Publié le 1 Mar 2021 - 20:36
AFFAIRE SONKO/ADJI SARR

Le règne de la terreur

 

Le Sénégal se profile-t-il vers des lendemains sombres ? C’est, en tout cas, la conviction de bien des observateurs qui ne cessent d’avertir contre le pire. Aux actes de vandalisme et menaces des pro-Sonko, l’Etat réagit par une répression jugée sans précédent et aveugle.  

 

C’est l’escalade ! Du côté de l’Etat, c’est la répression tous azimuts. Rarement, autant d’arrestations ont été notées dans un dossier judiciaire, politique en particulier. Tout a commencé le 8 février dernier, suite aux émeutes constatées dans quelques endroits de Dakar et dans d’autres localités du pays. Les forces de défense et de sécurité ont violemment répliqué. A la fin de la journée, une quarantaine de personnes ont été arrêtées, avant que près de la moitié ne soit libérée. Depuis lors, plusieurs autres vagues d’arrestations ont été enregistrées un peu partout dans le pays, en particulier dans les régions de Dakar et de Ziguinchor.

De Patricia Mariame Ngandoul (le 15 février) à Dame Mbodj et Cie arrêtés le samedi 27 février à la place de l’Indépendance, le régime a montré toute sa détermination à casser du patriote de Pastef. Aujourd’hui encore, la traque se poursuit de plus belle et n’a pas livré tous ses secrets. Et elle ne distingue ni responsables de premier plan ni militants de seconde zone, encore moins sympathisants, étudiants, enseignants ou hauts fonctionnaires. Au dernier décompte fait par Ousmane Sonko, dans sa déclaration du jeudi 25 février, ils étaient au nombre de 33 dans les lieux de détention : une vingtaine à Dakar, près de 10 dans la région de Ziguinchor. Il disait : ‘’Nous avons 33 personnes illégalement, injustement retenues par Macky Sall, pensant pouvoir briser notre mouvement, parce qu’il considère que c’est les têtes du mouvement. Mais il n’a rien compris de ce qui fait fonctionner un mouvement populaire…’’

Cependant, dans cette guerre, la terreur ne semble pas être l’apanage d’un seul camp. Si le régime s’illustre par des arrestations massives sur toute l’étendue du territoire, le camp d’en face n’est pas du tout exempt de reproches. Depuis le début de cette affaire, en effet, les partisans d’Ousmane Sonko se sont illustrés par une violence inouïe. De la destruction de biens appartenant à des particuliers aux menaces de mort, ils n’ont rien laissé en rade pour imposer le silence à tous ceux qui ne seraient pas favorables à leur cause. Même des journalistes et organes de presse en ont eu pour leur grade. Leur première cible a été le journal ‘’Les Echos’’.

A l’époque, le Syndicat des professionnels de l’information et de la communication (Synpics) n’avait pas tardé de réagir en ces termes : ‘’Il nous a été donné de constater que le quotidien ‘Les Echos’ est la cible de toutes sortes d’attaques qui se manifestent par des appels téléphoniques, des post sur les réseaux sociaux et même la publication-diffusion de la photo de son directeur de publication… Ces pratiques pour tenter d’intimider des journalistes sont d’un autre monde et ne sauraient prospérer.’’ Bamba Kassé et Cie prévenaient : ‘’… Le Synpics suit avec un grand intérêt les développements de cette affaire, en ce qu’elle semble désormais non pas opposer l’accusatrice et l’accusé, mais constitue un prétexte, pour certains, de tenter de jeter le discrédit sur la presse sénégalaise par tout moyen, y compris par la violence verbale et/ou physique.’’

