Publié le 17 Feb 2019 - 13:28
AFFAIRE DES 94 MILLIARDS

Les députés votent la résolution pour la création de la commission d’enquête 

 

Les députés, notamment ceux de la majorité, ont adopté, hier, le projet de résolution pour la création d’une commission d’enquête parlementaire relative à l’affaire dite des 94 milliards de francs Cfa, dans le dossier du titre foncier 1451/R. La minorité parlementaire, elle, a décidé de s’abstenir. Elle assimile la démarche à une tentative de liquider le député candidat à la présidentielle Ousmane Sonko.

 

Le projet de résolution pour la création d’une commission d’enquête parlementaire relative à l’affaire dite des 94 milliards de francs Cfa, dans le dossier du titre foncier 1451/R, a été voté, hier, à l’Assemblée nationale par les députés de la majorité. Ceux de l’opposition n’ont pas soutenu cette initiative. ‘’Cette affaire fait couler beaucoup d’encre et de salive. Il est du devoir de l’institution que nous représentons de l’éclairer. D’abord, pour lever une équivoque. Parce que cette initiative ne vise pas un particulier. La commission sera équidistante vis-à-vis de toute personne dont l’audition pourrait éclairer notre lanterne sur cette affaire de détournement de deniers publics’’, a tenu à préciser la présidente de la Commission de l’économie générale de l’Assemblée nationale, Dieh Mandiaye Ba.

Selon la parlementaire de la majorité, chaque personne auditionnée pourra apporter les preuves de ses allégations. ‘’Dans cette affaire, il faut juste relever que cela concerne aussi bien notre collègue Sonko que la famille qui, à l’origine, est propriétaire de ce titre foncier. Ce sont les familles Mbengue et Ndoye qui sont concernées au même titre que la Saimb et la Sn/Hlm. Si c’est un mobile politique qui a poussé notre collègue à faire une telle accusation, cela devient insensé’’, estime Dieh Mandiaye Ba. La députée affirme que cette procédure va les aider dans leur travail et permettre d’‘’éclairer’’ la lanterne des Sénégalais. ‘’Parce que cette histoire a fait beaucoup de bruit. Cette affaire ne concerne pas uniquement Mamour Diallo et Sonko. Le titre foncier appartenait à l’origine aux familles Ndoye et Mbengue et toutes les structures se sont mêlées à la procédure’’, ajoute Dieh Mandiaye Ba.

Pour le président du groupe parlementaire de Benno Bokk Yaakaar, Aymérou Gningue, la commission d’enquête parlementaire sur cette affaire reste une ‘’obligation’’. ‘’C’est la première fois dans l’histoire du pays qu’un député accuse un fonctionnaire de l’Etat de détournement de deniers publics. Ne prédisons pas les choses, la commission va faire son travail et saura la vérité après audition des concernés. On n’accuse personne et on ne défend personne. Nous voulons juste tirer les choses au clair. Nous n’empêchons personne de faire sa campagne. La commission a six mois pour faire son travail’’, assure-t-il.

La députée Anna Cobaye Gomis, de la même mouvance, a rappelé que l’opposition était la première à dire qu’elle a déposé une lettre pour l’ouverture d’une enquête parlementaire. ‘’Parce que vous vouliez des éclaircissements sur l’affaire des 94 milliards. Aujourd’hui, si vous défendez le contraire, cela devient étonnant. Quand Sonko accusait les députés de recevoir 10 millions de francs d’indemnité, vous étiez les premiers à le décrier’’, rappelle-t-elle. Et la députée de l’Apr de souligner : ‘’Le monde est au courant pour l’affaire Alex Segura. Si vous nous parlez de Bill Gates, Coumba Gates ou Samba Gates, ça ne nous ébranle pas. Mercalex se considère comme omniscient. Il est expert en tout. Il a des connaissances sur le pétrole, l’autoroute, etc. Donc, il ne devait pas attendre qu’on le convoque pour cette affaire. Il devait être le premier à venir avec des preuves palpables’’, avance Anna Cobaye Gomis.

Mame Diarra Fam (Pds) : ‘’Sonko n’a pas votre temps’’

Si les députés de la majorité exigent la présence d’Ousmane Sonko lors de cette procédure d’enquête, ceux de l’opposition y voient comme une tentative de le retarder dans sa course à la présidence de la République. ‘’Vous voulez vraiment mettre en place une commission d’enquête ‘paroles-alimentaires’ (déformation de parlementaire, Ndlr) ? Sonko n’a pas votre temps. Il est en mission pour son pays. Il ne va pas venir. Pourquoi, quand Sonko a soulevé l’affaire des 10 millions qui a été évoquée par l’honorable député Diop Sy, vous ne l’aviez pas appelé pour une enquête parlementaire ? Ah non ! Sonko dérange’’, dénonce Mame Diarra Fam du groupe parlementaire Libéré et démocratie. Pour la parlementaire libérale, actuellement, tout ce que les gens de la mouvance présidentielle cherchent, ‘’c’est de lui mettre des bâtons dans les roues. Je ne suis pas là pour défendre Sonko, parce que j’ai mon candidat, il s’appelle Karim Meïssa Wade. Et je l’assume. Mais j’avais pris l’engagement de défendre toute personne dont les droits seraient piétinés au sein de cette Assemblée. Même si elle est membre de Benno Bokk Yaakaar. Alors, de grâce, laissez Sonko tranquille, il n’a pas votre temps. Les bodio-bodio, Sonko n’a pas votre temps’’, renchérit Mame Diarra Fam.

Cette dernière considère que l’affaire des 94 milliards et celle des 10 millions sont ‘’pareilles’’. ‘’Je ne vais pas voter pour l’installation de cette commission. C’est insensé. Parce qu’il y  a des dossiers aussi importants qui sont laissés en rade. Il s’agit d’Arcelor Mital,  concernant notre pétrole et notre gaz. Dites-nous d’abord comment les accords sont signés et qu’est-ce que vous allez en faire. On parle de 10 milliards qui sont à la présidence en 2012, on a parlé maintenant de 4 milliards ; pourquoi vous n’en parlez pas ? Ouvrez une enquête parlementaire. Aujourd’hui, vous voulez juste neutraliser Sonko. Mais nous n’allons pas laisser faire’’, avertit-elle.

Comme Mame Diarra Fam, Woré Sarr va aussi dire ‘’non’’ à la commission d’enquête. Pour elle, ce n’est pas une première accusation faite au sein de l’Assemblée. ‘’Il y a le rapport de l’Ofnac qui a provoqué la chute de Nafi Ngom Keïta et qui est resté sans suite. Sonko a juste accusé, mais Nafi Ngom a fait un rapport et elle dirigeait une institution créée par l’Etat. L’Affaire d’Aly Ngouille, Mame Mbaye Niang avec le Prodac, etc. Si on avait tiré au clair ces affaires, on n’aurait rien à redire aujourd’hui’’. La réalité, pour elle, c’est que Karim Wade est ‘’exilé parce qu’il fait peur ; Khalifa Sall est emprisonné, il fait aussi peur ; Sonko a mené une très bonne campagne avec une forte mobilisation des jeunes qui constituent la majorité de la population du pays. Aujourd’hui, seul Dieu sait. Force reste à la loi, mais Dieu est le plus juste des juges’’. Et de regretter : ‘’Si quelqu’un est contre vous, vous l’obligez à se taire ; s’il est avec vous, il a le droit de faire ce qu’il veut. C’est ça la vérité.’’

Toutefois, la députée libérale estime que sur cette affaire, si un agent comme Sonko avance de tels propos, il doit avoir des preuves pour se justifier. ‘’On verra avec le temps. Moi aussi, je vais déposer une enquête parlementaire à propos des 7 milliards qui opposent Abdoulaye Wade à Macky Sall. Il faut que nous revoyions notre manière de faire’’. Elle ajoute : ‘’Sonko est un Sénégalais qui jouit de ses droits civiques, âgé de plus de 35 ans. Il a le droit de postuler pour les destinées de ce pays. Et sachez bien que c’est Dieu qui donne le pouvoir à qui il veut, quand il veut’’, conclut Woré Sarr.

De son côté, Serigne Cheikh Mbacké s’interroge sur le mutisme de l’Assemblée sur certains dossiers. Il s’agit du coût du Building administratif. ‘’Au début, c’était prévu pour 17 milliards de francs ; aujourd’hui, on parle de 50. L’hôpital de Touba, c’est 38 milliards et 14 milliards ont déjà été déboursés alors que le contrat a été résilié et une autre entreprise désignée pour poursuivre les travaux. Qu’attendez-vous ?’’, interpelle-t-il. Le président du groupe Liberté et démocratie d’ajouter que les travaux de l’Université Amadou Makhtar Mbow ont été confiés à un ‘’vendeur de quincaillerie’’, alors que les choses ‘’sont à l’arrêt. Jusqu’à présent, vous n’avez pas ouvert une enquête parlementaire, alors que ce sont des milliards qui sont en jeu. L’université El Hadj Ibrahima Niass est jusqu’à présent bloquée. Rien n’est fait. Pour les cartes nationales d’identité, c’est 52 milliards et aucune enquête n’a été ouverte’’. Avant de révéler que la constitution d’une commission d’enquête est demandée dans l’affaire Petrotim, celle du Prodac. ‘’Mais vous avez préféré ignorer et jeter nos lettres à la poubelle’’, indique-t-il.

Le président de l’Assemblée nationale, Moustapha Niasse, a précisé que ‘’comme le veut la procédure, il doit y avoir une lettre de transmission signée, un exposé des motifs et un projet de résolution’’. ‘’L'exposé des motifs est venu, de même que les projets de résolution, mais il n’y avait pas de lettre de transmission. Si vous ne la faites pas, le dossier ne bougera pas de mon bureau. Si vous faites la lettre, ce sera transmis comme il se doit. Voilà la vérité. Il n’y a pas de lettre dans les dossiers et tant qu’il n’y en aura pas, je le répète, le dossier ne bougera pas. Faites-la aujourd’hui, demain les choses bougeront’’, a déclaré Niasse.

Instituée et encadrée par l’article 48 du règlement intérieur de l’Assemblée nationale, la commission d’enquête parlementaire a été créée sans l’aval de l’opposition pour recueillir des éléments d’informations sur les faits exposés. Il s’agit notamment d’élucider les différentes transactions dont a fait l’objet le titre foncier 1451/R, de retracer tous les décaissements effectués par le Trésor public ou les sociétés à capitaux publics majoritaires concernant ce titre. Mais aussi d’évaluer les pertes subies par l’Etat. Pour ce faire, la commission sera composée de 9 membres dont 7 de la majorité et 2 de l’opposition. Le rapport d’enquête sera déposé dans un délai maximum de six mois.

MARIAMA DIEME

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