Publié le 24 May 2018 - 00:04
AHMADOU MAKHTAR KANTE (IMAM MOSQUEE POINT-E)

‘’Idrissa Seck a dit un tissu d’erreurs très graves’’

 

Idrissa Seck est vraiment dans le pétrin. En plus de l’artillerie lourde de la majorité, il va devoir faire face au front religieux qui digère mal ses propos sur certains préceptes de l’Islam. Loin de la controverse, Ahmadou Makhtar Kanté, Imam de la mosquée du Point E, auteur du livre ‘’Islam, science et société’’, apporte son éclairage. Pour lui, le leader de Rewmi doit reconnaître son erreur et présenter ses excuses.

 

Quel commentaire faites-vous de la polémique autour de la sortie d’Idrissa Seck sur la religion ?

Permettez-moi tout d’abord d’attirer l’attention des hommes politiques et de ceux qui ne sont pas des spécialistes des sciences islamiques de ne pas jouer avec la religion. L’islam est bâti sur la science, sur des disciplines. Les gens font des doctorats, des masters dans ces différentes disciplines pour se perfectionner. Il faut donc faire très attention avant de faire des commentaires. Ce n’est pas parce qu’on sait faire le ‘’idj’’, qu’on sait lire le Coran, qu’on devient un savant et qu’on peut se permettre de dire ce qu’on veut. On ne peut pas se lever un beau jour et s’ériger spécialiste en Médecine, Chimie… Idrissa Seck est donc sanctionné par son incohérence, ses imprudences… Il n’est pas non plus assez humble pour se rendre compte qu’il n’est pas un ouléma, une référence en matière de sciences islamiques.

Concrètement, quelles légèretés a commises Monsieur Seck ?

Il y a plus que des légèretés dans ses propos. Je l’ai écouté, réécouté et même écouté sa précision. Il a proféré un tissu d’erreurs, et des erreurs très graves. J’en ai relevé au minimum 6. D’abord, il a dit que tous les prophètes sont juifs. C’est faux. Noé a vécu bien avant ce qu’on appelle le peuple juif qui est issu d’Isaac, fils d’Abraham. Ensuite, il a dit : ‘’Sara la bonne juive’’. Ça aussi, c’est faux. Sara non plus n’est pas juive. Celle-ci est la mère d’Isaac. Or, c’est à partir de ce dernier qu’on parle de fils d’Israël. Ni Ibrahim ni Sara ne sont juifs. Il a aussi dit qu’Ibrahim a chassé Hagar (Hadjara) de sa maison, parce qu’il était éperdument amoureux de Sara ; ça aussi, c’est grave. Cette version est celle qui est véhiculée par les Juifs. Et ce n’est pas vrai. Abraham est au contraire connu pour son dévouement à Dieu, prêt à sacrifier son fils pour le Seigneur. Une telle personne est suffisamment forte pour ne pas fléchir devant son amour prétendu de Sara. Les commentateurs disent plutôt que c’est Dieu qui lui a donné l’ordre d’emmener Hagar à La Mecque. D’ailleurs, celle-ci lui a dit : ‘’Je te connais tellement proche de Dieu que tu ne peux faire dans l’arbitraire.’’ Il en est de même de l’affirmation selon laquelle Jésus est un rabbin juif ; c’est grave ça. Comment on peut traiter un prophète de rabbin. Un prophète ne peut appartenir à un clergé…  

Que pensez-vous de la controverse autour du lieu de pèlerinage ?

Il a dit que Bacca signifie pleurer. C’est très dangereux d’expliquer le Coran en prenant des mots isolés comme ça. Les mots, comme on le dit, n’ont de sens que dans le contexte où ils sont utilisés. Il faut donc voir l’usage que le Coran en fait. Mais Idrissa Seck semble ignorer cette règle élémentaire. Ce qui est important ici, c’est qu’il y a suffisamment d’éléments qui établissent que le pèlerinage, c’est à La Mecque et non ailleurs. N’est-ce pas Dieu qui a demandé à Ismaïl et à Abraham de construire la Kaaba ? Quand le prophète est venu, il a fait son pèlerinage là-bas, les saabas (compagnons du prophète Mohamed ‘’Psl’’) l’ont également fait. Le prophète a aussi fait son ‘’riñaan’’ à Jérusalem. Donc, il savait que Jérusalem existait. Avant, les musulmans faisaient leurs prières en se tournant vers Jérusalem. Le Coran est ensuite venu pour recommander de se tourner vers la Kaaba. Idrissa Seck ne peut donc venir nous dire que le pèlerinage aurait pu se faire à Jérusalem, qu’il a sa petite idée là-dessus. C’est là où je rejoins Sidy Lamine Niasse. En disant qu’il a sa petite idée sur cette affaire, si c’est une doctrine pour lui, il s’auto exclut de la religion. Le pèlerinage est en effet un des cinq piliers. Personne ne peut s’ériger comme prescripteur ou correcteur d’une prescription clairement établie. Ce que les gens lui reprochent, c’est lui-même qui l’a dit. Personne n’a travesti ses paroles. Il ne peut venir et défendre le contraire. Ou bien, qu’il reconnaisse qu’il s’est trompé. Et on passe à autre chose.

N’êtes-vous pas de ceux qui pensent que ses détracteurs (Sidy Lamine Niasse et Bamba Ndiaye) font aussi dans l’excès ?

Sidy Lamine Niasse a son propre style. Moi, je suis convaincu d’une chose : la vérité est tellement amère qu’il faut l’enduire du miel de la courtoisie. C’est pour dire que, dans le fond, Sidy a raison sur le principe. Si Idrissa Seck remet en cause la manière de faire le pèlerinage, s’il y croit, il s’est auto exclu. Toute personne qui remet en cause, sciemment, ce qu’on appelle des enseignements fondamentaux de l’islam relevant soit du dogme, soit du fiqh (jurisprudence islamique), des enseignements clairement établis, avec des preuves dans les références culturelles connues de l’Islam : le Coran, les Hadith, les pratiques du prophète, le hijma des compagnons du prophète et des oulémas s’auto exclut de l’Islam.

Et quelle doit être la procédure pour l’en exclure ?

Celui qui le fait doit être appelé devant un jury de savants. Ses débatteurs vont d’abord écouter ses explications, ensuite on le corrige. S’il accepte de s’être  trompé, il doit présenter ses excuses. S’il persiste dans sa doctrine, alors il ne fait plus partie de la religion. L’institution islamique est habilitée à ce moment à l’exclure. On ne peut pas dire n’importe quoi, et prétendre que c’est islamique. Cela ne me gêne pas qu’il dise ce qu’il veut. Je suis partisan de la liberté. Dieu est le Premier défenseur de la liberté. Il a laissé Iblis lui dire carrément : ‘’je ne fais pas’’. Mais, quand vous dites quelque chose, il faut au moins avoir le courage de l’assumer. De façon claire et nette, Idrissa Seck a remis en cause le fait de faire le pèlerinage à La Mecque. S’il s’est rendu compte par la suite de sa bourde, il n’a qu’à présenter ses excuses. Dans le cas contraire, il s’auto exclut de l’Islam.

MOR AMAR

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