Publié le 14 Dec 2016 - 23:24
ADAMA SOUMARE (COORDONNATEUR NATIONAL DES MOTOS-TAXIS)

‘’L’Etat nous a laissés en rade dans sa politique’’ 

 

Accroché samedi dernier en marge de la pose de première pierre de la cité Niani de 100 logements de la Sn Hlm, à Tambacounda, le coordonnateur national des motos-taxis a invité l’Etat à réorganiser leur secteur. Selon Adama Soumaré, qui estime qu’ils sont infiltrés par des individus mal intentionnés, aucune politique n’est mise en place au profit des 24 845 conducteurs de motos-Jakarta recensés au Sénégal.

 

Pourquoi avez-vous senti le besoin de créer la Fédération nationale des vélos-taxis Jakarta du Sénégal (Fnvtj/S)?

Après le Conseil des ministres tenu à Kaolack en 2012, le Président Macky Sall nous avait demandé  de mettre sur pied une structure pour coordonner tous les vélos taxis du Sénégal. C’est suite à cette invitation du chef de l’Etat qui nous a fait l’honneur de nous recevoir que nous avons créé notre association.

Cette initiative, dites-vous, vous a été donnée par le chef de l’Etat. Quelle appréciation faites-vous de sa proposition?

Il nous a donné cette instruction parce que le phénomène de vélos-taxis Jakarta est très important  dans le cadre de la lutte contre la pauvreté et le chômage des jeunes. Actuellement, nous avons, à Kaolack, 8 415 conducteurs de vélos-taxis Jakarta recensés. Pour le moment, sur cet effectif total, nous avons 2 600 conducteurs qui sont en règle. D’ailleurs, ce constat nous a aussi obligés à nous organiser à travers les 23 villes du Sénégal.

Quelle est la région du Sénégal où on utilise plus le Jakarta comme moyen de transport?

C’est à Kaolack, la région mère. Tout est parti de cette localité en 1974. Présentement, 8 415 motos Jakarta y sont dénombrées. A Kolda, l’effectif total, c’est 2 199. Celui de Tambacounda est de 1 965. Donc, Kaolack est la région où il y a plus de jeunes qui s’activent dans ce secteur.   

Avez-vous défini des règles de bonne conduite ou des normes auxquelles les conducteurs doivent se soumettre?

Effectivement, il y a des règles. Par exemple, à Kaolack, en dehors du port de casque exigé, toutes les autres règles sont respectées. A Kolda, région la plus stable dans le domaine de l’organisation, il n’y a pas de jeunes qui conduisent une moto taxi sans casque de protection. Et je rappelle que notre mot d’ordre repose sur la prudence. Pour nous, elle est capitale dans ce secteur.

Avez-vous mis en place des mesures contraignantes contre ceux qui ne respectent pas les directives de votre Fédération?

Oui, il y a des sanctions. Elles vont même jusqu’à l’emprisonnement. D’ailleurs, pour éviter ces dérives, nous sommes en train d’organiser les jeunes pour qu’ils puissent être identifiés, avant d’avoir chacun l’immatriculation. Ces deux aspects, qui contribuent à la structuration de notre environnement professionnel, sont différents. L’identification nous permet, demain, de pouvoir dire que telle personne fait du vélo-taxi.

Votre milieu professionnel est-il bien organisé?

Non, parce qu’il y a une non-assistance de l’Etat. Il est absent dans ce secteur. Et c’est la triste réalité. A part le ministre Mor Ngom qui avait réglementé le secteur, il n’y a aucun ministre des Transports qui se soucie du développement et de la protection de cette couche vulnérable, c'est-à-dire les conducteurs de motos-taxis. Au moment où je vous parle, nous sommes complètement laissés en rade par l’Etat du Sénégal dans sa politique. Je le dis parce que nous sommes les benjamins du secteur des transports. Malheureusement, nous ne sommes pas pris en compte dans les actions de l’Etat. Les autorités ne font absolument rien pour nous permettre de bénéficier des avantages et privilèges de la réglementation en vigueur.

Concrètement, qu’attendez-vous de l’Etat?

Il doit nous accompagner en formation, nous doter de moyens logistiques, assainir le milieu, etc. Parce que nous sommes membres de la famille du secteur des transports. Malheureusement, depuis 2012, nous ne sentons pas sa présence à nos côtés.

Votre association est-elle reconnue au niveau national ?

Nous avons notre reconnaissance juridique. Et nous avons fait notre assemblée générale à Kaolack. Donc, si l’Etat veut soutenir ce secteur, nous sommes ouverts pour collaborer ou travailler avec lui.

Votre structure compte combien de membres?

Au moment où je vous parle, nous avons identifié, à travers les 23 villes du Sénégal, 24 845 taxis Jakarta. Et nous avons fait ce travail d’identification en 2014.

Hormis l’accompagnement de l’Etat dont vous avez fait état, avez-vous d’autres préoccupations ?

