Publié le 7 Aug 2012 - 20:39
AFFAIRE DU KING FAHD PALACE

Comment le PM a crevé l’abcès

 

Si aujourd’hui les nouvelles autorités sont dans une dynamique de remise en cause de la gestion du King Fahd Palace par Mamadou Racine Sy, c’est parce que le Premier ministre Abdoul Mbaye est derrière. Il a activité certains services de l’État comme l’Inspection générale d’État (IGE) et l’Autorité de régulation des marchés publics (ARMP).

 

 

Au devant de la scène depuis quelque temps, l’affaire du King Fahd alimente la polémique entre ceux qui dénoncent ce contrat en faveur de Mamadou Racine Sy et ceux qui le soutiennent. D’ailleurs, au sortir du Conseil interministériel sur le tourisme du 23 juillet dernier, le gouvernement a décidé de procéder à un appel d’offres international. Mais pour en arriver là, la main du Premier ministre Abdoul Mbaye n’y est pas étrangère. Tout commence en janvier dernier quand Thierno Lo (alors ministre du Tourisme) et Mamadou Racine Sy officialisent la cession du Méridien président. Saisie d’une dénonciation sur l’irrégularité du contrat ayant abouti à cette concession, l’Autorité de régulation des marchés publics (ARMP) a envoyé, à deux reprises, une correspondance au ministre du Tourisme. Mais celui-ci n’a pas daigné y répondre.

 

L’alternance survenue, le régulateur des marchés publics revient à la charge et saisit, cette fois, le nouveau ministre de la Culture et du Tourisme (Youssou Ndour), avec une ampliation au chef du gouvernement. Abdoul Mbaye entre ainsi en jeu et, par lettre en date du 6 juin 2012, demande à l’ARMP un ‘’avis’’ sur la régularité de la convention relative à l’exploitation du complexe King Fahd, passée entre le Ministère du Tourisme et la Société hôtelière africaine (SHA) de Mamadou Racine Sy.

 

Le contrat n’est pas signé par le ministre des Finances

 

Selon des sources à la Primature, l’ARMP a décelé ‘’des vices substantiels’’ dans le fond comme dans le forme de ce contrat et a recommandé son ‘’annulation’’. Et, sans pour autant avoir besoin de saisir les tribunaux. Car d’après l’avis de l’ARMP, au regard de l’objet du contrat, du mode de rémunération du cocontractant et des obligations des parties, c’est ‘’une délégation de service public’’ pour laquelle le Ministère du Tourisme devait recourir ‘’par principe’’ à un appel d’offres ouvert, suivant les conditions de l’article 81 du Code des marchés. De plus, la procédure de passation de contrat a été jugée ‘’irrégulière’’ du fait que ‘’la signature du ministre de l’Économie et des Finances qui est un des représentants de l’État, comme mentionné dans la convention, et partie intégrante dans toute convention de délégation de service public au titre des engagements financiers et patrimoniaux, n’y figure pas’’. Selon l’avis de l’ARMP, ‘’un tel manquement constitue un vice qui touche la validité de la convention’’.

 

De l’‘’ambiguïté’’ dans la forme du contrat…

 

Appréciant le contrat au fond, les régulateurs des marchés publics ont souligné ‘’une ambiguïté sur la forme de délégation de service public’’. En effet, l’État ‘’supporte totalement le risque d’exploitation et assume à ses risques et périls celui de financier corrélatif’’. Ce qui donne à cette convention un caractère de ‘’contrat de gérance’’, voire une connotation plutôt ‘’commerciale’’. Ainsi, l’essentiel des charges d’exploitation est à la charge de l’État et la moindre prestation (formation, assistance etc.) faite par Racine Sy est… ‘’facturée à l’hôtel et indirectement à (l’État)’’. Ainsi, de par la rémunération de la SHA (2% du chiffre d’affaires de l’hôtel et de 50% du revenu brut d’exploitation), l’ARMP met ce contrat dans le registre ‘’d’une convention de régie intéressée’’ qui est un contrat par lequel la personne publique confie la gestion d’un service public à un régisseur qui agit pour son compte et reçoit d’elle une rémunération indexée sur les résultats du service assortie généralement d’une part forfaitaire qui lui permet de couvrir ses charges d’exploitation. Et dans ce cas de figure, le régisseur supporte au moins une partie des charges d’exploitation alors qu’avec ce présent contrat, Racine Sy n’endosse quasiment aucune charge dans ce sens.

