Publié le 20 Feb 2019 - 16:25
AMÉLIORATION DE LA JUSTICE

Les candidats déclinent leurs programmes

 

Les mandataires des candidats à la Présidentielle prochaine, à l’exception de ceux du Pur et de la coalition Idy2019, ont décliné, hier, leur vision pour améliorer le fonctionnement du système judiciaire sénégalais. Ils ont été conviés à cet exercice par l’Association des juristes africains (Aja).

 

La justice sénégalaise ‘’boite’’. C’est le constat que fait le fondateur de l’Association des juristes africains (Aja), Benoît Ngom. Ainsi, pour perfectionner l’allure de la machine judiciaire, les acteurs ont invité, hier, les mandataires des 5 candidats à l’élection présidentielle du 24 prochain, à décliner leur projet sur cette question. ‘’Nous pensons aujourd’hui que la justice sénégalaise boite. Il est extrêmement important de localiser les causes afin de pouvoir la traiter sérieusement. Nous n’avons jamais fui devant nos responsabilités pour apprécier ce qui se passe, notamment avec le dossier Khalifa Sall et Karim Wade’’, souligne le Pr. Ngom. Qui, toutefois, précise que l’Aja ‘’n’est pas’’ une association de droits de l’homme. C’est celle de juristes professionnels. ‘’Le grand problème, c’est de résoudre le problème de la magistrature, la réorganisation du système à travers celle de la Crei qui a causé énormément de problèmes’’, préconise le juriste.

Son collègue Ogo Seck est d’avis que l’indépendance de la justice reste un défi au Sénégal. ‘’Il faut que les choses changent en Afrique par rapport à l’instrumentalisation de la justice. Une enquête menée par l’Aja montre que plus de 53 % des personnes interpellées ont encore confiance à la justice. Mais, le problème, ce sont les dossiers politiques qui représentent 1 % des cas globaux’’, signale-t-il. Selon le juge Seck, dans l’affaire Khalifa Sall et Karim Wade, par exemple, des ‘’violations de procédures’’, ‘’un défaut d’équité’’, de ‘’respect des Droits de l’homme’’ ont été notés. ‘’Nous sommes des médecins du droit. Nous sommes là pour redresser certaines questions. Les moyens financiers restent un challenge dans le secteur de la justice. Il arrive souvent que 5 greffiers se partagent un même bureau. Et dans ces situations, il y a généralement un problème de confidentialité par rapport aux dossiers traités’’, regrette-t-il. Donc, M. Seck préconise que les greffiers soient mis à l’aise.

‘’La justice reste le parent pauvre du système et sa modernisation reste aussi un défi, dans un contexte où on parle de terrorisme, de cybercriminalité, etc. On a une absence de police scientifique. En plus, le ratio police-population n’est pas du tout respecté au Sénégal. Cela nécessite des moyens financiers. Le problème du Sénégal n’est pas l’économie, mais le droit. Car c’est le droit qui régit l’économie’’, fait-il savoir.

Habib Sy (coalition MadickéPrésident) : ‘’Nous allons revoir le statut du procureur et son pouvoir sera atténué’’

Le représentant de la coalition MadickéPrésident, Habib Sy, a donné leurs pistes pour renforcer l’indépendance de la justice. Il préconise, dans un premier temps, une ‘’certaine dose de démocratie’’ dans le secteur. ‘’C’est pour cela qu’on applique un système démocratique du Conseil constitutionnel. Ainsi, les juges de ce conseil seront élus. Il y aura une sorte d’organe qu’on va créer, composé de divers personnalités et hommes de droit, entre autres, qui vont s’en charger. De ce fait, leur indépendance sera totalement garantie’’, avance-t-il. Parce que, poursuit le représentant du candidat Madické Niang, la justice est ‘’fragile’’. Donc, il estime qu’il faut ‘’faire très attention’’ pour y arriver. ‘’Notre candidat, une fois élu, s’engage à ne plus être le président du Conseil suprême de la magistrature. Le ministre de la Justice et celui de l’Intérieur n’appartiendront à aucun parti politique. Nous allons faire des réformes profondes et démocratiques de la justice. Pour cela, on va discuter avec tous les acteurs. Et il n’est pas exclu, pour certains ordres judiciaires, qu’on procède à une élection’’, renchérit l’ancien membre du Parti démocratique sénégalais (Pds). Car, pour M. Sy, quand on est élu, on a ‘’plus de pouvoir’’ et ‘’plus d’indépendance’’.

Sur ce, il soutient que c’est la loi qui doit être maître des poursuites et non le procureur. ‘’C’est pour cela que nous allons revoir le statut du procureur et son pouvoir sera atténué. Le procureur n’aura plus la possibilité de donner des ordres de manière verbale. Il sera obligé d’écrire toutes ses instructions, de même que le ministre de la Justice. Ceci, pour qu’il y ait une traçabilité, en cas de besoin. On ne peut pas, en tant que ministre, prendre son téléphone et appeler directement le procureur pour qu’il arrête tel individu’’, dit-il. C’est, pour le mandataire de la coalition MadickéPrésident, une mesure de protection contre les citoyens. ‘’On a aussi besoin de protéger les investisseurs. Parmi les recommandations des partenaires au développement, figure l’indépendance de la justice. Si les investisseurs n’ont pas confiance en notre justice, cela diminue les possibilités d’investissements directs étrangers. Alors que nous en avons besoin pour notre progrès et développement. Il nous faut une confiance interne et celle des partenaires au développement’’, dit-il.

