Publié le 16 Apr 2014 - 14:21
AFFAIRE HABRE - DES ''TORTIONNAIRES'' DE PLUS EN PLUS EN ''LIBERTÉ PROVISOIRE''

Les victimes tchadiennes demandent aux CAE d'agir en urgence

 

Ils s'appellent Mahamat Djibrine surnommé ''El Djonto'', Mahamat Wakaye ou Zakaria Berdei et sont sur la liste des vingt-sept dignitaires du régime Habré accusés d'avoir retrouvé une seconde vie sous Deby, mais avec une double particularité : celle d'avoir été ''tortionnaires'' de la police politique de l'ex-Président tchadien, et celle d'avoir été visés dans le réquisitoire du parquet général des Chambres africaines extraordinaires. Mais une ''épidémie'' de liberté provisoire frappe déjà certains d'entre eux, ce qui inquiète les victimes...

 

Il est temps que les Chambres africaines extraordinaires (CAE) tapent sur la table afin que les autorités tchadiennes diligentent les dossiers des agents de la Direction de la documentation et de la sécurité (DDS), considérée comme la police politique de l'ex Président Hissein Habré. C'est la complainte lancée hier par Me Jacqueline Moudeïna, victime et avocate des parties civiles dans l'affaire Habré, présente à Dakar depuis quelques jours pour faire ''diligence''.

A l'origine, ils étaient quarante sept (47) personnes présumées tortionnaires actifs au cours du règne de Hissein Habré et identifiées à travers une ''plainte collective'' déposée par les avocats des victimes de l'ancien régime, le 17 octobre 2000, devant le juge d'instruction du 1er cabinet de N’Djamena C'étaient d'anciens directeurs et sous-directeurs de la DDS, mais aussi des ''agents d'exécution'', et des ''agents de renseignements'' qui, au fil des années ayant suivi la chute de Habré, ont été la plupart ''recyclés'' dans le pouvoir du Président Idriss Deby Itno.

Selon Me Jacqueline Moudeïna, cette plainte déposée au nom et pour le compte des victimes avait été déclarée irrecevable par le Procureur de N’Djamena au motif qu'il y avait déjà une loi à partir de laquelle une ''cour'' serait chargée de juger les anciens collaborateurs de Hissein Habré. ''La loi était là, mais cette cour n'existait nulle part. Nous avons fait faire le constat par huissier et avons joint le procès-verbal dans le dossier'', explique Me Moudeïna, rencontrée hier par EnQuête.

Face à l'incompétence déclarée du Procureur, les avocats des victimes ont saisi le juge d'instruction du premier cabinet à NDjamena. ''Mais, contre toute attente, indique Jacqueline Moudeïna, il a suivi le Parquet en se déclarant lui aussi incompétent. Séance tenante, nous avons fait appel et le dossier est monté à la chambre d'accusation''.

L'offensive de la partie civile a alors consisté à ''démontrer'' le caractère ''inconstitutionnel'' de cette loi ''car au Tchad, nous n'avons qu'un seul ordre de juridiction, la Cour suprême, la plus haute juridiction du pays. Si donc il devait y avoir une autre Cour, elle ne pourrait être qu'une juridiction d'exception, ce qui est rejeté par la Constitution du Tchad'', souligne l'avocate.

''Le dossier des agents de la DDS n'avance pas''

La réponse de la chambre d'accusation, rapportée par Jacqueline Moudeïna, a consisté à dire que ''cette loi n'est pas juste une loi''. Le Conseil constitutionnel devait donc trancher en dernier lieu. ''Il décide de retirer cette loi de l'ordonnancement juridique tchadien, ce qui a favorisé le retour de notre dossier devant le Doyen des juges''.

Toutes ces péripéties se sont déroulées entre 2000 et 2001, rappelle Me Moudeïna, et en dépit de ''multiples démarches'' effectuées dans le sens de pousser le régime du Président Deby à ''balayer de la fonction publique'' toutes les personnes qui ont trempé dans les ''exactions'' du règne de Hissein Habré, ''rien n'a été fait'' alors même que c'est l'une des principales recommandations de la Commission d'enquête nationale sur ''les crimes et détournements de l'ex-Président Habré et de ses complices''.

Ce n'est qu'avec la mise en place des Chambres africaines extraordinaires que le juge d'instruction tchadien a daigné mettre sous les verrous les dignitaires et agents de la DDS qui avaient fait l'objet de plainte. ''Il en a arrêté vingt-sept, mais d'autres continuent à courir, et certains ne sont pas sur le territoire tchadien'', souligne Jacqueline Moudeïna.

Au nombre de vingt-sept visés par le réquisitoire du Procureur général des CAE dans le cadre de l'instruction de l'affaire Habré et détenus par les autorités tchadiennes, leur nombre diminue comme peau de chagrin. Ils ne sont plus que vingt-deux en prison, cinq d'entre eux ayant bénéficié de mesures de liberté provisoire. ''Le juge d'instruction a certes commencé à auditionner la partie civile, informe l'avocate.

Mais nous, nous attendons qu'il procède aux confrontations. S'il prenait juste trois tortionnaires, nous pensons que les choses iraient vite''. Pour Jacqueline Moudeïna, une réalité s'impose aujourd'hui : ''ce dossier n'avance pas''. Mais inutile de chercher midi à quatorze heures : ''nous devons obliger les gens à nous rendre justice. Nous devons les obliger à ne pas verser dans le déni de justice. Avec le volet sénégalais de cette affaire, le Tchad est bien obligé de faire quelque chose''.

''Le silence ? La stratégie de tous les grands criminels''

Ce point focal des ''tortionnaires'' de la DDS est la preuve de la complexité de cette affaire Hissein Habré, reconnaît Me Moudeïna. ''Tous ceux qui ont œuvré à la DDS (sous Habré) sont revenus à la charge dans l'actuel régime (Deby) et ils sont aux principaux postes de commande de ce pouvoir. Et c'est là où je déplore que le gouvernement tchadien n'ait pas exécuté la recommandation du rapport d'enquête nationale ordonné par ce même gouvernement en 1992''.

A propos de la stratégie de silence de Hissein Habré et de ses avocats, Jacqueline Moudeïna répond : ''cela ne nous étonne pas. C'est le comportement de tous les grands criminels, jeter   l'anathème sur le système judiciaire qui doit connaître de l'affaire, sur les victimes, etc.

Rien ne trouve grâce à leurs yeux, pas même le président de la République. Je ne sais pas si c'est une bonne stratégie ou non, mais je constate que, en même temps qu'ils disent que les Chambres sont illégales, ils se prononcent quand même sur les décisions'' que rend cette juridiction. ''A mon avis, la bonne stratégie serait d'affronter ses victimes et de justifier son innocence devant ces chambres-là'', affirme l'avocate tchadienne.

MOMAR DIENG

 

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