Publié le 6 Mar 2015 - 00:38
AFFAIRE AIDA NDIONGUE

Aveux et dénégations

 

Enrôlé mardi dernier, le dossier Aïda Ndiongue a été renvoyé au 17 mars prochain en vue du choix d’une date pour la tenue du procès en audience spéciale. En attendant l’ouverture des débats, EnQuête revient sur les minutes de la procédure de la gendarmerie au juge d’instruction.

 

En prison depuis le 17 décembre 2013, Aïda Ndiongue, Abdoul Aziz Diop et le comptable Amadou Ndiaye ainsi que leur coprévenu libéré provisoirement, Madou Sall, vont comparaître dans quelques semaines en audience spéciale devant le tribunal correctionnel de Dakar. L’ex-sénatrice libérale devra répondre des délits d’escroquerie portant sur des deniers publics, de faux et usage de faux en écritures publiques et privées et d’exercice illégal du commerce par un fonctionnaire. Directeur de cabinet de l’ancien ministre Omar Sarr, Abdoul Aziz Diop comparaît pour détournement de deniers publics. Amadou Sall et Modou Sall seront eux jugés pour complicité.

Les inculpés ont été perdus par quatre chèques de montants respectifs de 3 milliards 789 millions 988 mille 967 francs CFA, 3 milliards 998 millions 750 mille francs CFA, 1 milliard 350 millions de francs CFA et 5 milliards de francs CFA. Les chèques étaient émis par le projet de construction de logements sociaux et de lutte contre les inondations (PCLSLIB) appelé Plan Jaxaay et le Parcree (maison de l’outil). Les sociétés EGFDED, Ets Walo services et Ya Khalifa Ababacar Sy appartenant toutes à Aïda Ndiongue sont les bénéficiaires des chèques.

Dans un contexte de traque des biens mal acquis, le procureur de la République a voulu y voir plus clair. Ainsi le 2 décembre 2013, Serigne Bassirou Guèye a saisi les éléments de la Section de recherches de la gendarmerie pour des investigations. En exploitant les comptes bancaires de la société Entreprise générale de fournitures, d’entretien et divers (EGFED), le solde se chiffrait à 16 milliards 244 millions 225 mille 905 francs CFA, à la date du 5 février 2013. Le compte de Ya Khalifa Ababacar Sy affichait, à la date du 31 décembre 2011, un solde créditeur de 6 milliards 910 millions 932 mille 5 francs CFA. Des sommes virées par le Trésor public suite à des marchés publics.

Seulement selon l’accusation, Aïda Ndiongue n’a pas livré la totalité des marchés. Ce que les intendants du complexe Maurice Delafosse ont confirmé. Ils ont confié aux enquêteurs n’avoir jamais reçu de livraison, or un chèque de 3 milliards a été émis à l’ordre de EGFED. Les marchés de 5 milliards contractés par le plan Jaxaay et destinés aux tentes et aux motopompes n’ont pas connu meilleur sort. La vérification auprès des destinataires a permis de découvrir que la Direction de la protection civile n’a reçu que 1 000 tentes sur 3 000. Son directeur Mar Lô a confié n’avoir reçu que 1 947 tentes sur 5 000 et 100 motopompes de petite capacité inférieure à 500m3/heure.

Des sociétés au nom de ses proches et de ses domestiques

Outre le fait de ne pas exécuter l’intégralité des marchés, Aïda Ndiongue est aussi accusée d’avoir contourné la législation interdisant l’exercice du commerce par les fonctionnaires, en créant des sociétés au nom de ses proches et de ses domestiques. Selon toujours l’accusation, l’ex-sénatrice exigeait de ces derniers des procurations lui permettant d’accéder aux comptes bancaires, en se faisant appeler Astou, Aïda ou Aïssatou, selon ses intérêts. L’instruction soutient que la responsable libérale s’est cachée derrière des sociétés écrans pour accéder aux deniers de l’Etat. Ses sociétés n’auraient ni siège personnel immatriculé aux institutions sociales ni siège social autre que le domicile de l’inculpée ou de ses proches…

Face au magistrat instructeur, elle aurait déclaré avoir eu recours à ce système de prête-nom pour contourner la législation, car elle était enseignante dans la fonction publique. Cependant, par rapport aux marchés, Aïda Ndiongue a soutenu avoir livré la totalité des marchés. Pour étayer ses propos, elle a précisé avoir livré 2 000 à 2 500 tentes aux Sapeurs-pompiers et 500 tentes pour les régions. Pour le matériel destiné à la maison de l’outil, elle a pris le contre-pied des témoins, en affirmant que la livraison s’est faite au lycée Maurice Delafosse.

Procès-verbaux fictifs

S’agissant du faux, l’accusation reproche à Aïda Ndiongue d’avoir utilisé des procès-verbaux fictifs pour se faire payer. Il s’agit du marché portant équipement en matériel de 35 maisons de l’outil d’une valeur de plus de 3 milliards et gagné par EGFED. L’instruction révèle l’absence de PV de réception dressés par une commission instituée.

Son frère libéral a aussi contesté les faits. Abdoul Aziz Diop a déclaré, qu’en sa qualité de coordonnateur du projet, il n’a ni le pouvoir de réceptionner encore moins de payer des marchés. L’ancien directeur de cabinet de l’ex-ministre de l’Habitat Omar Sarr a expliqué que son rôle dans la procédure de paiement se limitait uniquement à l’ordonnancement de la dépense et à son transfert.

Aziz Diop a également soutenu que les différents chèques ont été payés, après validation de la Direction centrale des marchés publics (DCMP) et autorisation du ministère des Finances. L’accusation lui reproche de n’avoir pas produit un document retraçant les différents mouvements. Il dit avoir informé son ministère de tutelle. Ses dénégations sont battues en brèche par les déclarations de Modou Sall, secrétaire général du ministère de l’Habitat d’alors. Celui-ci a confié au juge n’avoir jamais saisi la DCMP pour les marchés des motopompes, des bacs à ordures et de la Maison de l’outil.

L’agent comptable particulier Amadou Ndiaye a lui aussi cherché à tirer la couverture sur lui. L’inculpé déclare avoir régulièrement payé les marchés sur la base d’un ordre de paiement avec toutes les pièces justificatives et ce, de mars à juin 2011. Le comptable dit avoir été démis, suite à son refus de payer des factures de l’entreprise Gecom Industries car celles-ci n’étaient pas conformes au devis approuvé par la DCMP d’une part et d’autre part, son refus de payer les augmentations de salaire de certains agents du projet, sans l’approbation du comité de pilotage. Toutefois, il a reconnu avoir payé un marché de 5 millions et a refusé de payer la somme de 900 millions à titre de TVA, car le marché était exonéré et il ignorait la destination finale de ce montant.

Modou Sall, sur le choix exclusif des entreprises de Aïda Ndiongue par appels d’offres restreints, soutient s’être uniquement servi des informations se trouvant dans leur base de données.

FATOU SY

 

 

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