Publié le 18 May 2019 - 20:53
AFFRONTEMENTS ETHNIQUES

La Côte d’Ivoire renoue avec ses démons

 

Depuis plusieurs années, les affrontements interethniques se multiplient, en Côte d’ivoire. Les plus récents ont débuté mercredi dernier. Depuis hier, et jusqu’à lundi, un couvre-feu est décrété. Egalement, le bilan des affrontements est revu à la hausse. On parle d’au moins 9 morts et une centaine de blessés. Retour sur une longue crise aux soubassements interethniques.

 

Décidément, la Côte d’Ivoire n’en a pas fini avec les violences interethniques. Les affrontements de jeudi dernier, dans une localité du centre du pays situé à 60 km de Bouaké, le prouvent bien. A Béoumi, fief des Baoulés (ethnie ivoirienne), tout est parti d’une altercation entre un conducteur de moto-taxi et un autre conduisant un véhicule de transport en commun. Les deux, étant issus de communautés différentes (baoulé et malinké), se sont livrés à une bagarre sans merci, occasionnant l’évacuation aux urgences du premier cité.  

Comme une trainée de poudre, la rumeur de sa mort s’est répandue dans toute la ville. Et pour justement raviver la flamme des récurrentes tensions entre ces deux groupes ethniques. Armés de fusils artisanaux, ils se sont fait la peau. Un premier bilan faisait état de 3 morts et une quarantaine de blessés, parmi lesquels des policiers et sept magasins de Sénégalais pillés et brûlés.

Mais, hier, les autorités ont annoncé au moins 9 morts et une centaine de blessés. Pour parer à toute éventualité, un couvre-feu, entre 21 h et 6 h du matin, a été décrété. Ce, jusqu'à lundi. Elles annoncent aussi le déploiement de 300 militaires sur place. Une rencontre entre chefs religieux et communautaires est prévue ce samedi. Egalement, le médiateur de la République, Adama Toungara, a appelé au calme et a dépêché une délégation sur place.

A l’heure où le président Alassane Ouattara parle de réconciliation et de reconstruction, il semble que, dans les cœurs et les esprits, les rancunes du passé persistent. ‘’Depuis les dernières élections, la tension règne. On ne peut pas se le cacher. Lors des élections, il y a eu des affrontements’’, relève Jean-Marc Kouassi, Maire indépendant rallié au Parti démocratique de Côte d’Ivoire (Pdci d’Henri Konan Bédié) à ‘’Jeune Afrique’’.

En effet, lors des municipales d’octobre 2018, des violences avaient éclaté entre des membres de ces mêmes communautés baoulé et malinké (communément appelés Dioulas) réputées acquises, respectivement au Pdci et au  Rassemblement des houphouëtistes pour la démocratie et la paix (Rhdp) d’Alassane Ouattara.

Il est clair que la rivalité politique ouvertement déclarée entre Bédié et Ouattara, lors de ces échéances, s’est enracinée jusque dans leurs bases politiques. Et la scission continue de faire ses effets, bien au-delà de l’aspect politique. En Côte d’Ivoire, à quelques exceptions près, un Baoulé s’identifie systématiquement à Bédié et un Dioula à Ouattara. A noter que ces choix reposant sur l’ethnie se confondent évidemment à la chose politique.

Par ailleurs, le foncier et le volet économique s’ajoutent à la liste des points de désaccord entre les deux ethnies. Plusieurs manifestations du type ont éclaté dans le pays, quant à la délimitation foncière toujours entre ces mêmes groupes ethniques. Il existe, en outre, une sorte de répartition des rôles dans la société ivoirienne.

En effet, le Dioula ou Malinké porte, par essence, l’étiquette du transporteur et du commerçant par excellence. Le Baoulé est plus présent dans les champs et la bureaucratie. Depuis peu, il semble que le deuxième groupe veuille s’adonner aux activités économiques du premier. Là encore, la cohabitation passe mal.

