation du pays ne permet pas d'augmenter les salaires des agents de la Fonction publique. Pendant ce temps, le gouvernement faisait la sourde oreille, face aux sollicitations d’un directeur d’école presque mourant et qui n’avait besoin que de 7 millions pour aller se faire soigner à l’extérieur. Pour lui, c’est simplement puiser dans le canari pour verser dans le puits. Ce qui doit cesser.


COMMENTAIRE

Le 12e Gaïndé magnifique !

La seule star, c’est lui. Pas les joueurs, ni l’encadrement, encore moins les autorités politiques qui tentent, une fois de plus, la récupération. Lui, c’est le peuple, à travers cette jeunesse déçue, mais debout, qui a tenu à dire ‘’merci’’ à ses représentants à la Coupe d’Afrique des nations. Malgré le goût amer de la défaite ! Comme un père donnant des bonbons à son enfant classé 2e ou 3e à l’examen, bien que conscient qu’il aurait pu, avec un peu plus d’efforts, être premier.

Un peuple grand, endurant, patient, reconnaissant. Un peuple qui ne récompense pas seulement le résultat final, mais qui tient compte des efforts déployés. De quoi donner des frissons à des garçons méritants comme Kalidou Koulibaly.

Non ! Le peuple sénégalais n’est pas amorphe. Il n’est ni complaisant ni méchant. Très critique, quand c’est nécessaire, il sait doper ses enfants, quand ils le méritent. De cet accueil triomphant, la bande à Sadio Mané doit tirer la leçon suivante : le peuple ne leur demande point de se transformer en extraterrestres, mais juste d’être des guerriers, quand ils revêtent le maillot national.

Et pourtant, ce peuple, dans sa chair, souffre de la mal gouvernance, de l’absence de justice sociale, de la boulimie de ses dirigeants, entre autres. Comment cette jeunesse, assaillie par tant de maux, peut en arriver à exprimer autant de joie de vivre pour une équipe défaite ?

En fait, cette jeunesse a tenu à montrer qu’au-delà de la défaite et de la victoire, il y a bien plus important. Ce qui, du reste, reflète bien la nature de la société sénégalaise. N’est-on pas la terre de l’hospitalité ! Ici, ‘’nay rafette’’ est bien plus qu’un simple slogan de rue. Ce qui fait éclater des émeutes dans d’autres pays nous rend parfois indifférent ou stoïque. Oui ! Cela a certes ses inconvénients, donne parfois l’impression d’un peuple mou, crédule, inconscient des grands enjeux de l’heure. Mais cela a également ses avantages, dont le plus précieux est cette stabilité de plusieurs décennies que beaucoup nous envient.

Samedi, le peuple a encore une fois montré qu’il n'attend rien d'extraordinaire de ses joueurs comme de son élite. Il demande juste un peu d’efforts, du respect et la préservation de son honneur. C’est d’ailleurs ainsi qu’il faut comprendre toute l’énergie déployée pour dire non à Oxfam et à tous ceux qui seraient tentés d’entamer l’essence même de notre existence.

La pauvreté oui, mais l’indignité et le déshonneur, jamais !

Par Mor Amar

 

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