Pour la coalition de Madické Niang, le fait de dire que le président de la République ‘’ne sera plus’’ président d’un parti politique, cela participe à la ‘’garantie de l’indépendance’’ de la justice. En plus, Habib Sy pense qu’il est aussi nécessaire d’avoir un débat public sur le budget du ministère de la Justice. Et sur la modernisation de la justice, selon lui, ce ‘’n’est rien d’autre que la formation continue’’. Dans ce sens, il juge primordial de doter les forces de défense et de sécurité de moyens idoines pour leur permettre de faire correctement leur travail.

Ismaïla Madior Fall (Bby) : ‘’Consolider les acquis et introduire les innovations’’

Si le mandataire de la coalition MadickéPrésident remet en cause l’indépendance de la justice sénégalaise, du côté du président sortant, c’est tout le contraire. En effet, selon le Pr. Ismaïla Madior Fall, représentant la coalition Benno Bokk Yaakaar (Bby), cette question est une ‘’réalité au Sénégal’’. ‘’On a une justice qui est indépendante, solide, respectée. Toutefois, on peut encore la renforcer, l’améliorer. C’est pour cela que le président de la République nous a demandé de mettre en place une commission sur la modernisation de la justice. Celle-ci a déjà passé en revue les questions qui sont considérées comme étant les plus importantes’’, défend-t-il. Sur ce point, ce que Macky Sall compte faire, s’il accède à nouveau à la magistrature suprême, selon le constitutionnaliste, c’est de revoir le statut du magistrat qui sera ‘’renforcé’’.

‘’Le comité y a réfléchi et a formulé des recommandations qui vont dans le sens du renforcement de l’indépendance des magistrats. Mais la proposition n’émanera pas de l’Union des magistrats sénégalais. C’est plutôt la commission qui va s’en charger’’, indique-t-il. D’après le Pr. Fall, concernant le Conseil supérieur de la magistrature, le comité a recommandé que le chef de l’Etat reste le président, mais avec ‘’un recul modéré’’.

Par rapport à la carte judiciaire du Sénégal, la remarque est, selon ce spécialiste du droit constitutionnel, qu’elle ‘’n’est pas rationnelle’’. Car elle ne permet toujours pas l’accès des citoyens au service public de la justice. Là aussi, le président sortant a proposé qu’il y ait une simplification, en rationalisant et en mutualisant les ressources. Au lieu d’avoir des tribunaux d’instance, de grandes instances, des cours d’appel, une cour suprême et le Conseil constitutionnel, qu’on ait maintenant, en première instance, des tribunaux de première d’instance dans tous les départements du Sénégal et immédiatement après qu’on aille à la cour d’appel. ‘’On n’a pas besoin de bouleverser les institutions existantes. L’essentiel, c’est de consolider les acquis et d’introduire les innovations. Dire que l’organisation juridique n’a aucun problème, c’est de la démagogie. C’est pareil aussi, quand on dit qu’il y a crise de confiance en la justice. La réalité, c’est qu’on a une bonne armature judiciaire. Mais elle nécessite des réformes qu’il faut améliorer et le président de la République s’engage à les mettre en œuvre, d’après un agenda réaliste, progressif et prudent’’, dévoile-t-il.

Au fait, pour le professeur de droit à l’université Cheikh Anta Diop, les ressources humaines disponibles au Sénégal doivent être dispersées à travers le pays. Ainsi, Bby prévoit de simplifier la carte judiciaire, afin que les juridictions aient les mêmes compétences, la création de la case de justice dans les villages, la dématérialisation des procédures judiciaires sont, entre autres changements, ce que veut apporter le président sortant et son équipe, s’ils gagnent la présidentielle.

Pr. Diallo Diop, coalition Sonko-Président : ‘’L’Ige va être sortie du domaine réservé et intouchable du président de la République’’

Le représentant du candidat Ousmane Sonko du parti Pastef souligne que leur politique judiciaire se réfère essentiellement à celle proposée par le Commission nationale de réforme des institutions (Cnri). ‘’La voie d’une assemblée constituante, issue d’une élection législative anticipée consécutive à une dissolution du parlement, dès que le délai de rigueur aura été atteint, nous semble la moins coûteuse et la plus simple. 

Par rapport à la réforme du système, nous pensons qu’hostiles, par principe, aux juridictions d’exception, nous allons dissoudre la Crei. Pour l’Ofnac, c’est devenu épidémique’’, déclare le Pr. Diallo Diop. Selon qui, d’une manière générale, pour ces institutions, qu’elles aient un caractère institutionnel, comme la Cour des comptes, ou non judiciaire, il s’agit d’autorités administratives indépendantes, celles qui ne seront pas supprimées, parce que sans objet superfétatoire, devront être ‘’sorties du domaine réservé et intouchable’’ du président de la République. A commencer par l’Ige. C’est, pour le Pastef, ‘’la condition de leur efficacité’’.

Il faut noter que les mandataires des candidats du Pur et de la coalition Idy2019 n’ont pas participé à cette activité, même s’ils ont été annoncés au départ.

MARIAMA DIEME

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