Publié le 23 Jan 2017 - 19:32
ADAMA BARROW, PRESIDENT DE LA GAMBIEN

Le successeur de Jammeh sur un bac d’urgences

 

C’est un pays miné par 22 ans de règne sans partage, gouverné d’une main de fer, avec une ‘’inflation’’ insoupçonnée, des ‘’caisses vides’’… dont le Président Adama Barrow a hérité de Yahya Jammeh. Investi chef de l’Etat, la semaine dernière, dans les locaux de l’ambassade de la Gambie au Sénégal, le nouvel homme fort de la Gambie promet la justice à tous ses concitoyens. Dans ce sens, il ambitionne de mettre en place ‘’Une commission vérité et réconciliation’’.

 

Titanesque est la tâche qui attend le Président Adama Barrow, tombeur de Yahya Jammeh, qui promet de mettre sur pied un gouvernement dans les prochains jours. Sous Jammeh qui a dirigé la Gambie pendant 22 ans sans concession aucune, les habitants de ce pays frontalier du Sénégal y ont vécu des moments de terreur : opposants politiques portés disparus ou exil forcé, presse bâillonnée, société civile quasi inexistante, droits et libertés niées… C’est ce pays dont le Président Barrow a hérité. Il est, semble-t-il, conscient des vastes chantiers qui l’attendent en Gambie. Il promet de la diriger pour une durée de trois ans.

Au regard de ces faits, la Gambie est un pays à redresser, à mettre sur les rails de la démocratie, à sortir de l’isolement africain, y compris international, dans lequel il a été plongé par le Président Jammeh. Apparemment, tout est urgent chez les Gambiens. La semaine dernière, dans un entretien accordé à la BBC Afrique, suite au départ annoncé de Yahya Jammeh, le Président Barrow a levé un coin du voile sur ses premières tâches de chef d’Etat en terre gambienne.

‘’La première chose à faire, une fois le gouvernement mis en place, sera de m'occuper de la Banque des émigrés. (…) Nous allons demander à nos fonctionnaires de la relancer. Beaucoup de choses sont prioritaires dans le continent. En Gambie, l'économie en fait partie. (…) Elle est très, très importante. C'est une chose dont nous allons nous occuper dès que notre gouvernement sera mis en place. Je pense que les Gambiens ont souffert durant les 20 dernières années. L'inflation a atteint un niveau jamais égalé, raison pour laquelle l'économie est très importante’’, a-t-il insisté. Un Président pressé est ce polygame. Ceci pour permettre à ses compatriotes gambiens de voir le bout du tunnel. Parce qu’il est porté au pouvoir par un vent d’espoir. A cet égard, des charges lourdes pèsent sur ses épaules. Il en est conscient. ‘’Les attentes sont très importantes. C'est vrai. Il n'y a rien dans les caisses. Mais, nous espérons que beaucoup d'organisations feront preuve de compassion avec la Gambie. Nous espérons avoir un bon partenariat avec des organisations, ce qui permettra au pays de repartir de nouveau. Nous sommes très optimistes’’, a-t-il rassuré.

Le Président Barrow, qui promet de retourner en Gambie dans les prochains jours, se veut prudent. Parce que, avance-t-il, ils sont en consultation avec la Cedeao. Présentement, les soldats de cette organisation sous régionale sont en terre gambienne. C’est la raison pour laquelle il dit attendre le feu vert de cette dernière pour retourner en toute sécurité dans son pays. Selon le Haut-commissariat de l'Onu pour les réfugiés (HCR) cité vendredi dernier par jeuneafrique.com, plus de 45 000 personnes ont fui la Gambie depuis début janvier, en majorité vers le Sénégal. La majorité des déplacés, dit-on, sont des femmes et des enfants. Outre les Gambiens, se trouvent parmi les personnes arrivées au Sénégal des Sénégalais, des Ghanéens, des Libériens, des Libanais, des Guinéens et des Mauritaniens. Une équation sociale. Face à cet exode massif, Adama Barrow tente de donner des gages. Sur le sort de toutes ces personnes, il rassure : ‘’Nous avons entamé le processus pour les ramener au pays. Un de mes collaborateurs travaille sur ce sujet. Nous demandons aux gens de retourner à Banjul. Nous sommes à un stade très avancé de ce processus. Nous avons donné des instructions aux services des transports, pour qu'ils acheminent les gens à Banjul. Donc le processus est en marche. La Gambie, c'est notre pays, nous ne pouvons pas l'abandonner.’’ 

