Publié le 27 Oct 2018 - 20:56
ALEXANDRE LIDA OGOU - REALISATEUR D’’’INVISIBLES’’

‘’Ce projet sur les ‘’Microbes’’ a fait peur…’’

 

Il était à Dakar pour assister à la projection du premier épisode de la série ‘’Invisibles’’ dont il est le réalisateur. Une création de haute facture, qui parle d’un phénomène qui mine la Côte d’Ivoire et qui peut avoir des échos dans bien d’autres pays du monde. Alexandre Lida Ogou parle des ‘’Microbes’’ ou disons, c’est le nouveau terme à Abidjan,  pour désigner des ‘’enfants en conflit avec la loi’’. Un sujet sensible, mais dont il a eu le courage de porter à l’écran et de le montrer sous un autre jour. Pour l’instant, ‘’Invisibles’’ a remporté le prix de la Meilleure fiction francophone étrangère de la 20e édition du Festival de La Rochelle.

 

Pouvez-vous nous parler de votre nouvelle série ‘’Invisibles’’ ?

Ce film est pour les petites gens, ce qu’on appelle le petit peuple. Ceux qui vivent dans une Afrique ou dans un monde émergent, comme on dit, et qui sont laissés de côté et parmi eux des enfants. Ces derniers doivent parfois endosser le rôle de leurs parents. La journée, on les considère comme des invisibles, des inexistants. La nuit, ils essaient d’exister et de la pire des façons. Ce film n’essaie pas de les dédouaner ou de créer une espèce de compassion à leur égard. Je considère juste que lorsqu’on est adulte et qu’on est parent, ce qui est mon cas, il est juste intolérable, quels que soient les actes, qu’on considère des enfants évidemment comme des criminels, lorsqu’ils commettent des crimes, et qu’on se pose de questions comme pourquoi ils commettent ces crimes, qui sont-ils, etc. C’est le message que j’adresse.

Que veut dire ‘’Invisibles’’ ?

En ce moment, on dit que la Côte d’Ivoire est un pays émergent. Emergence veut dire qui se développe, que les choses fonctionnent bien et que ça marche. Il y a plein de gens qui peuvent acheter des voitures et d’autres qui ne le peuvent pas. Ces derniers, ils sont dans la rue, marchent dans la rue, mais on ne les voit pas. Ils peuvent passer devant quelqu’un le saluer, mais parce que cette personne a une maison, une voiture, elle ne les voit pas. Pour elle, ce n’est pas juste. Parfois, ils trouvent malheureusement des moyens d’exister en se vengeant de la société. Ils le font souvent la nuit pour être vus. Donc, ‘’Invisibles’’ veut dire des gens qui voudraient être vus comme ils le voudraient dans un monde dit émergent.

Comment vous est venue l’idée de faire ce film ?

Je me suis installé à Abidjan en mai 2015. Dès les premiers jours de mon arrivée, j’ai commencé à entendre parler de ce phénomène. Ce qui m’a le plus frappé, c’est la manière systématique d’en parler. La manière me posait problème. Ce qui m’a amené à m’interroger et à faire des recherches. Je suis parti dans des quartiers qu’on dit leurs fiefs, qui sont Abobo et Yopougon. Je me suis renseigné. J’y ai, en fait, passé des mois, en immersion. En faisant ce film, je ne sais pas si je cherchais du réalisme, mais je cherchais du respect pour les gens que je filmais. Si vous partez du principe que vous allez chez des gens qui sont a priori réticents et qui ont l’habitude qu’on les mette de côté, la première démarche, c’est de leur montrer que vous n’allez pas les travestir. Ce fond de réalisme qu’on peut percevoir dans le film, pour moi, c’est juste du respect pour ceux que je montre. J’ai un profond respect de l’autre, surtout quand il est en souffrance. Pour moi, c’est obligé d’être le plus juste possible.

Les acteurs qui jouent dans cette série sont-ils de vrais ‘’Microbes’’, parce que pour des acteurs amateurs, ils savent bien se fondre dans la peau de leurs personnages ?

