Publié le 18 Dec 2018 - 02:58
AHMED LAMINE SADJI (ECONOMISTE)

‘’La tenue des sessions du Groupe consultatif (…) ne garantit pas la mobilisation de ressources’’

 

Aller en Groupe consultatif, même en cas d’engagements parfois fermes, ‘’ne garantit pas la mobilisation de ressources’’. C’est ce qu’indique l’économiste Ahmed Lamine Sadji. Dans cet entretien avec ‘’EnQuête’’, il revient sur l’histoire de cette fameuse rencontre entre les gouvernements africains et les bailleurs de fonds internationaux, notamment la Banque mondiale et le Fonds monétaire international (Fmi). 

 

Le gouvernement est à Paris où s’ouvre aujourd’hui le Groupe consultatif. Quelle analyse faites-vous de cette démarche de l’Etat dans sa recherche de fonds de financement du Pse ?

La session du Groupe consultatif des bailleurs de fonds, une activité technique, est passée de rendez-vous de corvée pour les gouvernements des différents pays africains francophones de la période des ajustements structurels, à une campagne médiatique de politique politicienne qui a fini de dénaturer le sens en faisant complétement oublier le fondement qui est en propos simple. C’est une demande de financement d’un portefeuille de projets inscrits sur une période donnée, faite par un Etat à des bailleurs-financiers regroupés sous l’appellation floue et controversée de ‘’partenaires au développement’’.

Est-ce que les partenaires arrivent à honorer tous leurs engagements de financement, après ces rencontres ?

Les engagements pris, lors des sessions de groupe consultatif, se transforment rapidement, dès la fin des travaux, en simples intentions qui ne sont assises sur aucune garantie et, de fait, n’engagent aucun partenaire en termes de mobilisation ferme de ressources destinées au financement de projets et programmes proposés. Le seul engagement reste de forme, qu’à la sensibilité de tel ou tel partenaire, en fonction de sa mission et/ou de ses orientations à donner une ouverture et des prédispositions pour d’éventuelles négociations en vue du financement d’un projet ou programme contenu dans le portefeuille présenté.

En 2008, et à la suite de la tenue du Groupe consultatif de 2007, et dans le cadre de la mise en œuvre de la première phase du plan d’action de la Stratégie de croissance accélérée (Sca) mis en place par le régime du président Wade, les rencontres faites avec certains partenaires techniques et financiers n’ont pas permis d’avancer dans le financement des projets et programmes phares contenus dans la Sca. Avec pourtant de nouveaux engagements de l’ordre de 1 000 milliards lors de la session du groupe consultatif de 2007, presque aucun des partenaires n’avait donné suite aux intentions de financement précédemment affichées. Au bout du compte, la totalité des engagements destinés au financement des grappes de croissance n’avaient pas été mobilisés. Cette expérience est assez illustrative de la portée des décisions qui sont prises lors de telles rencontres.

Du côté du Sénégal, certains engagements ont été aussi pris, des projets ficelés pour la mise en œuvre efficace du Pse. Quelle lecture en faites-vous ?

Il est important de savoir que la tenue des sessions du Groupe consultatif, même en cas d’engagements parfois fermes, ne garantit pas la mobilisation de ressources. Il s’agit d’un processus dont l’élément déclencheur est le respect des conditions et préalables mis en place par le ou les partenaires, pour chaque catégorie de projets et programmes identifiés et répertoriés. Cela pose fondamentalement la question du suivi des engagements après la tenue des sessions du groupe consultatif. Généralement, la mobilisation des ressources pour le financement est conditionnée à la réalisation d’études de préfaisabilité et de faisabilité qui identifient de façon détaillée le processus de mise en œuvre de chaque type de projet ou programme avec tout le dispositif à mettre en place jusqu’au détail prêt.

A ce niveau, la responsabilité de l’Etat peut souvent être défaillante. Parce que les études peuvent ne pas être faites dans les délais requis. Il s’y ajoute une guéguerre de positionnement entre structures publiques techniques engagées dans l’exécution. En réalité, il s’agit de querelles crypto-personnelles assez récurrentes au sein de l’Administration, ayant des conséquences très négatives, parfois de nature à entacher la mobilisation des ressources. Le partenaire identifié peut se retrouver en face de plusieurs institutions techniques revendiquant chacune la légitimité de l’exécution d’un tel ou tel programme, au point que des arbitrages soient nécessaires, alors que les missions et les responsabilités sont censées être définies et paramétrées pour chaque institution.