‘’Une commission vérité et réconciliation’’

Annonçant que la presse sera ‘’très’’ libre en Gambie, le successeur de Jammeh estime que l’information est un élément ‘’important’’ dans la vie humaine. Pour les victimes et les auteurs des violations des droits de l’Homme, le chef de l’Etat gambien promet de mettre sur pied ‘’une commission vérité et réconciliation’’ dont la finalité est de connaître la vérité sur tout ce qui est relatif à l’injustice.’’ Au regard de certains événements qui ont marqué le régime de  Jammeh, on est fondé de relever que cette tâche que se propose le Président Barrow sera ardue. Son prédécesseur, dit-on, a fait assassiner 26 soldats et agents de sécurité, fait disparaître ‘’mystérieusement’’  plus de 17 personnes. En 2000, ajoute-t-on, sous ses ordres, environ 14 étudiants de diverses écoles gambiennes ont été ‘’massacrés’’.

Il s’y ajoute l’assassinant de 12 civils, dont Ousman Koro Ceesay, ancien ministre des Finances, Deyda Hydara,  correspondant Reuters et directeur du journal Le Point. Et les étrangers n’ont pas échappé pas à la machine meurtrière du Président Jammeh. Il a, renseigne-t-on, éliminé 58 étrangers : 55 Ghanéens, deux Sénégalais, un Guinéen, un Togolais. ‘’Tout le monde sera concerné par cette commission, y compris lui (Yahya Jammeh : Ndlr). Nous devons connaître la vérité. Il a été chef de l'Etat pendant 22 ans. (…) Une fois la vérité connue, nous verrons ensuite comment organiser la réconciliation et aller de l'avant’’, promet M. Barrow qui semble engager la croisade contre l’impunité.  

D’ailleurs, il insiste en élargissant la palette judiciaire en ces termes : ‘’Des recommandations de la commission dépendra la réparation du préjudice subi par les victimes. Il y aura la justice pour tout le monde’’. Entre le Sénégal et la Gambie, M. Barrow ambitionne de travailler pour huilier les relations entre ces deux pays. Selon lui, il sera possible de construire le pont entre ces pays. ‘’J'y crois. Nous devons veiller à ce qu'il n'y ait pas d'erreurs, parce qu’avec le Sénégal, nous sommes un même pays’’, a-t-il invité. En outre, le chef de l’Etat de la Gambie annonce qu’il va dissoudre la National intelligence agency (Nia) qui, remarque-t-il, continue d’effrayer les Gambiens.

Il faut relever que le Président Jammeh a quitté son pays samedi dernier pour s'exiler en Guinée Equatoriale via la Guinée, après avoir cédé le pouvoir à son successeur. Son départ du pouvoir a mis fin à six semaines de crise politique. Aussi, il a déclenché des manifestations de joie à Banjul. Dans une déclaration lue en son nom samedi soir sur la télévision gambienne, l’ex-président a souhaité bon vent à son successeur, élu le 1er décembre. Il avait contesté la victoire de ce dernier après l’avoir félicité dans un premier temps. A la demande de la Cedeao, Adama Barrow est accueilli depuis le 15 janvier à Dakar où il a prêté serment jeudi dernier dans l’ambassade gambienne.

PAPE NOUHA SOUANE

 

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