Publié le 21 Oct 2015 - 19:03
ALIOUNE THIAM, DIRECTEUR GÉNÉRAL DU CETUD

‘’Les projets de l’Etat ne peuvent pas s’accommoder du désordre actuel’’

 

La gare routière des Baux maraîchers peine à prendre son envol. La raison : tous les véhicules de transport interurbain n’ont pas encore regagné cette nouvelle gare. Dans cet entretien, le Directeur du Conseil exécutif des transports urbains de Dakar informe, chiffres à l’appui, qu’une bonne partie des véhicules ont déjà rejoint la gare à Pikine, tout en reconnaissant qu’il y a toujours des problèmes avec certains qui exploitent les véhicules horaires. Alioune Thiam souligne que cette situation constitue un manque à gagner pour le gestionnaire qui n’est rémunéré qu’à travers les services des usagers.

 

M. le Directeur, en septembre 2014, lors d’un point de presse, vous aviez appelé tous les véhicules de transport interurbain à rejoindre la gare des Baux Maraîchers. Mais pourquoi un an après, certains n’ont toujours pas suivi ?

C’est vrai que nous avons encore quelques soucis avec les transporteurs qui exploitent les horaires, pour ce qui concerne la gare routière des Baux maraîchers. Il faut comprendre que, un an après l’ouverture de la gare, nous avons en moyenne 822 départs par jour dont 118 pour les horaires. Nous avons comptabilisé 3 millions 212 000 mille 478 passagers dont 35% pour les horaires, pendant un an. Nous avons 9 618 voyageurs par jour dont 3 362 pour les horaires. Ce qui veut dire qu’il y a aujourd’hui, au niveau de la gare routière des Baux maraîchers, une desserte qui est assurée par les horaires. Il y a certes des gens qui n’ont pas encore rejoint, mais il y a une bonne partie des horaires qui sont à la gare. C’est pour que l’opinion sache que véritablement, il y a des horaires à la gare routière des Baux maraîchers. Cependant, tout le monde n’y est pas, surtout dans le département de Dakar. C’est le département de Dakar qui pose problème. Nous avons toujours des opérateurs qui exploitent au vu et au su de tout le monde dans les quartiers, contrairement aux arrêtés des préfets et à la circulaire du ministère de l’Intérieur qui a demandé à tous de rejoindre la gare des Baux Maraîchers.

Qu’est-ce qui explique ce refus ?

Il faut dire que, pour certains acteurs, il y a une méconnaissance du mode de fonctionnement de la gare. Ils pensent que s’ils viennent à la gare, ce qu’ils avaient comme prérogatives va leur être retiré au profit du gestionnaire de la gare. Ce qui n’est pas le cas. Il y a cette information à faire porter au niveau de ces acteurs. Il y a certains qui ont des problèmes entre syndicats, parce qu’il y a un syndicat qui est dans la gare et d’autres ne se reconnaissent pas dans ce syndicat. C’est des problèmes parfois d’hommes qui font que certains, aujourd’hui, rechignent à rejoindre la gare. Il y a un troisième groupe ; ce sont ceux qui se réfugient derrière les familles maraboutiques pour dire qu’ils ne peuvent pas rejoindre la gare, parce qu’ils n’ont pas reçu de directives dans ce sens.

Le gestionnaire de la gare avance même que moins du quart des véhicules de transport interurbain ne sont pas encore à la gare.

En tout cas, je vous ai communiqué des chiffres. Je n’ai pas le volume total de tous les véhicules, pour pouvoir avec exactitude me prononcer. Mais ce que je sais est que ce n’est qu’au niveau du département de Dakar que nous rencontrons ce phénomène. Dans les départements de Pikine et Guédiawaye, nous avons noté véritablement des efforts notables qui font que s’il y en a, c’est vraiment marginal.

Mais est-ce que ce n’est pas à cause de l’absence de sanctions que ces récalcitrants continuent à opérer en dehors de la nouvelle gare ?

Il y a des sanctions. Il y a des postes de brigade qui sont mis en place pour surveiller la sortie de Dakar. Ce dispositif est parfois contourné. Il y a aussi le fait qu’on ne peut pas tout le temps mener des opérations coup de poing, mettre la ville à feu et à sang. Il y a énormément de chantiers et d’urgences qui font que les forces de sécurité ne peuvent pas consacrer toute leur énergie à cela. L’autre aspect est que nous voulons, par la persuasion, amener ces acteurs à comprendre que ce que nous faisons ne va pas à l’encontre de leurs intérêts. Ce sont toutes ces choses qui font que nous préférons discuter et prendre le temps que cela prendra pour amener les récalcitrants à rejoindre la gare. Ceux qui y sont voient véritablement l’intérêt que cela a pour eux.

