Publié le 22 Apr 2016 - 20:12
ALIOU BOYE (FILS DU MAIRE DE NIAMING ET EX-DETENU DE JAMMEH)

‘‘Nous avons eu peur…’’

 

Le pire est derrière lui. Le jeune homme de 30 ans se fait chambrer dans la grande concession du maire de Niaming qui se trouve être son père. Dans sa chambre où la chaîne à musique distille le morceau ‘seven days’ de Craig David, Aliou Boye savoure des instants de liberté recouvrée. Ce guide malchanceux qui a conduit une délégation du ministère de l’Environnement à Diahanka, en terre gambienne, a, sans le vouloir, failli être la cause d’un incident diplomatique majeur entre le Sénégal et la Gambie. Dans cet entretien accordé hier à EnQuête, il revient sur les péripéties de cette mésaventure qui a défrayé la chronique.

 

Que s’est-il passé le jour de votre arrestation ?

Le samedi dernier, je me suis occupé de mes animaux, pris mon petit-déjeuner…bref la routine. A 10 heures, mon père m’appelle pour me demander de servir de guide à ses invités (Ndlr : le groupe de trois personnes du ministère de l’Environnement dont une stagiaire camerounaise), en frontière gambienne, plus précisément dans la localité de Diahanka. Arrivés à la frontière, je leur ai signalé que nous étions sur les lieux et qu’à cause du blocus, nous devions garer la  voiture, avec laquelle l’équipe était venue, dans la partie sénégalaise de la frontière. Ce qui se fait même en temps normal. Nous l’avons parquée et sommes entrés dans le territoire gambien à pied. Ce fut le téléphone arabe entre les résidents de la localité qui par coup de fil se sont passé le mot pour s’enquérir des réels motifs de notre visite. Là ils sont vraiment devenus agressifs. Ils s’en sont pris à moi en me bousculant et me demandant pourquoi j’étais avec ces personnes. Je leur ai rétorqué qu’ils étaient les invités de mon père ; je dois les accompagner. Ils nous ont demandé ce que nous faisions là. Je leur ai dit : il n’y a rien de particulier, nous sommes entrés dans votre pays comme il a toujours été de coutume. Vous avez l’habitude de venir chez nous, nous avons l’habitude de venir chez vous ; c’est mutuel. Mais ils se sont entêtés et ont clamé avec insistance qu’il y avait forcément anguille sous roche.

Pourquoi ont-ils pensé que c’était le cas puisque vous êtes un habitué du coin ?

C’est à cause des dépôts de bois. En fait, la femme (la stagiaire camerounaise) était en train de filmer les stères de bois avec son téléphone, à mon insu. Les habitants nous ont laissé faire et c’est au moment de retourner qu’ils se sont pris à nous. Nous sommes allés jusqu’au ‘‘border’’ (Boda en prononciation locale) là où l’on se livre à la vente du bois (coupé illicitement). Ils m’ont attaqué car je leur ai dit qu’ils n’avaient pas le droit de s’en prendre à des étrangers, qu’ils sont familiers avec moi et pas avec eux. ‘‘Prenez-vous à moi’’, leur ai-je suggéré. Mais ils ne voulaient rien entendre.

Qui exactement ?

Tout le village, les jeunes surtout. J’ai demandé qu’on aille régler ça à l’amiable chez le chef de village, El hadji Kéba Boye. Pendant les palabres, beaucoup de jeunes se sont radicalisés et étaient prêts à nous lyncher. Nous étions quatre contre ce qui ressemblait à un Conseil du village, dans une chambrette. Les résidents avaient fermé les portes et interdit toute personnes d’accès. Le chef de village était prêt à nous accorder son pardon lorsque nous lui avons dit être en faute. Mais la foule dehors lui a mis une pression terrible. Ils lui ont dit que de toute façon, s’il nous relâchait, ils allaient s’en charger eux-mêmes. Et que par ailleurs, ils avaient déjà appelé la police.  Le frère et le fils du chef de village étaient particulièrement remontés contre nous.  Il devait être entre 13 et 14 heures quand j’ai appelé mon père (maire de Niaming) pour lui expliquer au téléphone.

Quand le chef de la police gambienne, Makalo, est arrivé, il nous a soumis à un questionnaire. Je lui ai servi la même réponse c’est-à-dire accompagner les invités de mon père. Il a voulu savoir pourquoi nous avions laissé le véhicule en terre sénégalaise. Je lui ai dit que c’est ce qui s’est toujours fait. Il a ensuite enchaîné avec la vidéo du téléphone portable. Là j’ai compris qu’il voulait nous accuser de rage comme un chien qu’on a envie de noyer. Je me suis résigné, je me suis dit nous étions entre les mains d’une justice.