Quand l’ivoirité a mis le feu aux poudres

Les tensions intercommunautaires sont récurrentes en Côte d’Ivoire. Aucune région n’est épargnée. En sept ans, vingt-sept attaques de locaux de préfectures et de sous-préfectures ont été comptabilisées, de source officielle. Toutefois, le syndrome de la division entre ces deux groupes ethniques appartenant à un même pays ne date pas d’hier.

En 1999, le premier coup d’Etat du pays ayant renversé Henri Konan Bédié, Président d’alors, est né d’une crise identitaire. En effet, des chefs militaires, tous de la même ethnie (dioula) du nord du pays, ont mené l’assaut contre celui qu’il considérait comme un bourreau. Ils estimaient que leur communauté ethnique et religieuse (tous musulmans) était brimée, sous le régime de Bédié. Selon eux, ce dernier, avec son ‘’concept d’ivoirité’’, divisait plus qu’il ne bâtissait une nation. Le renverser était donc la seule option, afin d’installer des hommes plus soucieux de construire une véritable nation et d’instaurer la démocratie.

Bien qu’ayant de la sympathie pour Alassane Ouattara qu’ils ont dénommé ‘’Leader du Nord’’, ils ont choisi de mettre aux affaires le général Robert Guéi, assassiné en septembre 2000. Il aurait été victime de son attachement à ‘’l’ivoirité’’ et de son désir de se présenter à l’élection présidentielle suivante. -

L’idéologie a pris place, après la mort de Félix Houphouët-Boigny, en 1993. Porté par Henri Konan Bédié, le concept consistait à marginaliser politiquement et socialement des populations vivant en Côte d’Ivoire ayant des origines dans les pays limitrophes, notamment le Burkina Faso. Cependant, dans une logique inavouée, l’objectif était d’empêcher Alassane Ouattara d’accéder au poste suprême.

Selon l’ivoirité, est ivoirien seulement une personne née en Côte d’ivoire de père et de mère ivoiriens ayant ses quatre grands-parents nés sur le territoire. D’où le germe de l’exclusion des communautés du nord du pays (malinkés ou dioulas) portant des patronymes souvent à consonance étrangère.

L’ivoirité se matérialise aussi par le consommer ivoirien, dans un contexte de crise économique (1993-1994) visant à réduire le chiffre d’affaires de ces commerçants nordistes et étrangers présents sur le territoire. A une différence ethnique, s’ajoute une discrimination religieuse. En effet, les musulmans du Nord sont considérés, toujours dans ce concept, comme ‘’de mauvais Ivoiriens, voire des étrangers’’. 

Trois ans plus tard, précisément dans la nuit du 18 au 19 septembre 2002, un grand groupe d’hommes armés originaires du Nord s’attaque à la capitale économique, Abidjan, et prend le contrôle de Bouaké et de Khorogo. S’opère alors la scission du pays en deux : le Nord dirigé par les rebelles et le Sud par le gouvernement. Dans leurs rangs, on compte les putschistes de 1999, des Burkinabé et des Maliens, avec à leur tête Guillaume Soro.

‘’Les mêmes causes produisent les mêmes effets’’. L’adage s’est clairement vérifié sous le régime de Laurent Gbagbo. Car, en 2002, les revendications des rebelles n’ont point changé. Ils réclamaient, à l’arme lourde, l’obtention de la nationalité ivoirienne pour tous les habitants du pays, l’arrêt de l’emploi de l’idéologie xénophobe d’ivoirité et le départ de Laurent Gbagbo. Une crise qui a subsisté, de 2002 à 2011, malgré les multiples médiations et accords signés. Entre 2010 et 2011, une nouvelle flambée de violence faisait plus de 3 000 morts, après l’élection présidentielle ayant opposé Gbagbo et Ouattara.

Au-delà du résultat des urnes, il s’agissait de deux rivaux politiques et ethniques. L’un s’est fait chantre de l’ivoirité, dès son accession au pouvoir, l’autre l’a toujours combattu, depuis 1993.

En somme, la crise identitaire représente ce feu qui couve depuis déjà bien longtemps.

Voilà qu’en 2019, des violences ethniques se multiplient, à travers le pays.

EMMANUELLA MARAME FAYE

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