Publié le 24 Mar 2018 - 17:06
ALAIN HOGUET, SPECIALISTE DE L’ELEVAGE BOVIN

‘’Les pratiques que j’ai vues sont très mauvaises et condamnent l’avenir de l’élevage’’

 

Les pratiques des éleveurs sénégalais ‘’sont très mauvaises et condamnent l’avenir de l’élevage’’. C’est le constat fait par le spécialiste de l’élevage bovin en zones climatiques extrêmes, Alain Hoguet. Dans un entretien avec ‘’EnQuête’’, le consultant français, qui séjourne au Sénégal pour les besoins d’une formation des acteurs, souligne les défis à relever pour sauver le secteur et notamment la filière laitière. 

 

Vous avez eu à visiter des fermes sénégalaises durant votre séjour. Quel constat avez-vous fait ?

Il n’y a pas du tout de culture fourragère au Sénégal. Or, c’est un gros problème. Parce que la vache n’est pas faite pour manger de la paille de riz. Cela ne vaut rien. Ce n’est pas digestible. J’ai visité deux fermes où on a commencé à faire de la culture fourragère. Mais les surfaces sont beaucoup plus réduites par rapport aux troupeaux. Donc, ils consomment déjà des qualités beaucoup trop faibles. C’est le premier problème. Le deuxième est que, puisque dans beaucoup de fermes les animaux consomment pour la plupart la paille de riz, les gens distribuent des concentrés. Or, ce concentré industriel est de très mauvaise qualité. Il est constitué d’une partie très importante à 70, voire 80 % de foin de riz, qui est très peu énergétique et vendu très cher. Alors que c’est un sous-produit de la fabrication de farine et les industriels gagnent leur vie avec la farine. Pour le mélange, on retrouve 0,78, 0,88, 0,91 unités fourragères par kilo de matière sèche. Ce qui est beaucoup trop faible. On devrait avoir une unité fourragère à 0,5, 0,10. Cela veut dire qu’ils ne mettent même pas les ingrédients qu’il faut dedans. Parce qu’ils coûtent très cher.

Que faut-il faire, dans ce cas ?

Je préconise qu’on cultive des fourrages de bon stade qui sont beaucoup plus riches que leurs concentrés et qui ne coûtent rien. En plus, ces concentrés provoquent des maladies métaboliques dont l’acidose qui est un gros problème. C’est comme si on mettait de l’acide chlorhydrique très concentré dans l’appendis. Ça détruit toute la paroi, les papilles absorbantes et la vache par l’intérieur. Donc, les pratiques que j’ai vues sont très mauvaises et condamnent l’avenir de l’élevage. Il est très important qu’on les change fondamentalement. Pour cela, on doit d’abord cultiver des fourrages.

Selon certains, pour que ces vaches produisent du lait, il faut impérativement leur injecter des vitamines…

Ça ne sert à rien. Il faut d’abord leur donner à manger. En réalité, elles ont à manger, mais ce sont de mauvais produits. On ne peut pas faire de lait avec la paille de riz. Faire des injections, d’abord, ça coûte très cher et ne résout aucun problème. Le résultat est que les vaches, étant mal nourries, maigrissent à force de produire du lait. Ceci grâce à leur réserve corporelle. Elles vont manger leurs muscles qui vont servir à donner des matières rajoutées et la graisse à fournir de l’énergie. Le résultat, c’est que l’appareil génital de la vache s’arrête. Il n’y aura plus d’ovulation, pas de veau l’année prochaine. S’il n’y a pas de veau, il n’y aura pas de lait. C’est le contraire de ce qu’on voulait faire.

Donc, y a-t-il à craindre pour l’entretien des vaches importées ?

Les vaches importées coûtent très cher et on doit en prendre grand soin, bien les nourrir et là, on aura les résultats escomptés. Le problème des gens, c’est aussi la formation. Ils ne savent pas ce qui est bon pour une vache. Ils les nourrissent comme les vaches traditionnelles sénégalaises. Non ! Quand une vache produit un litre de lait ou deux, ce n’est pas la même chose quand elle peut fournir 20 ou 15 l. Ceci dit, il faut former les gens à la culture de fourrages. En France, pour en arriver-là, le gouvernement a procédé à une révolution fourragère. Parce qu’une fois que c’est acquis, on peut faire du lait. Mais si on met de la génétique sans le fourrage, c’est comme si on mettait la charrue avant les bœufs.

A votre avis, est-il nécessaire que le ministère de l’Agriculture et celui de l’Elevage collaborent ?

Evidemment ! C’est un enjeu national. Ça coûte très cher d’importer de la poudre de lait. Il faut que le gouvernement, le ministère de l’Agriculture s’investissent. C’est déjà le cas, mais les gens ne sont pas prêts à produire à ce rythme-là. Il faut les former.

Mariama DIEME

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