D’abord, je dois dire que la jeunesse est exposée à un danger. Autrement dit, le fait de travailler avec ces Jakarta sans autorisation de conduire, de bénéficier de ce trafic ou commerce sans licence, est une porte ouverte à toute forme d’insécurité. Parce qu’on ne peut pas faire du commerce avec les vélos-taxis sans avoir ce quitus qui vous permet de le faire. Et je signale que ce transport, c’est un métier. Malheureusement, l’Etat ne délivre aucune licence de transport dans ce secteur. Les jeunes font du vélo-taxi juste pour leur gagne pain.

Souvent, avec les vélos-taxis, les accidents de la route sont fréquents. Qu’en dites-vous?

Nous, notre travail consiste également à demander aux conducteurs de vélos-taxis d’être prudents. L’accident, on n’y peut rien. Mais, avec une grande organisation, nous pouvons en éviter beaucoup. Et très souvent, ils sont liés à des erreurs humaines.

Durant les périodes de Gamou et de Magal, les conducteurs de Jakarta conduisent de manière imprudente…

Ce que vous soulignez, c’est la triste réalité. A l’occasion de ces fêtes religieuses, on voit des gens qui prennent leurs vélos-taxis pour se rendre à Kaolack ou à Tivaouane. Honnêtement, le plus souvent, ils ne respectent pas le code de conduite. Pis, ils roulent à vive allure et se faufilent entre les véhicules. C’est un mauvais comportement qu’on peut éviter sur la route. Tout le monde déplore les cas d’accidents. Mais on peut les éviter avec la formation des jeunes. En outre, vous ne pouvez pas demander à quelqu’un d’être en règle alors qu’il n’y a pas de mesure d’accompagnement. C’est ça le malheur.

Le milieu nourrit-il son homme ?   

Oui. Parfois, il arrive  que des jeunes, avec leurs taxis Jakarta, subviennent aux besoins de leurs parents, ou puissent économiser pour leur mariage. A cet égard, on ne peut pas dire que ce secteur n’est pas viable ou porteur. Il est plutôt marginalisé, laissé en rade. C’est pourquoi il sera très difficile de bénéficier des avantages et privilèges de ce secteur.

Globalement, ce secteur génère combien en termes de revenus?  

Vous savez, le simple fait que 24 845 jeunes s’activent dans ce secteur, nécessite une grande organisation. Et le président de la République connaît bien ces vélos-taxis. Parce qu’il les a utilisés. De ce point de vue, il doit donner des instructions au ministre des Transports pour qu’ils viennent en aide aux conducteurs de ces taxis-jakarta.

Vous insistez beaucoup sur l’accompagnement de l’Etat. Avez-vous, une fois, tenté de le solliciter à travers votre tutelle?

Ecoutez ! Pour être simple, juste et exact, l’actuel ministre des Transports ne se soucie pas de nous. D’ailleurs, c’est la raison pour laquelle nous exigeons parfois son départ. Parce qu’il sous-estime ce secteur. Alors que le Président Macky Sall a manifesté son désir de nous accompagner en nous demandant de nous organiser.

Justement, est-il facile d’accompagner ce secteur qui, dites-vous, est mal structuré? Parce qu’il y a des gens qui, en privé, prennent leur Jakarta pour faire le trafic.

Il s’agit des individuels. Et c’est un fait qui existe dans tous les secteurs de la vie. Ces personnes ne sont pas reconnues par notre association. Aussi, il y a des gens qui ne seront jamais organisés. Donc, à mon avis, le combat se situe à ce niveau. Au Sénégal, ce métier de vélo-taxi est pratiqué dans 23 villes. Il n’y a que Kolda qui est dans une dynamique organisationnelle correcte. En un mot, l’organisation de ce secteur nous préoccupe. D’ailleurs, nous nous demandons même s’il ne faut pas porter plainte contre l’Etat du Sénégal pour non-assistance à des personnes en danger.

Pourquoi dites-vous que vous êtes en danger?

Je le dis parce que nous sommes souvent victimes d’agression. Notre ministre de tutelle ne nous connaît même pas. A chaque fois qu’on parle des vélos-taxis, il nous sous-estime.

Vous dites être souvent victimes d’agression ; n’y a-t-il pas des conducteurs de motos-Jakarta qui s’en prennent à des clients?

Non, là, il ne s’agit pas de conducteurs de vélos-taxis. Parfois, on peut assister à des situations où le conducteur loue son Jakarta à quelqu’un qui va faire ses courses avec la moto. Dans ce cas précis, personne n’y peut quelque chose. Parce que nous sommes dans un secteur très mal organisé. C’est la raison pour laquelle nous sommes infiltrés. Maintenant, pour sécuriser ce secteur, il faut juste une réorganisation totale. Nous en avons besoin.

PAPE NOUHA SOUANE

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