Publié le 24 Mar 2017 - 23:56
AFFAIRE KHALIFA SALL

Le  Pm Dionne monte au front

 

Si le président de la République Macky Sall se garde de s’épancher sur le dossier Khalifa Sall, tel n’est pas le cas de son Premier ministre.  A l’Assemblée nationale hier, Mahammad Boun Abdallah Dionne ne s’est pas gêné d’apporter des éléments de réponses lorsque interpellé sur la question par les députés de la 12ème législature. Mais c’était sans compter avec les perturbations d’un certain Barthélémy Dias.

 

L’emprisonnement de Khalifa Sall a cristallisé hier les débats lors du passage du Premier ministre, pour la sixième fois à l’Assemblée nationale, dans le cadre des questions d’actualité posées périodiquement au gouvernement. Les députés de la douzième législature, que ce soit de l’opposition ou de la mouvance présidentielle, ont soulevé et relancé le chef du gouvernement à plusieurs reprises sur cette question.

‘’Il n’y a aucune politique de deux poids deux mesures dans l’affaire Khalifa’’

C’est en effet le député de l’Alliance pour la République Awa Guèye qui a, dès l’entame des discussions, soulevé la question. ‘’Monsieur le Premier ministre, votre gouvernement est accusé de favoritisme et de politique de deux poids deux mesures dans l’emprisonnement du maire de Dakar, Khalifa Sall. Pouvez-vous éclairer l’Assemblée nationale sur les tenants et les aboutissants de cette affaire ?’’ interpelle-t-elle ainsi le chef du gouvernement.

Mahammed Boun Abdallah Dionne, dans ses éléments de réponse, a d’emblée précisé qu’il n’y a aucune politique de deux poids deux mesures de l’Etat dans la suite à donner aux rapports de l’IGE. A ce propos d’ailleurs, il rappelle que le président de la République a toujours dit et rappelé aux membres du gouvernement et aux responsables de son parti qu’il ne protégerait personne. Selon le Pm, c’est ce qui inspire l’action du gouvernement en matière de reddition des comptes. ‘’Vous êtes ministre, député, maire, élu, vous devez rendre compte. L’IGE nous inspecte en tant que ministère. Elle inspecte les projets que l’exécutif gère mais aussi les collectivités locales qui sont administrées librement’’, déclare-t-il. Avant d’ajouter : ‘’2015 comme pour toutes les années, l’IGE a fait son programme de travail et a voulu s’intéresser à l’activité publique dans les collectivités locales. 7 mairies ont été sélectionnées pour justement faire objet de vérification administrative et financière.

Il y a la mairie de Dakar, celle de Fatick y compris pour la gestion du maire Macky Sall, celles de Pikine, Guédiawaye, Ziguinchor, Saint-Louis et Kaolack. A l’issue de ces 7 missions normales qui ont été lancées dans le cadre le plus respectueux des règles de la gouvernance publique, il y a deux dossiers déférés devant la justice pour ouverture d’information judiciaire’’, explique-t-il tout en se gardant d’entrer dans les détails. ‘’Je suis venu avec quelques rapports, mais ils sont estampillés secret défense. Ce sont des rapports sérieux de l’IGE qui est une institution sérieuse. Le chef de l’Etat les a approuvés et quand il a fait l’approbation, il en a terminé, ça devient l’affaire du gouvernement et l’ensemble des 7 rapports, leurs recommandations deviennent de fait, des directives présidentielles pour le gouvernement qui a pris ses responsabilités’’, rumine-t-il. Non sans préciser que ‘’dans deux des rapports, il a été demandé expressément, et par écrit, l’ouverture d’information judiciaire’’. ‘’Je l’ai moi-même demandé au Garde des Sceaux’’, fulmine-t-il.

Le Premier ministre s’est par ailleurs plaint qu’on ne parle que du dossier du maire de Dakar au moment où il y a une autre information judiciaire qui a été ouverte dans le pays, dans une autre commune’’. ‘’Nous traitons les dossiers avec professionnalisme, sans zèle inutile, sans passion, sans humiliation et sans communiquer parce que ce sont des dossiers qui sont déférés devant la justice du pays. Et des enquêtes ont été ouvertes. Si aujourd’hui certains dossiers sont sur la place publique, ce n’est pas la faute du gouvernement qui n’en a jamais parlé. On pourrait parler des faits mais ce n’est pas ce qui est important parce qu’il y a la présomption d’innocence comme principe fondateur de droit’’, soutient le chef du gouvernement. Qui s’offusque par ailleurs, qu’‘’on mêle trop le président de la République à cette activité qui est une procédure administrative, normale et régulière’’.  