D’ailleurs, compte tenu de ces menaces, la police avait vite dépêché au siège du journal quelques éléments pour assurer la sécurité des agents. En tout cas, pour les journalistes, il est hors de question de céder à la pression, mettait en garde le Synpics. ‘’A tous ceux, extrémistes de tout bord, qui pensent que la presse doit être de leur côté ou que le devoir d’informer ne vaut que lorsque la cible est un adversaire, nous rappelons que la liberté de la presse n’a pas de couleur politique, religieuse, sociale ou économique. Le journaliste n’a qu’une contrainte : vérifier l’information, procéder à leur recoupement…’’

Malgré ces mises en garde, les illuminés avaient continué leurs menaces et autres violences verbales contre tous ceux qui soutenaient des thèses n’allant pas dans le sens de leurs intérêts. Ne serait-ce que pour soulever des zones d’ombre ou poser des interrogations. Après ‘’Les Echos’’, ‘’Source A’’ aussi a été victime des mêmes attaques. En plus de ces organes, des journalistes ont également été visés. Il s’agit, entre autres, de Cheikh Oumar Ndaw (directeur de publication ‘’Les Echos’’), Daouda Thiam (directeur de publication ‘’Source A’’), Yakham Mbaye (directeur général ‘’Le Soleil’’), Zeynab Sankharé, présentatrice de l’émission ‘’Com Politique’’, Maty Trois Pommes, journaliste établie en Europe, Maïmouna Ndour Faye (directrice générale de la chaine privé 7 TV).

Par ailleurs, entre l’Etat et les partisans d’Ousmane Sonko, la guerre se mène sur tous les terrains : dans les rues comme dans les médias et les réseaux sociaux. Souvent, ce ne sont pas les idées qui prévalent, mais bien des insultes et des menaces à tout-va. Et les camps se rejettent la balle. Pour Sonko, la violence première est l’œuvre de Macky Sall et ses hommes de main qui fouleraient aux pieds la justice à des fins politiciennes. ‘’Macky Sall, disait-il dans sa dernière sortie, son ministre de l’Intérieur et son procureur utilisent des méthodes dignes de la Gestapo pour procéder à toutes sortes de sévices physiques et psychologiques. Des jeunes ont rapporté avoir été torturés dans les locaux de la police, des kidnappings sont orchestrés tous les jours sur des citoyens sans préavis, ni convocation…’’.

Selon le leader du Pastef, l’objectif n’a rien à voir avec la justice. ‘’Il s’agit plutôt de vengeance, de briser des vies et de briser un élan patriotique, illustration de la peur bleue que leur inspire la capacité de mobilisation du peuple sénégalais désormais conscient’’. Les mots sont lâchés : peur bleue, vengeance, briser un élan pratique…

Mais qui fait peur à qui ? De quoi se vengerait l’Etat contre les patriotes de Pastef ? Quel est l’élan patriotique à briser ?

Du côté des gens du régime, par contre, on renvoie la faute au camp d’en face, qui jouerait au dilatoire et à la manipulation de l’opinion. De plus, ne cessent-ils de souligner, ils sont nombreux à être victimes de menaces. Au point que même leurs proches ne cessent de s’inquiéter et de les mettre en garde.  

Membre de la majorité présidentielle, Bassirou Sarr (leader d’And Jerin Senegaal) ne dit pas le contraire. Sur le plateau de la Télévision futurs médias, samedi, il évoquait des mises en garde à lui fait par des proches. Joint par téléphone, M. Sarr précise : ‘’J’avoue que je n’ai pas reçu de menaces directes. Mais avant de répondre à cette invitation (de la TFM), des intimes ont tout fait pour me dissuader. Pour eux, il n’était pas prudent d’y aller, compte tenu de la situation difficile. ‘Les gens vont te remarquer et ils pourraient te prendre pour cible’, me disaient-ils.’’ Avant de souligner : ‘’C’était vraiment des intimes qui me le disaient et compte tenu des informations circulant çà et là…’’

ATTENTAT CHEZ LE DEPUTE SEYDOU DIOUF

Alors qu’on n’avait pas fini de rédiger cet article, ‘’EnQuête’’ a appris, hier, que des nervis non encore identifiés ont attaqué la maison du député Seydou Diouf, sise à Rufisque, avec des cocktails Molotov.

Dans ce contexte où plusieurs menaces ont été proférées contre des tenants du régime, est survenue, hier à Rufisque, l’attaque du domicile du député Seydou Diouf (président de la Commission des finances de l’Assemblée nationale). Un acte qui suscite pas mal d’interrogations.

En effet, il résulte des informations recoupées auprès du voisinage, que ce sont des individus encagoulés qui ont fait irruption au domicile du député et ont commis ce qui s’apparente bien à un attentat rondement mené. Au nombre de 10, cette bande organisée a réussi à semer la terreur dans ce coin d’habitude bien tranquille de la vieille ville.