Nous avons été à la prison de Bansan et soumis à un autre tas de questions. Makalo a voulu savoir le motif de notre présence sur les lieux. Je lui ai dit que je pouvais répondre pour moi, pas pour les autres. Il m’a reproché d’être entré en terre gambienne avec eux. Je  lui ai dit que je n’allais pas les laisser seuls ici puisqu’ils ne connaissent pas la zone. Je l’ai fait à mes risques et périls et je l’assume. Il a voulu me faire porter le chapeau, mais comme j’ai expliqué aux villageois de Diahanka, les entrées et sorties des personnes de part et d’autre de la frontière sont mutuelles. Il a laissé quelqu’un d’autre prendre le relai de l’interrogatoire. En tout, trois personnes m’ont questionné à tour de rôle.

Combien de temps ça a duré ?

Ils nous ont interrogé, disons de 15 à 20 heures passées. Mon père a été là durant toute la garde à vue. Ils lui ont demandé de rentrer mais il a refusé. C’est à cette heure qu’on lui a intimé l’ordre de retourner car ils allaient finalement nous présenter au juge.

 Les policiers gambiens vous ont-ils signifié le motif de votre arrestation ?

Oui ils ont dit que c’était du fait des images et vidéo du téléphone. En plus, ils ont dit que c’était vraiment suspect que nous soyons en compagnie d’une Camerounaise

On vous a interrogés ensemble ?

Non c’était à tour de rôle

Comment ont réagi vos codétenus ?

Ils ont été courageux. Personne n’a pleuré, personne n’a cédé au découragement, pas même une complainte.  Mais dans l’attente du lundi (18 avril), nous avons vraiment eu peur. Ce jour, nous avons été acheminés à Birkama. Le juge, après s’être assuré que nous avions pris des photos sans autorisation, nous a signifié qu’on allait passer en jugement. Nous sommes retournés à la prison de Bansan et à partir de ce moment, nous n’avions plus droit au perron. On nous a demandé de rejoindre la grille. Avant notre entrevue avec le juge, nous étions dans la véranda, surveillés bien sûr, mais on prenait le thé avec les gardes. Ils nous accordaient le droit de nous baigner… Nous les hommes étions dans la grille et Manuella (la stagiaire camerounaise) dans la véranda. Dans l’après-midi par contre, elle a été mise en cellule, celle que nous occupions. Nous avons été déplacés dans des cachots plus petits

Qu’est-ce qu’on lui reprochait ?

Je ne sais pas trop. Elle a été soumise à un autre interrogatoire. Peut-être que sa réponse n’a pas plu aux policiers. Il devait être 21 heures quand c’est arrivé. Il y avait d’autres personnes qui nous ont rejoints en cellule, mais elles étaient aussitôt libérées.

Comment s’est passé votre libération ?

Ce jour, (mardi 19 avril), ils sont venus nous soumettre aux mêmes questions. Ils ont commencé par la Camerounaise, puis par moi. Ensuite celui qui semblait être le chef de la police de Birkama s’est lancé dans un sermon comme quoi il est hors de question qu’on diabolise les Gambiens pour faire croire au monde qu’ils entrent au Sénégal couper illicitement du bois alors que ce sont les Sénégalais eux-mêmes qui se livrent à ce commerce illégal. Nous avons juste fait profil bas puisque nous étions dans une situation délicate. Puis ils nous ont dit que l’affaire était prise en main par leur hiérarchie et qu’ils allaient juste se plier aux ordres.

C’était le mardi aux environs de 9 heures. Là nous avions encore eu peur car nous ne savions pas ce qui allait advenir. Quand mes codétenus ont commencé à céder au découragement, je leur ai dit de s’en remettre à Dieu. Là ils ont certes eu peur, nous tous d’ailleurs, c’est normal, mais ils n’ont jamais paniqué. C’est après le déjeuner, entre 15 et 16 heures, que Makolo est venu nous dire que tout était finalement réglé, que notre ambassade allait venir nous récupérer. Ils nous ont sortis de la grille. Nous n’avons subi aucun mauvais traitement. C’est à 18 heures qu’on a humé l’air de la liberté. Une délégation composée du préfet, du sous-préfet, du maire, est entrée en territoire gambien nous prendre tandis qu’un détachement militaire nous attendait de l’autre côté de la frontière à Médina Yoro Foula. Puis nous avons été reçus par le préfet et tout est bien qui finit bien.

Comment vivez-vous cette expérience deux jours après votre libération ?

Ce sont des accidents de la vie. Je ne regrette absolument rien. Si mon père me demandait d’accompagner ses invités, j’irais même jusqu’à Bansan.

OUSMANE LAYE DIOP (envoyé spécial à Niaming)

Section: