Publié le 15 Nov 2018 - 20:11
AFFAIRE KARIM WADE

Nouveau rebondissement

 

L’affaire Karim Wade est plus que jamais une épine dans le pied de l’Etat dont la Cour de répression de l’enrichissement illicite ne passe décidément pas auprès des institutions internationales. Aujourd’hui, c’est le Comité des Droits de l’homme des Nations Unies qui demande de réviser le procès.

 

C’est un nouveau rebondissement dans l’affaire Karim Wade qui n’en finit pas d’alimenter la polémique. Hier, c’est Maitre El Hadj Amadou Sall qui a vendu la mèche, en publiant sur sa page Facebook la nouvelle décision du Comité des Droits de l’homme des Nations Unies. Qui, écrit-il, a annulé l’arrêt de la Crei et demande un réexamen des faits reprochés à Karim Wade. ‘’EnQuête’’ a joint le ministre de la Justice, Ismaila Madior Fall, qui s’est voulu clair : ‘’Aucun organe, tranche-t-il net, ne peut annuler l’arrêt de la Crei (Cour de répression de l’enrichissement illicite).’’ Plus tard dans la soirée, ses services ont sorti un communiqué de presse pour donner les grandes lignes de la note reçue, le 14 novembre 2018, du Haut-commissaire aux droits de l’homme des Nations Unies.

Le Comité estime « … que les faits dont il est saisi font apparaitre des violations par l’Etat partie de l’article 14 para.5 à l’égard de Karim Wade. En vertu du paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’Etat partie est tenu d’assurer à l’auteur un recours utile. Cela exige que les Etats parties accordent une réparation intégrale aux personnes dont les droits reconnus par le Pacte ont été violés’’.  Egalement, ‘’la déclaration de culpabilité et de condamnation contre l’auteur doit être réexaminée conformément aux dispositions du paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte’’. De ce fait, ‘’l’Etat (le Sénégal) partie est tenu de veiller à ce que des violations analogues ne se reproduisent pas à l’avenir. …Le Comité souhaite recevoir de l’Etat partie, dans un délai de cent quatre-vingt jours c'est-à-dire au plus tard le 08 mai 2019, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations ».

Selon le ministre de la Justice, Ismaëla Madior Fall, ‘’il résulte de ce qui précède que le Comité n’a pas le pouvoir d’annuler et n’a donc pas annulé la décision du 23 mars 2015 rendue par la CREI’’. A ses yeux, le Comité n’est pas une instance juridictionnelle mais plutôt un comité d’experts indépendants dont les décisions sont dénuées de toute force obligatoire. ‘’En conséquence, il ne rentre pas dans ses attributions de réformer les décisions rendues par les juridictions nationales’’, écrit-il.

Un avis que ne partage pas, Me El Hadj Amadou Sall qui affirme, sans ambages, que ‘’les Nations Unies annulent l’arrêt de la Crei’’. Il ne s’en limite pas. Il poursuit que : ‘’Une procédure permettant une révision effective et substantielle de la déclaration de culpabilité (de Karim Wade) est exigée et doit permettre d’évaluer les éléments de preuve et de faits et non se borner à une révision limitée aux aspects de droit.’’

A en croire la robe noire, le Comité des Droits de l’homme des Nations Unies a aussi décidé que : ‘’… La déclaration de culpabilité et de condamnation (de Karim Wade)… doit être réexaminée conformément aux dispositions du paragraphe 5 de l’article 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.’’ Et, enfin, selon toujours El Hadj Amadou Sall, ‘’le comité enjoint l’Etat du Sénégal de veiller à ce que des violations analogues ne se reproduisent plus à l’avenir’’.

Suffisant pour que le responsable libéral crie victoire. Car, conclut-il : ‘’Cela signifie, en clair, que la décision du comité ôte toute sa valeur et toute sa portée à l’arrêt de la Crei. Cet arrêt n’a plus le caractère définitif invoqué par les autorités sénégalaises. Il impose un réexamen des faits reprochés à Karim Wade et des preuves fournies par lui. La base de la tentative de sa radiation des listes électorales s’est effondrée’’.

