Publié le 20 Sep 2017 - 21:52
ALY NGOUILLE NDIAYE, NOUVEAU MINISTRE DE L’INTERIEUR

La longue marche d’un polytechnicien  

 

Nouveau ministre de l’Intérieur, Aly Ngouille Ndiaye, 53 ans, essuie déjà des projectiles venant de toutes parts. Retour sur le parcours singulier du Djolof-Djolof.

 

Washington reçoit du sang neuf. Un nouveau ‘’prince’’ descendant de Bourba Djolof, trône depuis ce lundi à la mythique place témoin de pans entiers de la jeune histoire de la République sénégalaise. Il s’appelle Aly Ngouille Ndiaye. Un mineur qui n’a pas encore atteint l’âge de la majorité, en politique. Dix ans. Déjà, il bouleverse la hiérarchie.

Dans sa Linguère natale, il a réussi à déboulonner les dinosaures qui prenaient la ville pour leur chasse gardée. Comme Irma aux larges des côtes américaines, le nouveau ministre de l’Intérieur, depuis le premier tour de la présidentielle de 2012, ravage tout sur son passage, dans cette capitale du Djolof : Habib Sy, Aliou Dia (ce dernier a rejoint la majorité présidentielle), des ministres, des directeurs généraux… Tous sont réduits à leur plus simple expression, pour paraphraser l’autre. Même le grand homme politique Djibo Leyty Ka, aujourd’hui disparu, n’a pas échappé à la furie du ‘’jeune’’ leader. Ainsi est-il devenu incontournable dans son fief et sur l’échiquier politique national.

Force électorale incontestable, c’est désormais sur ses épaules que repose la sécurité intérieure du Sénégal, dans le gouvernement de ‘’combattants’’ de Macky Sall. Une tâche loin d’être une sinécure.

Bérouba Guissé : ‘’Aly est capable de tout. C’est un téméraire…’’

 Nommé dans un contexte marqué par le scrutin très controversé du 30 juillet dernier, il devient, du coup, la cible principale de l’opposition qui ne compte pas lui accorder un état de grâce. Les premières attaques sont lancées depuis son fief. Elles portent la marque de Bérouba Guissé, responsable départemental du Grand parti. ‘’Remplacer Abdoulaye D. Diallo par Aly Ngouille, c’est une insulte et un manque de considération notoire envers l’opposition. C’est de l’arrogance. Ce n’est pas un changement d’homme qui était réclamé. Pour faire plaisir au prince et parce que n’ayant pas la légitimité historique à l’APR, Aly est capable de tout. C’est un téméraire qui ne reculera devant rien pour assurer à son mentor un deuxième mandat. L’opposition est avertie, il y aura de l’excès de zèle. Ce qu’il faut, c’est une confrontation’’, lâche t-il.

Le ton est ainsi donné. A la place Washington, le ministre ne connait pas de répit. Attaqué sur tous les fronts, ‘’il ne dort jamais’’. Fils de l’ancien maire socialiste de Linguère Ndiatté Ndiaye, Aly Ngouille a longtemps résisté aux sirènes de la politique.

 C’est en 2007 qu’il décide finalement de se jeter dans la ‘’mare’’, après plusieurs années passées dans le mouvement associatif. Ainsi crée-t-il le Mouvement pour la renaissance du Djolof (MRD). Sous cette bannière, il se hisse de la base vers le sommet de la République. Une ascension fulgurante que suivra son géniteur, décédé en 2003, depuis les cieux.

Bienvenu à politique land !

Pour exister, Aly Ngouille Ndiaye a dû avaler des couleuvres, passer différentes épreuves, les unes plus dures que les autres. Tout commence en 2009, quand il a décidé de se lancer pour la première fois dans une bataille électorale : celle des municipales à Linguère. D’abord, c’est l’épreuve des audits, de l’adversité féroce de ses ‘’ennemis’’ du PDS, alors parti au pouvoir. Au moment où il battait le rappel des troupes, le gouvernement libéral lui envoie l’Inspection des Finances pour fouiner dans sa gestion de la DJOMEC (Mutuelle d’épargne et de crédit du Djolof, qu’il a créée en 1997).

M. Ndiaye dénonçait une cabale monté par son adversaire politique Habib Sy, alors tout-puissant ministre d’Etat, directeur de cabinet du président Wade, maire de Linguère. ‘’C'est quand même bizarre que cette mutuelle soit la seule auditée durant cette période par le corps de contrôle du ministère des Finances. La seule chose qui est regrettable, c'est la manipulation politique de cette institution que je respectais beaucoup. Il y a manipulation intentionnelle parce qu'il y a dédoublement institutionnel du ministre d'État, directeur de cabinet du président de la République et maire de Linguère, qui utilise les institutions de l'État pour me combattre. Qu’il sache qu’il s’époumone dans le vide’’.