Si vous faites référence à la langue qu’ils utilisent, ils parlent ‘’nouchi’’ (Ndlr : argot né au début des années 1980 en Côte d’Ivoire et parlé par les jeunes). Les ‘’Microbes’’ ne sont pas les seuls à parler ‘’nouchi’’. Alors, pour les acteurs, je répondrais oui et non. Généralement, je ne communique pas dessus. Il y a des enfants qui viennent de familles normales avec des parents qui les couvent et d’autres qui viennent de ce qu’on appelle les centres de réinsertion. Mais même pendant le tournage, parmi les 14 enfants qui ont participé, on ne savait pas, sur le plateau, qui était qui et qui venait d’où. Dans ce premier épisode, vous avez Thibo. Mais je vous rassure, il n’est pas un ancien ‘’Microbe’’. Vous avez également Chaka. Ces deux-là et les autres sont des gamins normaux. Je me demandais, par moments, si je ne prenais pas un risque de les faire jouer certains rôles. Quand je leur en ai parlé, ils m’ont dit : ‘’Mais Tonton Alex, nous avons des copains qui sont comme ça. Nous leur parlons et ils ne nous écoutent pas. Nous allons jouer ces rôles pour leur montrer que ce n’est pas bien.’’

N’avez-vous pas, tout de même, peur que le public ne puisse pas faire la différence ?

Sur ce point, on essaie de communiquer. J’ai interdit, par exemple, toute photo de ces enfants, quand ils sont habillés de leurs costumes. Ils jouent des rôles seulement. Tout ce qui sera en dehors de ce qu’on voit à l’écran, ils sont habillés normalement. On leur parle beaucoup, en leur prévenant qu’ils seront reconnus partout dans Abidjan. Je leur ai dit que certains viendront les féliciter et d’autres viendront en pensant que vous êtes ce que vous jouez. Donc, il faut avoir une espèce de recul par rapport à cela et rappeler que vous allez à l’école et que vous avez une femme. Je ne sais pas ce qu’on peut faire de plus pour se prémunir de cela.

Les ‘’Microbes’’ existent toujours à Abidjan ?

Oui, le phénomène existe toujours. Il y a eu différentes opérations. On a parlé de ratissage, ‘’opération épervier’’, on a même parlé d’extermination. Oui, j’ai entendu ce mot. Il est vrai que quand on parle de microbe, on peut parler d’extermination. Maintenant, ils ne veulent pas qu’on utilise ce terme ‘’microbe’’ et on doit dire ‘’enfant en conflit’’ avec la loi. Je ne sais si ça a changé vraiment les choses. J’espère que des choses comme cette série vont contribuer au changement, ne serait-ce que pour qu’on ait un autre regard, une autre approche dans la répression. Quand vous dites à quelqu’un que vous allez l’exterminer, il peut être plus féroce. J’espère donc que le langage, la dénomination va changer.

N’est-il pas risqué de dénoncer ce phénomène, alors qu’il est encore d’actualité à Abidjan ?

C’est vrai que le sujet fait peur. Ce projet a fait peur à tout le monde, dès le départ. Que cela soit en Côte d’Ivoire, au ministère de la Culture, les autorités, cela a fait peur à tout le monde. Personne ne voulait entendre parler de ça. Au fur et à mesure qu’on tournait, qu’on voyait ces rushes de scènes qu’on peut qualifier de réalistes, les gens avaient encore plus peur, parce qu’évidemment c’est un sujet très sensible en Côte d’Ivoire. La population raccorde cela à de la manipulation politique. Moi, je ne partage pas cet avis. On peut dire tout ce qu’on veut ou le raconter, mais la société, c’est nous qui la faisons. Ce n’est pas l’Etat qui vient prendre les enfants pour les mettre dans la rue. C’est pour cela que j’aime beaucoup cette assertion de Kennedy (Ndlr : ancien président des Usa, John Fitzgerald Kennedy) qui dit : ‘’Pensez à ce que vous pouvez faire pour votre pays et non ce que votre pays peut faire pour vous.’’ Dans ce continent, on est en manque de beaucoup de choses. On attend beaucoup de nos Etats.

BIGUE BOB

 

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