Publié le 24 Jan 2018 - 21:40
AFFAIRE DE LA CAISSE D’AVANCE DE LA MAIRIE DE DAKAR

Le procès des paradoxes

 

Dans l’affaire Khalifa Sall, il existe, d’une part, une connivence manifeste entre défense et Ville de Dakar (qui veut se constituer partie civile), d’autre part, des contradictions irréfutables entre cette dernière et le procureur.

 

On joue encore les préliminaires. Un match avant le match que se sont livrés, hier, Etat, défense et Ville de Dakar. C’était épique. Toute une journée durant, la plupart des questions ont tourné autour des constitutions de partie civile, d’une part, de la Ville de Dakar, d’autre part, de l’Etat du Sénégal. Est-ce que l’Etat peut se constituer dans un dossier où les deniers en cause appartiennent à une collectivité locale ? Est-ce que la Ville de Dakar, dans l’affaire Khalifa Ababacar Sall, a la qualité pour ester en justice ? Voilà, entre autres questions de droit que le juge Malick Lamotte et ses assesseurs auront la lourde mission de vider, avant d’entrer dans le vif du sujet. A savoir si Khalifa Sall et ses co-prévenus sont coupables ou non des délits à eux reprochés. Autrement dit, le tribunal, à ce stade de la procédure, est appelé à déterminer quels sont les joueurs qualifiés pour le match de la caisse d’avance de la mairie de Dakar.

Les débats ont été houleux, mais de haute facture.  Comme à son habitude, maitre El Hadj Diouf a tenu en haleine le public venu nombreux prêter main-forte à l’édile de la capitale. Criant, gesticulant et invectivant, l’ancien ‘’député du peuple’’ a montré, citant les textes, qu’il peut être ‘’farceur quand il veut’’, mais aussi ‘’excellent avocat’’ s’il le désire. Parce que, rétorque-t-il à Baboucar Cissé qui l’accusait de ne pas maitriser l’article 2 du Code de procédure pénale, d’abord, ‘’niakou ma khorom (je ne manque pas d’humour)’’, mais aussi et surtout parce que contrairement à beaucoup d’avocats, il a appris le droit pour être avocat. ‘’Je fais partie des rares avocats qui ont fait droit, option judiciaire. Par la suite, j’ai fait le droit pénal spécial. Je ne suis pas de ces avocats qui ont fait droit des affaires ou autre chose. Ce n’est donc pas à moi que vous direz : je ne maitrise pas l’article 2 du Code de procédure pénale’’.

El Hadj Diouf : ‘’Il ne faut pas faire de confusion entre deniers de l’Etat et ceux des collectivités locales qui sont autonomes’’

La précision ayant été faite, Me Diouf poursuit sa plaidoirie. Et le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il était vraiment dans son élément. Renvoyant tantôt aux articles 243 et suivants du Code des collectivités locales, tantôt aux codes pénal et de procédure pénale, Me Diouf a véhémentement défendu que, dans cette affaire, la Ville de Dakar qui l’a commis est bel et bien habilitée à se constituer partie civile.

Répondant au procureur qui a prétendu que le sieur Moussa Sow n’a pas reçu son mandat du maire de Dakar qui est habilité par l’article 171 du Code des collectivités locales, il rappelle les dispositions de l’article 175 du même code. Celles-ci prévoient, en effet, d’après lui, ‘’qu’au cas où les intérêts du maire divergent d’avec ceux de la collectivité, le conseil municipal désigne une autre personne pour la représenter’’. El Hadj Diouf ne s’est pas arrêté là. Il s’est aussi attaqué à l’agent judiciaire de l’Etat, Antoine Félix Diom, qui a soutenu que le mandat du conseil municipal au profit de Moussa Sow ne saurait être ‘’recevable’’. Car, d’une part, le préfet a demandé une ‘’seconde lecture’’ du délibéré du conseil municipal, d’autre part, ‘’il faut un délai de 15 jours’’ avant que l’acte ne soit exécutoire. ‘’Etant entendu que le conseil municipal a rendu son délibéré le 15 janvier, ce mandat ne saurait être valable’’, renchérit un autre conseil de l’Etat. D’autres ont, quant à eux, récusé la constitution de la ville, pour la bonne et simple raison que ‘’la ville n’a pas qualité à agir’’.

Pour El Hadj Diouf, l’affaire est toute simple. Toutes ces lenteurs dans le démarrage du procès résident dans le fait qu’il y a la présence d’un parquet lié par la hiérarchie, un préfet qui veut devenir gouverneur et un agent judiciaire qui est entré dans le dossier par effraction. ‘’Le procureur va trop vite en besogne. Il ne faut pas confondre les intérêts de l’Etat de ceux de la ville. Nous avons plusieurs jurisprudences dans lesquelles l’Etat s’est opposé à une collectivité locale. Ce qui montre que les deux intérêts ne sont pas les mêmes. La collectivité locale est une entité qui a son autonomie, qui s’administre librement. Et ici ce sont les deniers de la mairie qui sont concernés. Arrêtez la confusion’’, peste-t-il.

Yérim Thiam : ‘’L’agent judiciaire de l’Etat peut représenter tous les services de l’Etat’’

Venu à la rescousse de ses confrères, Me Bitèye a axé son propos sur le défaut de qualité de la Ville de Dakar. ‘’Pour agir en justice, dit-il, il faut à la fois avoir intérêt et qualité. Pour ce qui est de l’intérêt, on laisse au tribunal le soin de se prononcer. Mais, à notre sens, la qualité fait défaut’’. Maitre Yérim Thiam ne dit pas le contraire. Il s’y ajoute, selon lui, que l’agent judiciaire de l’Etat peut représenter tous les services de l’Etat. Il persiste : ‘’Le mandat de Moussa Sow n’est pas valable.’’ Mieux, Me Thiam a évoqué une délibération de la mairie datant du 31 mars 2017, par laquelle l’institution déclarait que ‘’Khalifa Sall n’a commis aucun manquement’’, que c’est elle qui l’a ‘’autorisé à exécuter les dépenses en question’’, que ‘’ces ressources sont des fonds politiques...’’ En conséquence, continue-t-il, ‘’s’il y a collision dans cette affaire, c’est bien entre le prévenu Khalifa Sall et les membres du conseil municipal. Ils auraient même pu être poursuivis pour complicité. La constitution de partie civile de la municipalité devrait être déclarée irrecevable.

D’un revers de la main, Me El Hadj Diouf, reprenant la parole dans l’après-midi, balaie tous ces arguments des représentants de l’Etat. Toujours aussi narquois, il dit : ‘’J’aimerais bien avoir une opposition de taille en face. Vous êtes vraiment têtus. On dirait que vous n’avez aucun argument à faire valoir. L’excellent président a dit que ce que vous dites là relève du fond. Il ne faut pas faire preuve de paresse. Allez visiter les articles 244, 245 et 246 du Code des collectivités locales. Vous verrez que la faculté d’ester en justice ne fait pas partie des actes soumis à approbation du préfet.’’

Mor Amar

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