Barthélemy Dias perturbe la quiétude du Pm Dionne…

Malgré ces éléments de réponses apportées à la représentation nationale par rapport à cette affaire, les députés sont revenus à la charge avec d’autres questions relances. Pour boucler la boucle, c’est le président du groupe parlementaire Benno bokk yaakaar (BBY) qui, en tant que dernier intervenant sur la liste des quatorze députés qui ont pris la parole, a remis sur le tapis la question. ‘’Monsieur le Pm, le landerneau politique sénégalais, judiciaire et médiatique est marqué par le placement sous mandat de dépôt du maire de Dakar, Khalifa Sall. Certains de nos compatriotes considèrent l’arrestation comme la conséquence de l’utilisation de la justice pour liquider un adversaire politique. L’opposition parle même de délit d’opposant et d’acharnement. Pouvez-vous édifier la représentation nationale sur les tenants et les aboutissants des faits qui ont valu au maire de Dakar ses déboires judiciaires’’, formule Moustapha Diakhaté.

La réponse du Pm n’a pas trop tardé. ‘’Conformément à la présomption d’innocence, au secret de l’instruction et la confidentialité qui l’entourent, vous comprendrez aisément qu’il ne m’appartient pas de qualifier les faits. Mais nous n’allons pas nous dérober’’, répond-il. Avant d’embrayer : ‘’Les détails, je ne vais pas les donner ici. Mais je voudrais rassurer la représentation nationale. Je suis venu avec un papier, le budget 2017 de la mairie de Dakar. On dit que c’est un dossier politique. Mais s’il y avait un problème politique avec les élus de Dakar, le préfet n’approuverait pas sans murmure un budget qui se chiffre à plus de 66 milliards. Le cabinet du maire de Dakar, c’est 2,137 milliards approuvés. Education, jeunesse, culture et sport, 4,553 milliards pour aider la jeunesse et cela a été approuvé par le préfet. Donc il ne saurait y avoir de problème politique dans cette affaire.’’

Selon le Pm, il n’y a aucune tentative de liquidation d’un adversaire politique dans le cadre de cette affaire. ‘’Quelqu’un qui veut être président de la République, il se présente, nous sommes en démocratie. Le gouvernement de Macky Sall n’a aucun problème avec aucun Sénégalais qui a une ambition politique.’’ ‘’Ce budget de 66 milliards, c’est beaucoup d’argent. Et pendant ce temps, c’est le gouvernement qui paye l’éclairage public dans la capitale, l’unité de gestion, le traitement des ordures ménagères et on n’a aucun problème avec les élus de Dakar. Maintenant, il n’existe pas de fonds politiques dans ce pays. Il existe des…’’

A ce stade de son discours, il est aussitôt interrompu par le député Barthélemy Dias qui usurpe la parole en ces termes : ‘’objection monsieur le président’’. La réponse de Moustapha Niasse n’a pas trop tardé. ‘’Vous n’avez pas la parole cher collègue. Vous ne pouvez pas intervenir, vous violez le règlement intérieur. Pour prendre la parole, on la demande. Demandez la parole. Si vous la demandez, le président peut vous l’accorder ou vous la refuser. Mais vous n’avez pas le droit de vous donner la parole vous-même. Asseyez-vous je vous en prie au nom de tous les députés. Asseyez-vous ! Je ne vous la donne pas. Je vous respecte, je vous demande de vous asseoir. Asseyez-vous ! Asseyez-vous ! Asseyez-vous ! Vous n’avez pas le droit de prendre la parole…’’, fulmine Moustapha Niasse. ‘’Je m’excuse, ne jugez pas le maire de Dakar. Ici, ce n’est pas un tribunal’’, insiste Barthélemy Dias. ‘’Je vais vous lire le règlement intérieur. Vous venez de commettre une faute’’, renchérit le président de l’Assemblée.