Sachant que le Groupe consultatif n’est pas quelque chose de nouveau, pourquoi, ces dernières années, il y a plus de communication autour de l’évènement ?

Il est important de rappeler que la tenue des sessions du Groupe consultatif est une vieille tradition des pays africains francophones qui remonte de plusieurs années et qui s’est surtout illustrée, dans la période des ajustements structurels, avec la volonté pour les partenaires techniques et financiers, en particulier le Fonds monétaire international (Fmi) et la Banque mondiale, de maîtriser les prévisions et de tracer les bases d’un monitoring de chaque pays sur une période donnée. Les gouvernements du Parti socialiste (Ps) conduits par le Premier ministre de l’époque, organisaient les réunions du Groupe consultatif sans tambour, ni trompette. C’est avec le régime du président Abdoulaye Wade, notamment le premier gouvernement du Premier ministre Idrissa Seck, que cette activité a pris des tournures folkloriques avec une médiatisation politique-politicienne qui cache la réalité aux populations. Une médiatisation soutenue par des annonces de plusieurs milliards obtenus sans aucune forme de précision, ni sur les conditions de prêt ni sur les modalités de mobilisation des ressources.

Depuis cette période, tous les autres gouvernements qui se sont succédé avec le président Wade, et depuis 2012 avec le régime actuel de Macky Sall, se sont livrés au même jeu de communication avec des effets d’annonce recherchés ayant pour seul but de faire de la désinformation et d’embarquer les populations. La seule forte communication qui est indispensable à la sortie d’une telle session, serait de dire aux populations que de nouveaux prêts sont en train d’être contractés au nom du Sénégal. Et que les conséquences seront : moins de souveraineté, moins de liberté et des prêts à rembourser avec parfois des intérêts colossaux à supporter par les générations futures. C’est cela la réalité.

Peut-on considérer que le gouvernement actuel a plus de capacité de mobiliser des ressources extérieures par rapport aux régimes précédents ?

Obtenir des engagements d’accompagnement sur le plan financier n’est pas synonyme de crédibilité ou de capacité de mobilisation de ressources de la part d’un gouvernement ou d’un régime. Il s’agit plutôt d’une somme contextuelle de situations économiques, politiques et sociales d’un pays et surtout les orientations calculées des principaux bailleurs que sont le Fmi et la Banque mondiale. Les différents gouvernements du régime de Wade parvenaient à obtenir des déclarations d’intention avec des chiffres assez intéressants. Ceux du régime de Diouf en avaient moins, du fait de la situation marquée par les ajustements structurels.

Est-ce obligatoire que les réunions du Groupe consultatif se tiennent toujours à Paris ?

Les sessions de Groupe consultatif, pour presque tous les pays africains francophones, se tiennent à Paris. Dans la période des ajustements structurels, cela pouvait être compréhensible. Du moment où les institutions du Bretton Woods qui avaient conduit un programme avec comme point phare la dévaluation du franc Cfa et les mesures sociales, notamment celles sur l’éducation, imposaient des rencontres dans la capitale française.

Présentement, pour des questions de souveraineté, ou même d’efficience budgétaire, les pays africains devraient s’atteler à organiser ces rencontres en territoire national, d’autant que la tenue de telles activités mobilise un dispositif logistique gigantesque avec des charges et frais financiers importants. Ceci avec le nombre de fonctionnaires et techniciens qui est déplacé. Une organisation en territoire national coûterait beaucoup moins au pays, surtout qu’il s’agit parfois de simples expressions d’intentions dont on n’est pas certain d’arriver à concrétiser. De plus, des réunions au niveau local renforceraient certainement beaucoup plus la souveraineté nationale. Et pourraient permettre une participation massive de la presse locale qui relayerait aux populations le détail de chaque engagement et les conséquences sur le plan socio-économique pour le moyen et long terme.

 

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