Publié le 30 Nov 2018 - 15:57
ACCUSE A TORT OU A RAISON D’ETRE AUX ORDRES DES POLITIQUES

Le juge des élections à l’assaut des préjugés 

 

Toujours critiqué et parfois même diabolisé à cause de ses décisions très souvent favorables au régime, le Conseil constitutionnel se dévoile enfin aux médias. Pour entretenir les professionnels de l’information et de la communication  des limites de ses compétences et de son rôle.

 

Le Conseil constitutionnel a-t-il seulement bon dos ou est-il coupable de tout ce dont on l’accuse très souvent ? En tout cas, sa réputation en a pris un sacré coup, depuis quelques années, à la suite de décisions majeures rendues. La validation de la troisième candidature de l’ancien président de la République Abdoulaye Wade en 2012, l’avis sur la volonté du président de la République Macky Sall d’opérer une réduction de la durée de son mandat de 7 à 5 ans en 2016 tel que promis au peuple ont beaucoup entaché l’image qu’il a toujours reflétée au sein de l’opinion publique sénégalaise.

Prompt à se déclarer toujours incompétent sur toutes les saisines de l’opposition, le Conseil constitutionnel sénégalais livre très souvent des avis favorables sur tous les recours introduits par le président de la République. Cette démarche, considérée, à la limite, comme une politique de deux poids, deux mesures, soulève des suspicions au sein de l’opinion publique sénégalaise qui voit en l’institution ‘’une juridiction complètement couchée’’.

C’est pour déconstruire cette perception de son image que l’institution a jugé utile d’établir un dialogue avec l’opinion, par les biais des professionnels de l’information et de la communication.  

Ainsi, à moins de 3 mois de la présidentielle du 24 février 2019, elle a ouvert, depuis mardi dernier à Mbodiène (Mbour), en collaboration avec le Syndicat national des professionnels de l’information et de la communication du Sénégal (Synpics), une session de formation destinée aux journalistes et axée sur le thème ‘’Conseil constitutionnel et médias : un dialogue à établir’’.

 ‘’Mauvais procès’’

S’épanchant largement sur le rôle et les compétences du juge des élections, le Pr. Babacar Kanté soutient que très souvent, on fait  un mauvais procès au Conseil constitutionnel. ‘’Le Conseil ne peut pas s’attribuer des compétences que lui-même n’a pas. Il est un juge politique, mais pas partisan. Il doit participer à la pacification de l’espace politique. Derrière cette finalité politique, il est interdit au juge d’exercer une activité partisane. Le contentieux constitutionnel n’est pas un contentieux subjectif qui oppose deux parties’’, explique l’ancien ‘’sage’’. Non sans relever que l’origine des problèmes auxquels la juridiction est confrontée très souvent, est à chercher ailleurs, mais pas dans son mode de fonctionnement. ‘’En 2003, c’est parce qu’on a constaté que le Conseil ne pouvait pas se prononcer sur la révision  de la loi que le pouvoir de l’époque en abusait. A chaque fois qu’on modifiait la Constitution, l’opposition a saisi le Conseil et celui-ci s’est déclaré incompétent. C’est cela qui nous a valu les nombreuses déclarations d’incompétence qu’il y a eues’’, soutient-il tout en soulignant que contrairement à une certaine opinion, les juges du Conseil constitutionnel sont indépendants. ‘’Il ne faut pas penser que la juridiction constitutionnelle est truffée de gens qui sont à la solde de l’Exécutif’’, déclare-t-il. Avant d’ajouter : ‘’Le Conseil ne peut pas réinventer la norme constitutionnelle qui lui sert de référence. Le constituant est au-dessus du juge. Si le juge ne s’impose pas une limite, il  entre dans ce qu’on appelle le gouvernement des juges.’’

Pour le Pr. Babacar Kanté, les déclarations d’incompétence du juge des élections sur les recours de l’opposition s’expliquent par le mode de saisine. A l’en croire, on saisit le Conseil constitutionnel sur la base d’un projet de loi et non sur la base d’une loi. ‘’Les modes de saisine du Conseil ne sont pas les mêmes. Quand on regarde la loi organique, c’est la Constitution qui oblige le président à saisir le Conseil. Il y a quelque part une forme de communication politique de la personne qui perd son procès et qui a tendance à jeter le discrédit sur l’institution. Je suis frappé par la constance et l’entêtement du Conseil constitutionnel à répéter les mêmes choses et que, jusque-là, sa voix reste inaudible’’, soutient-il.

Compétences du Conseil constitutionnel

Pour mieux entretenir les professionnels des médias du rôle du Conseil constitutionnel, le Pr. Babacar Kanté est largement revenu sur ses compétences. ‘’Les questions de compétence, ce sont des questions incontournables. En droit, c’est une question d’ordre public. Dans un Etat organisé, il ne doit pas y avoir une question qui ne soit déléguée à aucune autorité administrative. Chaque fois que vous êtes saisi, vous êtes obligé de statuer. La compétence ne se présume donc pas, en droit. Elle est ou elle n’est pas’’, clarifie-t-il.

Auparavant, le Pr. Kanté a soutenu que la juridiction n’est pas incompétente, mais qu’on l’a rendue incompétente sur beaucoup de questions. Explications : ‘’Il ne s’agit pas de faire de la presse un adversaire ou un ami, mais il s’agit de donner la bonne information. Mon objectif est de déconstruire les idées reçues. Je trouve ahurissant que le Conseil constitutionnel se déclare tout le temps incompétent. Il n’est pas incompétent, mais on l’a rendu incompétent sur plusieurs questions’’, soutient-il.

Faisant la genèse de l’institution, il souligne que les élections de 1988 ont été déterminantes dans sa création. ‘’Abdou Diouf, qui ne voulait céder aux revendications de l’opposition à cette époque, a attendu 1992 pour créer cette institution dirigée à l’époque par Feu Kéba Mbaye. Les textes à l’origine de la création de cette institutions sont intervenus dans un contexte bien déterminé’’, relève-t-il.

Le juge constitutionnel, un juge politique

Selon le Pr. Kanté, le juge constitutionnel est avant tout, d’abord, un juge politique. ‘’J’en assume la responsabilité et je m’explique. La politique, c’est la réflexion autour de l’ensemble des voies et moyens pour résoudre les problèmes de société auxquels le peuple fait face. Or, le juge des élections, à travers ses décisions, préserve la stabilité et la paix sociale’’, explique-t-il.

Revenant sur l’indépendance de l’institution, le Pr. Babacar Kanté a laissé entendre qu’on ne peut pas démettre un juge du Conseil constitutionnel, contrairement à ce que pensent certains. ‘’C’est seulement en interne, après une procédure contradictoire, qu’il est possible de démettre un juge. L’indépendance ne se donne pas, elle se conquiert. Le statut des juges du Conseil constitutionnel garantit leur indépendance. Il n’y a que le président du Conseil constitutionnel qui ne présente pas ses vœux au président de la République’’, soutient-il.

ASSANE MBAYE

 

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