Au début, vous aviez dit que vous préfériez le dialogue et la persuasion en lieu et place de la force. Est-ce qu’aujourd’hui, il n’est pas temps de sévir ?

Nous sommes conscients que la concertation, la persuasion a des limites. On ne peut pas continuer indéfiniment dans cette logique. J’ai parlé tantôt des projets majeurs de transport que l’Etat du Sénégal veut mettre en place à Dakar. Il y a le projet de Train express régional (TER), celui de Bus rapide à haut niveau de service. Tous ces projets qui doivent être mis en place avec des opérateurs stratégiques, des partenaires qui viendront investir, ne peuvent pas s’accommoder du désordre généré par le secteur des transports actuellement. Et aussi pour le bien des populations dakaroises, pour leur offrir les meilleurs services de transport, il faut lutter contre tout cela. Par contre, il y a une démarche. Nous avons été instruits par le ministre des Infrastructures et des Transports terrestres, M. Mansour Elimane Kane, de faire une tournée auprès de toutes les familles religieuses du pays. On n’a occulté aucune famille religieuse. Cela s’est fait. Nous avons rendu compte et nous espérons que les autorités religieuses qui ont tous accepté et adhéré à ce projet de modernisation du transport interurbain du Sénégal nous permettront de véritablement, s’il le faut, entrer dans une phase beaucoup plus coercitive. Les combats que nous menons avec la police et la gendarmerie, de façon ponctuelle, pourraient s’intensifier lorsque nous verrons que les acteurs avec qui nous nous concertons refusent de rentrer dans les rangs.

Est-ce que la floraison des gares clandestines notée dans beaucoup de quartiers de Dakar n’encourage pas les transporteurs à ne pas rejoindre les Baux Maraîchers ?

C’est justement les raisons qui doivent nous pousser à amener les récalcitrants à rejoindre la gare. Je vous ai parlé de la nécessité d’organiser le secteur des transports interurbains. Il y va de l’intérêt des projets que nous voulons mettre en place, mais aussi des populations. Ces gares qui prolifèrent au coin de toutes les rues engendrent des nuisances pour les populations. Ce ne sont pas des lieux adaptés pour faire du transport. Ce qu’il faut noter est que nous ne sommes pas contre l’ouverture d’une gare routière privée. Il y a un arrêté qui permet, suivant certaines conditions, d’ouvrir sa gare routière privée. Mais, à ce jour, dans la région de Dakar, aucun opérateur n’a encore obtenu l’autorisation d’exploiter une gare routière privée. Nous avons des demandes de gens qui sont assez avancées dans le processus, mais à ce jour aucune autorisation d’ouvrir une gare routière privée n’a été délivrée. C’est une piste pour ceux qui souhaitent ne pas rejoindre la gare de se conformer à cet arrêté et d’aménager les espaces dans les conditions qui sont fixées par l’arrêté.

Beaucoup de véhicules n’ont pas encore rejoint la gare. Est-ce que ce n’est pas des pertes énormes pour l’Etat et le gestionnaire ?

Oui, ça constitue réellement un manque à gagner important pour le gestionnaire. Rappelons-le, le gestionnaire n’est pas payé par l’Etat. Il se rémunère à travers les usagers. Les usagers, c’est les transporteurs, c’est les véhicules, c’est les services qui sont rendus dans la gare ; le commerce et autres. La principale source de revenus, ce sont les redevances perçues à chaque départ de véhicules. Effectivement, s’il y a des véhicules qui ne prennent pas départ au niveau de la gare, cela constitue un manque à gagner. Et cela impacte la prise en charge des missions qui sont dévolues au gestionnaire. Il a en charge de prendre tout le personnel qu’il faut pour faire fonctionner la gare. La charge de l’électricité, de la sécurité, de l’eau. Tous ces éléments, ces charges récurrentes doivent être assurées par les recettes qui sont recouvertes par l’exploitation de la gare. S’il y a des véhicules qui ne prennent pas départ, c’est effectivement un manque à gagner et ça menace l’équilibre de la gestion de la gare.