Selon les témoignages, le gardien a été neutralisé par deux d’entre les assaillants, au moment où les autres membres de la bande lançaient des cocktails Molotov dans la maison. Ainsi, un des ‘’explosifs’’ a été jeté dans la cour de la maison du parlementaire, tandis qu’un autre atterrissait au balcon, à l’étage. Selon le voisinage, la police qui a été saisie s’est déployée sur les lieux, mais les malfrats avaient pris la poudre d’escampette aussitôt après leur forfait. Selon nos sources, seuls quelques dégâts matériels ont été enregistrés. Mais le pire aurait pu se produire, si le cocktail placé dans la voiture avait fait les dégâts escomptés.

Comme le souligne Bassirou Sarr dans l’interview ci-contre, il a été relevé, ces derniers jours, plusieurs annonces relatives à des attaques contre des symboles de la France, de l’Etat, mais aussi des attaques contre certains dignitaires du régime.

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ITV - BASSIROU SARR, AND JERIN SENEGAAL

‘’L’action politique est ramenée au plus bas de son expression’’

Joint par téléphone, le leader d’And Jerin Senegaal revient sur l’échec des politiques et regrette que le culte de la personnalité ait pris le dessus sur les débats d’idées.

Pourquoi vos proches vous déconseillaient-ils de répondre à l’invite de certains médias ?

Ils avaient peur de deux choses. D’abord, que je fasse l’objet d’insultes sur les réseaux sociaux ; ensuite, qu’après l’émission, que je sois sur une liste de personnes ciblées… C’est peut-être parce qu’ils ont entendu des audios où des personnes élaborent des stratégies pour dire comment ils comptent brûler le pays, en réalisant des actes dans la ville, en s’en prenant à certains symboles de la France, mais aussi en visant les responsables politiques du pouvoir. C’est à cause de tout cela que mes proches, en apprenant cette invitation, ont voulu me décourager.

Vous êtes dans l’arène politique depuis des années. Comment en est-on arrivé à ce niveau de violence et d’intimidation ?

Pour moi, les gens ne font plus de la politique. Autrefois, les gens étaient dans des postures idéologiques et politiques. On proposait des programmes, des projets de société sous-tendus par une vision claire. Cela n’existe plus. Maintenant, on fait surtout des débats autour d’une personne mise en avant, en termes de pour ou contre. Il n’y a plus de débats d’idées. Ça vole au ras des pâquerettes, comme on dit. La politique est devenue alimentaire ou simplement tourne autour de l’affect, des sentiments. Et c’est dommage.

Est-ce que cela ne traduit pas une certaine faillite de la justice ?

Pour moi, ça n’a rien à voir avec la justice. C’est plutôt un effondrement de la politique et de l’action politique. Ce sont plutôt les hommes politiques qui ne jouent plus leur rôle comme il se doit. La politique tourne autour de personnes que l’on aime ou que l’on n’aime pas, mais pas autour de programmes, des idées. Cela n’a rien à voir avec la justice. C’est l’action politique qui est ramenée au plus bas de son expression.  

N’avez-vous pas peur que cela dégénère ?

Vous savez, la politique, ça va dans tous les sens, hein. Il faut s’attendre à tout. En tant qu’homme politique, rien ne me surprendra. Je m’attends à toutes sortes de situations. L’essentiel, c’est de les envisager, de les circonscrire, de pouvoir anticiper sur ça et de pouvoir y faire face.

Ayant traversé beaucoup de générations d’hommes politiques, en avez-vous connu des situations aussi graves ?

On en a connu des crises plus graves, plus profondes, plus durables. Prenez Mai 1968 ; prenez 1988 avec le soulèvement de la jeunesse ; prenez 1993, 1994 ; prenez l’an 2000 avec le renversement de Diouf ; prenez 2011 avec le mouvement du 23 Juin. La différence est que toutes ces luttes n’avaient rien à voir avec des personnes ; ce n’était pas des luttes crypto-personnelles, comme on dit. C’était autour des programmes avec des objectifs politiques précis. On en a donc tellement vu, tellement vécu, que très franchement, rien ne nous surprend.

MOR AMAR

 

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