 ‘’Monsieur le président, nous sommes à l’Assemblée nationale’’, charge de nouveau le maire de Mermoz-Sacré-Cœur. ‘’Asseyez-vous ! Asseyez-vous ! Asseyez-vous ! Je vous prie de bien vouloir regarder les articles 53, 54, 55, 56, 57, je ne vais pas vous les appliquer parce que je vous respecte en tant que député. Si je vous les applique, vous quittez la salle. Alors taisez-vous et laissez le Premier ministre parler !’’ crie le leader progressiste qui s’énerve. ‘’Un peu de respect monsieur le président !’’ réagit le fils de Jean Paul Dias qui tient coûte que coûte à prendre la parole sous le regard impuissant du Pm. ‘’Taisez-vous ! Taisez-vous ! Taisez-vous ! Vous avez commis une faute vis-à-vis de toute l’Assemblée nationale. Arrêtez ! Monsieur le Premier ministre continuez’’, ordonne Niasse.

‘’Monsieur le président de l’Assemblée nationale, je continue mes propos qui sont des propos de chef de gouvernement, pas de juge ni de procureur’’, poursuit le Pm. Visiblement perturbé par cet incident, Mahammed Boun Abdallah Dionne semble perdre le fil de son speech. ‘’Au nom de la transparence, je vais continuer’’, répète-t-il à deux reprises avant qu’il ne décide de poursuivre avec beaucoup de lacunes. ‘’Il n’existe pas dans votre pays des fonds politiques. Il existe des fonds spéciaux, des fonds de souveraineté que vous votez, vous auguste Assemblée nationale comme il en existe dans tous les pays du monde. Quand on parle de fonds de souveraineté, c’est l’espionnage et le contre-espionnage principalement’’, soutient-il. Pour ensuite  déclarer ‘’qu’il n’existe pas au Sénégal des caisses noires dans lesquelles on fait ce que l’on veut sans reddition des comptes’’.

A propos de la caisse d’avance de la mairie de Dakar, il soutient qu’elle a existé depuis longtemps. Mais qu’elle a été instituée  principalement pour le règlement des frais de manifestation à l’occasion d’accueil de personnalités, d’inaugurations et cérémonies populaires de la ville de Dakar, de l’ordre de 10 millions’’.  ‘’Ce n’était pas des fonds politiques. C’est cela la réalité des faits. Pour le reste, laissons la justice dans le cadre de son indépendance. Nous ne sommes pas un tribunal, nous ne sommes pas un juge’’, conclut-il.  

 Niasse sort de ses gonds    

Cet échange de propos aigre-doux avec le député Barthélemy Dias a fait sortir le président de l’Assemblée nationale de ses gonds. Moustapha Niasse, juste après le discours du Pm, a rappelé à l’Assemblée les dispositions de l’article 53 du règlement intérieur qui dit : ‘’L’Assemblée étant le lieu par excellence du débat démocratique, celui-ci doit être serein, courtois et impersonnel.’’ ‘’Voilà ce que dit l’article 53’’, s’exclame-t-il avant de poursuivre  en ces termes : ‘’Les autres articles disent en substance ceci : ‘’Dans les cas exceptionnels, susceptibles de bloquer les travaux tels que : injures, invectives, menaces, bagarres ou agressions, le président peut prononcer l’expulsion temporaire de l’Assemblée nationale’’.

Si j’applique cela quand quelqu’un fait ce qui vient de se faire, je le mets dehors’’, fulmine-t-il. Et d’ajouter : ‘’Je ne le ferai jamais. Je crois avoir suffisamment d’autorité pour faire respecter le règlement intérieur sans demander au colonel Dionne qui est là d’aller expulser un député. Je ne le ferai jamais. Dumako def mukk, dumako def mukk, dumako def mukk. Waaye nak, fayda gi doyna, bà ku trublé, doo wëy. Kenn moomul kenn. Nous sommes d’égale dignité. Si je demande au colonel Dionne, il est assis là-bas, de l’expulser, il le fait. Mais je ne le ferai pas. Waaye nak, kufi cëpi cëpi, man ngay fekk fii. Il faut que les choses soient claires’’, cadre-t-il tout en soulignant qu’il ne laissera personne bloquer les travaux de l’Assemblée nationale.

ASSANE MBAYE

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