En fait, cette mutuelle constitue un oasis dans le désert du Djolof. Une puissance financière importante qui permet à Aly Ngouille Ndiaye de peser de tout son poids sur le développement de sa contrée. Une réussite éclatante qui, selon lui, aurait inspiré son adversaire qui avait mis en place LINGUEREMEC, juste pour le concurrencer et diminuer ses parts de marché.

Après l’épreuve des audits et de la concurrence, Aly Ngouille et son camp seront confrontés à celle du corps-à-corps, du feu et du sang. Toujours en 2009, le 18 mars, plus exactement, fut une journée ensanglantée qui restera gravée dans les annales politiques du Djolof. Ce jour-là, le feu avait éclaté. Du sang avait coulé. Les deux camps, amenés par Habib Sy (alors maire de Linguère) et Aly Ngouille Ndiaye, se rejetaient la responsabilité. Au bout de cette campagne jalonnée de violents affrontements, le novice n’était certes pas parvenu à terrasser le baobab, mais il réussit à le secouer. Sérieusement. La différence de voix n’était que d’environ 150, rapporte son frère, fier. Une nouvelle réalité politique venait ainsi de voir le jour. Baba Lissa Ndao, coordonnateur de la LD à Linguère, témoigne : "Sur le plan politique, je vois en lui un homme engagé aux côtés du président Macky Sall. Son leadership est incontestable dans le département de Linguère. En plus, il fait beaucoup d'actions sur le plan social, surtout envers les nécessiteux et les religieux.’’

Toutefois, informe M. Ndaw, le maire, leader de l’APR, a tendance à vouloir tout accaparer. ‘’Il manque de considération pour certains alliés. Il gagnerait à travailler avec toutes les composantes de BBY pour la réalisation des objectifs du président Macky Sall’’.

Le compagnonnage entre les deux hommes a commencé en 2012. Lors de la présidentielle de cette même année, courtisé de toutes parts, le président du MRD prend sur lui l’audacieux pari de miser sur le ‘’cheval Macky Sall’’ qui était loin d’être le favori de ces joutes. Son vœu se réalise. Macky Sall gagne aussi bien Linguère que beaucoup d’autres localités, dès le premier tour. Au second tour, l’enfant de Ndiatté Ndiaye et de Fatou Abdou Ndiaye confirme son leadership dans la capitale du Djolof.

La formation militaire à Bango

Qui l’eut cru quelques années plus tôt ? De sa tombe, son père doit en être fier. Lui qui, selon les témoins, a consacré toute sa vie à sa communauté. Son fils, né à Linguère il y a 53 ans, a donc de qui tenir. C’était le 16 aout 1964. Au lendemain des indépendances, le ciel bleu de Linguère accueille une nouvelle future étoile. Très vite, il devient un chouchou pour ses parents, un modèle pour les enfants de sa génération, par son comportement ‘’exemplaire’’ à l’école, à la maison et dans le quartier. ‘’Il a toujours été rigoureux, juste et efficace. Quand il comprend, il va très vite’’, rapporte son ami de longue date Thiao Kandji.

Ces qualités en bandoulière, Aly Ngouille gravit un à un les échelons. Après ses débuts à l’école régionale devenue école Birame Seck, il rejoint Louga, avant d’être transféré à Diourbel où il obtient son Brevet de fin d’études moyennes. Par la suite, le ‘’Kaw-Kaw’’, comme le taquine son jeune frère, fait un saut dans la grande banlieue dakaroise pour déposer ses baluchons  au lycée Limamou Laye de Guédiawaye. Scientifique, il décroche avec brio son Baccalauréat (Série E) et réussit, dans la foulée, au concours d’entrée à l’Ecole polytechnique. C’était en 1983. Au cours de cette même année, il est envoyé à Bango pour sa formation militaire en même temps que son ami Diombass Diaw, chef du bureau économique à Varsovie (Pologne), Mactar Fall (Représentant résident adjoint PNUD Togo) et Boubacar Ndiaye (principal de CEM à Bakel).  Cinq ans plus tard, en 1988, il sort major de cette école d’excellence et intègre la Banque de l’habitat du Sénégal, en tant que stagiaire.

Dans un contexte où règne la loi des ‘’fils de’’, il choisit une voie autre que celle de son père. Ce dernier est agronome de formation. Lui opte d’abord pour le génie civil, ensuite pour les finances.