Me Ciré Clédor Ly : ‘’ ‘’Cette décision invalide le leitmotiv de l’Etat…’’

Son confrère de la défense, Me Ciré Clédor Ly ne dit pas autre chose. Il y voit ‘’le désaveu du Sénégal par les nations civilisées toutes confondues’’. ‘’Cette décision, poursuit-il, invalide le leitmotiv de l’Etat qui a procédé à la radiation de Karim Wade des listes électorales et tripote la loi électorale, ainsi que la constitution pour écarter un chalenger de la confrontation et de la compétition électorale’’. Selon la robe noire, il s’agit aussi d’un désaveu pour ‘’la justice sénégalaise et ses juges parties au complot contre les droits et les libertés de Karim Wade. Ils sont démasqués, dit-il, par le comité des droits de l’homme, l’instrument autorisé des Nations unies chargé de veiller sur le respect par les Etats qui se sont engagés par leurs signatures à la promotion, la protection et le respect des droits civils, politiques et économiques de l’homme’’.

Me Ly est d’avis que Karim Wade doit être immédiatement restauré dans ses droits politiques et son nom rétabli sur les listes électorales. ‘’Tout retard, fulmine-t-il, ne traduira que la volonté de saborder la démocratie au Sénégal et caractériser une ‘’haute trahison‘’ envers la nation par un hold-up électoral. La décision du comité n’est pas une surprise pour moi, car ses membres sont choisis sur des critères de compétence, de vertus et d’expérience avérées’’. Ce faisant plus incisif, l’avocat invite l’Etat à ‘’éviter d’être couvert de ridicule en enterrant ses décisions de justice qui sont des aberrations de l’histoire et des monstruosités, en se réconciliant avec le monde qui est celui de la justice garante de la paix et de la stabilité dans le pays’’.

‘’Ce comité n’a pas le pouvoir d’annuler la décision de la Crei’’

A la suite des deux avocats de Karim, Maitre Bassirou Ngom, avocat de l’Etat, a réagi pour s’inscrire en faux contre les affirmations de ses collègues. ‘’La partie adverse fait dans la manipulation, comme ils en ont l’habitude. Ce comité n’a pas le pouvoir d’annuler la décision de la Crei. C’est une vue de l’esprit. Cela n’a même pas de sens. Ses décisions ne sont pas contraignantes. Elles n’ont aucune valeur juridictionnelle’’. L’avocat de l’Etat estime ainsi que la décision du conseil ne lie pas l’Etat du Sénégal.

En tout cas, cette décision, il faut le reconnaitre, renverse totalement les propos du chef de l’Etat, quelques heures seulement auparavant sur France 24. Il disait : ‘’L’Onu n’a jamais critiqué le Sénégal, je suis désolé. L’Onu, c’est des institutions… Vous me diriez l’Assemblée générale, le Conseil de sécurité ou le Conseil (des Droits de l’homme)… vous ne le verrez jamais.’’ Face au journaliste qui lui précisait que le Groupe de travail l’avait bien fait, il rétorque : ‘’Les groupes de travail, il y en a dans tous les secteurs et ça va dans tous les sens.’’

Il n’y a donc pas fallu beaucoup de temps pour que l’organe spécialisé des Nations Unies en matière de protection des Droits de l’homme sorte de son long mutisme et change complètement la donne. Reste à savoir si l’Etat va s’exécuter.

Présentation du Comité des Droits de l’homme

Le Comité des Droits de l’homme est un organe composé d’experts indépendants qui surveille la mise en œuvre du Pacte international relatif aux droits civils et politiques par les États parties.

Tous les États parties sont tenus de présenter au comité, à intervalles réguliers, des rapports sur la mise en œuvre des droits consacrés par le pacte. Ils doivent présenter un premier rapport un an après avoir adhéré au pacte, puis à chaque fois que le comité le leur demande (généralement tous les quatre ans). Le comité examine chaque rapport et fait part de ses préoccupations et de ses recommandations à l’État partie sous la forme d’’’observations finales’’.

L’article 41 du pacte prévoit l’examen de plaintes interétatiques par le comité. En outre, le premier protocole facultatif se rapportant au pacte permet au comité d’examiner des plaintes individuelles émanant de particuliers qui se disent victimes d’une violation des droits reconnus dans le pacte. Tel que stipulé dans l’article 2 de ce protocole : ‘’Sous réserve des dispositions de l'article premier, tout particulier qui prétend être victime d'une violation de l'un quelconque des droits énoncés dans le pacte et qui a épuisé tous les recours internes disponibles, peut présenter une communication écrite au comité pour qu'il l'examine.’’

Le comité se réunit à Genève et tient généralement trois sessions par an. Il publie aussi son interprétation du contenu des dispositions du pacte, sous la forme d’observations générales sur des questions thématiques ou ses méthodes de travail.

 

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