Ce même gestionnaire a avoué que les recettes sont inférieures aux charges, parce que tous les véhicules ne sont pas venus à la gare ?

C’est peut-être une appréciation. Nous attendons de voir réellement les états financiers. Je sais qu’il n’a pas les résultats escomptés, les prévisions de recettes escomptées. On va apprécier réellement quel est le niveau de pertes et nous l’accompagnons aussi. Nous accompagnons le gestionnaire, en prenant en charge certaines choses. L’Etat n’a pas laissé à son sort le gestionnaire. Il est normal et urgent qu’en même des choses se fassent pour que la situation rentre dans l’ordre. Nous devons, de la meilleure des façons, obtenir pacifiquement ce que nous voulons. C’est le temps d’une réforme. Ça prend du temps. Il vaut mieux le faire dans la douceur et arriver à persuader tout le monde. Cependant, s’il faut en arriver à certains extrêmes, l’Etat ne reculera pas.

Le gestionnaire a aussi déploré le fait que l’Etat n’a pas respecté certains points contenus dans le cahier de charges. Par exemple, il ne voulait pas de coxeurs dans la gare et pourtant ces derniers sont bel et bien là ?

S’il y a des coxeurs dans la gare, c’est de la responsabilité du gestionnaire. Il a le pouvoir de sévir et de se faire accompagner par l’Etat et les forces de sécurité qui sont dans la gare. S’il y a des choses qui n’avaient pas été prévues, ils ne peuvent s’en prendre qu’à eux-mêmes, parce qu’ils ont tout ce qu’il faut pour se faire respecter. Nous n’avons cessé de leur demander d’aller dans le sens souhaité, c’est-à-dire, que l’enregistrement se fasse de manière informatisée. Mais, le gestionnaire nous dit que pour l’instant, c’est prématuré de mettre ces modalités de gestion de la gare. Nous souhaitons aller étape par étape, faire intégrer la gare à tous. Voir avec les acteurs comment s’organiser, régler aussi quelques questions qui se posent aux usagers pour aller dans la gare, avant de mettre en place tout le système qui avait été envisagé pour la modernisation de la gestion de la gare routière des Baux maraîchers.

Un autre problème décrié par les transporteurs ; la présence de véhicules particuliers qui exercent ‘’illégalement’’ dans le transport interurbain. Que peut faire l’Etat ?

C’est une démarche globale. Il y a, dans un premier temps, les opérateurs de transport qui doivent être les premiers alliés de l’Etat. Commençons par balayer devant nos propres portes, avant de s’attaquer aux autres. Quand tout le monde se sera aligné, il sera possible et facile de procéder aux actions contre les opérateurs clandestins qui n’ont aucun droit et qui exposent ceux qui prennent ces véhicules à des dangers dont on ne peut pas mesurer les conséquences. Ces véhicules n’ont pas d’assurance, ni d’agrément pour faire du transport interurbain. Ils n’ont pas aussi tout ce qu’il faut pour pouvoir prendre en charge ces personnes en cas d’accident. Donc, ce sont des risques et l’Etat est conscient de cela et prendra toutes les dispositions qu’il faut. Mais il faut savoir que c’est étape par étape qu’on mènera le combat. Ensuite, tous ensemble, nous pourrons faire face à cette nouvelle menace qui plane sur les transporteurs. C’est à eux de s’allier à l’Etat pour faire cesser cette pratique.

Votre souhait était de faire de la gare des Baux maraîchers le seul point de débarquement et d’embarquement des transporteurs interurbains. Vu toutes les péripéties qui se passent, est-ce que cela est toujours possible ?

Absolument. C’est toujours possible. Cette prévision peut se réaliser, dans la mesure où la gare offre toutes les commodités et un espace qu’il faut pour pouvoir accueillir tout le transport interurbain des trois départements de Dakar, Pikine et Guédiawaye ; Rufisque n’étant pas concerné. Si tout le monde venait et que tous les usagers, les voyageurs étaient dans la gare pour prendre les véhicules, le rythme serait tellement important que personne ne sentirait les lenteurs et les pertes  de recettes que la situation actuelle engendre. C’est aussi bien profitable pour l’exploitant que pour les transporteurs mais aussi pour les usagers. 

PAR ALIOU NGAMBY NDIAYE

 

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