Recruté en tant que technicien, il bénéficie plus tard d’une bourse et va apprendre les finances aux USA. ‘’C’est parce qu’à l’époque, à la BHS, il y avait déjà beaucoup d’ingénieurs, des polytechniciens dont un de ses profs. Il lui était donc difficile, en tant que jeune ingénieur, de s’imposer devant ces hommes ayant blanchi sous le harnais. Il s’est donc dit qu’il fallait apprendre autre chose pour avoir un plus. Voilà pourquoi il est parti assimiler les finances aux USA’’, confie son frère Galaye Ndiaye. Ce qui témoigne que le nouveau ministre de l’Intérieur n’est pas du genre à se contenter des seconds rôles. Aux Etats-Unis, poursuit son frangin,  Aly Ngouille ne manquait pas de propositions intéressantes. Mais le petit fils de Bourba Djolof a choisi de rentrer au bercail pour contribuer au développement de son terroir.

De retour au Sénégal, il est promu à diverses stations à la BHS : chef du Service des caisses et guichets, chef du Département des opérations de la clientèle, directeur du Crédit, directeur de la Clientèle et du Réseau… La liste de ses fonctions est loin d’être exhaustive.

Le départ de la BHS

Homme de défis, il quitte la boite en 2007 pour lancer ses propres affaires. Depuis cette date, Aly Ngouille a trempé ses mains dans plusieurs sauces : immobilier, micro-crédit, montage financier… C’est d’ailleurs dans ces divers créneaux qu’il a su tirer son trésor de guerre, avant d’entrer en politique. Son frère explique : ‘’La vie est pleine d’opportunités, quand on est bon financier. En trouver n’est pas un problème. D’abord, avant de quitter la BHS, Aly a négocié un bon plan de départ. Ensuite, il a monté ses propres business et ça marche.’’

Si les financiers sont d’habitude réputés être très radins, lui, en revanche, est connu pour sa générosité légendaire. ‘’Il sait dépenser sans rien attendre en retour’’, informent ses proches.

Jeune ambitieux, le Djolof-Djolof se rend dès lors compte que sur le champ politique, rien ne se donne, tout s’acquiert. Mais ce polytechnicien, ayant subi une formation militaire, a appris la ‘’rigueur, la détermination et l’endurance’’, rapporte un de ses parents. Des vertus dont il s’armera dans sa nouvelle voie, selon son cadet Galaye.

Il est, en effet, ‘’prêt à en découdre avec n’importe lequel de ses adversaires. Son seul problème, renchérit le jeune frère, c’est qu’il pardonne très vite’’.

Son adversaire Bérouba Guissé, membre du Grand parti de Malick Gakou, prend plutôt cette ‘’générosité’’ pour de l’arrogance. A l’en croire, le nouveau ministre de l’Intérieur cache derrière ses airs timides et de taiseux des attitudes belliqueuses. Il dit : ‘’La méthode préférée d’Aly Ngouille, c’est l’achat des consciences et  l’intimidation. Les populations du Djolof en savent quelque chose.’’

Du côté des partisans du ministre, on appelle à la raison. ‘’Il faut le juger sur la base des actes qu’il va poser. Nous ne doutons pas qu’il va réussir sa mission, parce que c’est un homme juste, droit et travailleur’’, plaide Thiao Kandji.

Ancien ministre de l’Energie, ancien ministre de l’Industrie et des Mines, Aly Ngouille pourra aussi compter sur son vécu auprès du mouvement associatif. Ainsi est-il parvenu à se construire un fort capital humain lui permettant d’implanter son mouvement dans toute sa région et même au-delà. Passionné de foot, il a été successivement joueur et entraineur dans des ASC à Linguère et dans le grand Marbatt de Louga. ‘’D’ailleurs, récemment, on a joué une partie, mais il n’a pas pu tenir dix minutes dans le terrain’’, révèle Galaye Ndiaye. L’ancien milieu de terrain, déclare son ami Thiao, n’était pas non plus un excellent joueur. ‘’Je l’ai toujours battu’’, ajoute t-il.

Il n’empêche, Aly a toujours eu l’esprit d’un ‘’gagneur. C’est pourquoi, avant de s’engager dans quelque chose, il prend le soin de bien l’analyser’’.  En 2013, il prend la résolution de fusionner son mouvement dans l’APR. Un acte qu’il justifie par l’ambition du président de la République. ‘’Il veut la renaissance du Sénégal. Ce qui ne peut se concevoir sans celle du Djolof. C’est ce qui justifie la fusion du MRD dans l’APR’’, disait-il.

Depuis lors, il fait partie du cercle restreint qui entoure le président Macky Sall. Au point que ce dernier a décidé de lui confier sa sécurité, mais aussi celle des Sénégalais.    

Mor Amar et Mamadou Ndiaye (Linguère)

 

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