 

Au ‘’déséquilibre’’ en faveur de Racine Sy

 

Ce qui amène un ‘’déséquilibre dans les relations contractuelles’’ qui est manifesté principalement par ‘’le caractère disproportionné de la rémunération (sur le chiffre d’affaires et sur le revenu brut d’exploitation)’’ de Racine Sy qui ne supporte pratiquement ‘’aucun risque’’. En effet, les rapports de force penchant de son côté, M. Sy a voulu ‘’contrôler’’ les actions relevant de la prérogative étatique ‘’en soumettant systématiquement à son approbation toute décision prise par lui alors qu’un avis consultatif suffirait’’, d’après la lettre servie au Premier ministre. Et le clou, pour ce qui est de ses décisions ou celles touchant ses intérêts, ‘’le contrôle de l’État est plus flexible voire réduit au strict minimum’’. Pis, la convention lui aménage des conditions pour une ‘’résiliation unilatérale’’ et ne prévoit pas cette disposition pour l’État. ‘’Il n’est pas de coutume de voir ce genre de contrat admettre la possibilité de résiliation unilatérale à un cocontractant à qui il ne reconnaît qu’un pouvoir de dénonciation devant le juge’’, fait remarquer l’ARMP. De plus, les droits, taxes, frais d’enregistrement et dépenses en relation avec ces formalités, sont supportés, dans la convention, par l’État et Racine Sy en est ‘’totalement’’ dispensé.

 

Il a droit à une indemnisation, pas un dédommagement

 

Sur un autre point, l’ARMP a attiré l’attention du Premier ministre sur l’existence d’un ‘’risque dirigeant’’ du fait que Racine Sy n’est pas le propriétaire du titre ‘’Club des Soleils d’Afrique’’, même s’il déclare avoir l’autorisation d’utiliser la marque. Car en matière de propriété intellectuelle ou industrielle, l’autorisation d’utiliser un droit exclusif d’exploitation est expresse et une simple déclaration ne peut suffire pour établir l’adhésion du propriétaire pour son utilisation commerciale par un autre. D’après l’avis de l’ARMP, le ‘’Club des Soleils d’Afrique’’ désigne un projet de chaîne d’hôtels constituant une holding en Afrique et dans le monde. Ce qui amène ‘’à se poser des questions sur la preuve du savoir-faire et de l’expérience dont peut se prévaloir (Racine Sy)’’.

 

Toutefois, Racine Sy peut se consoler du fait qu’il continue de gérer le King Fahd jusqu’à ce qu’un nouvel appel d’offres soit lancé. Mais aussi du fait que l’ARMP a recommandé, ‘’eu égard au fait que l’exécution de l’objet du contrat, sans opposition de l’État, a fait naître une situation juridique, il faudrait envisager les conséquences pécuniaires de l’annulation, comme cela transparaît de l’article 45 du Code des obligations de l’Administration (COA) qui prévoit une indemnité pour le cocontractant’’. ‘’Nous sommes là dans le cas de la responsabilité de l’État pour enrichissement sans cause, et en pareille occurrence, le cocontractant qui a été incité à faire des prestations a droit à une indemnisation à hauteur de l’appauvrissement qu’il a subi, mais pas à des dommages et intérêts’’, objecte l’ARMP.

 

BACHIR FOFANA

 

 

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