Publié le 20 Jul 2018 - 18:33
AFFAIRE IMAM NDAO

Les leçons d’un procès

 

Après avoir tenu en haleine l’opinion pendant plus de 2 ans, l’affaire de terrorisme dite affaire imam Ndao a connu son épilogue, hier. Avec le verdict rendu par la Chambre criminelle à formation spéciale du tribunal de grande instance de Dakar, l’on est tenté de dire que l’affaire s’est dégonflée comme un ballon de baudruche.

 

En a-t-on trop fait dans l’affaire imam Ndao ? Sans doute non, vu que la menace terroriste était et demeure réelle pour le Sénégal. Néanmoins, les charges étaient tellement lourdes (actes de terrorisme par menace, intimidation, violence, apologie du terrorisme, financement du terrorisme…) que cette affaire avait fini de placer le Sénégal sous les feux de la rampe, surtout avec l’ouverture du procès bien couverte par la presse nationale et internationale, en présence d’autorités diplomatiques. Même si ces dernières se sont montrées discrètes.

Mais, au-delà du grand bruit provoqué par l’affaire, quelques enseignements pourraient être tirés. En premier lieu, le travail des juges de la chambre est à saluer, dans la mesure où le président Samba Kane et ses quatre assesseurs n’ont pas été aveuglés par une chasse aux terroristes qui a fait que beaucoup d’innocents se sont retrouvés dans ce dossier, avant d’être acquittés. Ces personnes ont passé plus de 2 ans en prison parce que, tout simplement, l’instruction ne leur a pas été favorable.

Nul n’est besoin d’être juriste pour réaliser que le juge d’instruction n’a pas bien fait son travail. Sinon, comment comprendre que certains accusés sur qui pesaient de lourdes charges aient passé moins de 30 minutes ou même un quart d’heure à la barre durant l’instruction d’audience ? Comment comprendre aussi que les champs d’imam Ndao, présentés comme les lieux d’entrainement des djihadistes, n’aient pas fait l’objet de perquisition pour y trouver éventuellement du matériel militaire ou d’entrainement ? Heureusement que les juges ont eu la clairvoyance d’acquitter les innocents. Au final, ils ont perdu plus de 2 années de liberté.  

Le travail des services de renseignements

Mais l’innocence des uns ne doit pas occulter la culpabilité ou même la dangerosité des autres. Et c’est l’occasion de saluer le travail des services de renseignements qui, quoi qu’on puisse dire, ont tué la poule dans l’œuf. Qui sait ? N’eût été leur perspicacité et professionnalisme, le Sénégal aurait subi une attaque terroriste. Il était bien sur la liste des pays ciblés, après les attentats dont ont été victimes le Mali, la Côte d’Ivoire et le Burkina Faso. Un projet d’instauration d’un Etat islamique était même en gestation. A un moment donné, les autorités ont attiré l’attention sur le fait que le terrorisme était à nos portes, au point d’être soupçonnées de tenir des discours politiciens pour capter des fonds destinés à la lutte mondiale contre le terrorisme. ‘’Le Sénégalais est un pacifique. Il n’ose pas être terroriste’’, entend-on souvent.

Cependant, contrairement à cette idée répandue voulant faire de l’homo senegalensis une personne hémophobe (peur de la vue du sang) ou thanatophobe (peur de la mort), le dossier a montré une autre réalité. Une réalité selon laquelle ce même Sénégalais est capable de combattre dans les rangs des djihadistes (Aqmi, Etat islamique, Boko Haram). L’accusé Abu Akim Mbacké Bao l’illustre parfaitement avec ses aveux explosifs, lors de sa comparution. L’ex-combattant d’Aqmi au Nord Mali a confessé avoir combattu et appris la confection d’explosifs en tout genre. Sans compter les Sénégalais en Libye. Certains de ses coaccusés ont flirté avec les armes au Nigeria, plus précisément dans les villes de Sambissa, Ghoza rebaptisé Fathoul Moubine, fiefs de Boko Haram contrôlés par Abubakar Shekao.

Cupidité ou naïveté des candidats au djihad

Si, à la barre, ces jeunes combattants (inexpérimentés pour certains), entrainés par la cupidité de leurs maitres coraniques, ont justifié leur départ au Nigeria par le souci d’apprendre la religion, leur périple est sous-tendu par le désir de sortir de la pauvreté. ‘’On m’a dit qu’au Nigeria, je pouvais apprendre la Charia et gagner de l’argent’’. Ce moyen de défense a été entendu plus d’une fois venant de la bouche des ex-combattants. Ce qui relance la lancinante question de la pauvreté et du chômage chez les jeunes, d’autant plus qu’aucun d’eux n’avait un emploi. D’ailleurs, dans une étude sur la perception du terrorisme chez les jeunes habitants de la banlieue dakaroise, près de la moitié des jeunes sondés ont estimé que ‘’c’est la pauvreté et le chômage qui font le lit du terrorisme’’. L’étude a été publiée en octobre 2016 par l’Observatoire des radicalismes et conflits religieux en Afrique - Timbuktu Institute.

C’est dire que l’Etat doit inclure dans son combat contre le terrorisme la lutte contre le chômage.

FATOU SY

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