Publié le 31 May 2016 - 13:10
AMBIANCE PROCÈS HABRE

L’adieu aux larmes

 

L’expression pleurer de joie aura rarement trouvé illustration aussi parfaite. Hier après le prononcé du verdict du procès de Hissein Habré, déception mais surtout jubilation, se sont exprimés par des sanglots.

 

‘‘You you you you you!’’. Une salve de cris a accueilli l’énoncé du verdict qui a condamné l’ancien président tchadien à une peine d’emprisonnement à perpétuité. Les anciennes victimes et les avocats de la partie civile se sont laissé aller à un pleurer-rire qui en disait long sur leur joie. La présidente des avocats de la partie civile, Jacqueline Moudeina, qui voyait tout le monde tomber dans ses bras, répétait comme une automate ‘‘que du bonheur, que du bonheur’’, les yeux bouffis de larmes. Juste près d’elle, une des victimes, bras levés, criait à tue-tête : ‘‘Merci Seigneur, merci Seigneur. Après 20 ans, merci Seigneur.’’

La première personne à avoir intenté une action contre Habré, Clément Abaifouta, en ensemble costume bleu et chapeau panama blanc, est tout sourire, les yeux embués. Embrassades chaleureuses et accolades ponctuaient chacun de ses pas. ‘‘C’est une victoire grand V’’, exulte-t-il. Quelques heures plus tôt, il était optimiste quant à l’issue de cette journée fatidique pour Hissein Habré, le Tchad et l’Afrique. Quant à la manifestation de la partie adverse, elle aura été anecdotique. ‘‘A bas la Françafrique, vive l’Afrique libre et indépendante’’, lance l’ex-Président tchadien juste après que le juge a fini la lecture du verdict. Conduit par les Epi, Habré s'est arrêté au box comme à chaque fin de séance pour lever ses bras en direction de ses partisans. Ces derniers se sont levés et ont entonné la même rengaine. Une bravade qui a duré quelques minutes avant que les gardes pénitentiaires exfiltrent l’ex-Président tchadien via le box des accusés.

Pas d’esclandres

La journée n’a pas démarré au quart de tour. C’est à 10 heures que les portiques magnétiques de la gendarmerie ont enfin commencé à filtrer les articles d’une foule nombreuse, venue assister au verdict des Chambres africaines extraordinaires. Dans les couloirs du palais de la justice, le rôle d’audience de la Chambre criminelle de Dakar, à la salle 2, qui d’habitude était très couru, passe presque inaperçu. A l’intérieur de la salle 4 et de son mobilier boisé, le bruit feutré des chuchotis rythme une attente pleine d’expectative.

Au premier rang, juste en face du présidium, l’homme qui a dirigé le Tchad de 1982 à 1990. Habré tout de blanc vêtu, lunettes noires à monture dorée, est assis sur un fauteuil noir. Il est cerné de toute part par les combinaisons noires des éléments pénitentiaires d’intervention (EPI). Contrairement à l’ouverture du procès, les organisateurs ont paré à l’éventualité d’un ‘coup de com’ de Hissein Habré et de ses partisans. L’accusé a été installé avant l’ouverture de la salle au public. A la septième rangée, derrière le ‘‘patriarche’’, la famille attend. 10h10, le procureur Mbacké Fall et tout le parquet arrivent, suivis quelques trois minutes plus tard du juge Gberdao Gustave Kam, président de la Chambre qui signifie aussitôt la reprise de l’audience suspendue depuis le 11 février 2016. Après une lecture qui aura duré à peine plus d’une heure, l’ancien homme fort de Ndjamena était fixé sur une décision qui lui aura pris la liberté et laissé ses biens.Me Ibrahima Diawara (Conseil de Hissein Habré, ayant boycotté le procès)

 ‘‘Le président Kam avait l’air d’un élève de CI’’

‘‘On n’est pas surpris. On avait dit depuis fort longtemps que cette affaire n’avait qu’une seule solution qu’est la condamnation du président Hissein Habré. Mais on est satisfait d’une part. Ceux qui ont entendu le président Kam lire le délibéré, ont eu l’image d’un élève de CI qui était devant son livre de lecture qu’il venait d’ouvrir pour la première fois. On s’est même posé la question de savoir si c’est lui qui a rédigé cette décision. Lire quelque chose qu’on a rédigé devrait être beaucoup plus naturel. On a senti qu’il avait du mal à articuler les mots qu’il est censé avoir écrit. Ce procès est une affaire politique et l’est restée. Quant au recours, nous l’avons dépassé. Le jour où les Chambres ont décidé que nous n’allons pas défendre notre client comme nous le voulons, qu’elles aient choisi des avocats qui plaident contre la volonté du président Habré, c’était plié d’avance. L’appel est un problème qui interpelle mes confrères qui ont pris la responsabilité de plaider devant les CAE.’’

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’’Me Ibrahima Diawara (Conseil de Hissein Habré, ayant boycotté le procès)

 ‘‘Le président Kam avait l’air d’un élève de CI’’

 ‘‘On n’est pas surpris. On avait dit depuis fort longtemps que cette affaire n’avait qu’une seule solution qu’est la condamnation du président Hissein Habré. Mais on est satisfait d’une part. Ceux qui ont entendu le président Kam lire le délibéré, ont eu l’image d’un élève de CI qui était devant son livre de lecture qu’il venait d’ouvrir pour la première fois. On s’est même posé la question de savoir si c’est lui qui a rédigé cette décision. Lire quelque chose qu’on a rédigé devrait être beaucoup plus naturel.

On a senti qu’il avait du mal à articuler les mots qu’il est censé avoir écrit. Ce procès est une affaire politique et l’est restée. Quant au recours, nous l’avons dépassé. Le jour où les Chambres ont décidé que nous n’allons pas défendre notre client comme nous le voulons, qu’elles aient choisi des avocats qui plaident contre la volonté du président Habré, c’était plié d’avance. L’appel est un problème qui interpelle mes confrères qui ont pris la responsabilité de plaider devant les CAE.’’


Todd Buchwald, Coordonnateur spécial justice criminelle, (Département d’Etat américain):

‘‘Prêts à évaluer d’autres requêtes’’

 ‘‘Les USA sont prêts à recevoir toutes les requêtes, de les évaluer  si nécessaire dans le cadre d’autres procès. Nous travaillerons avec nos partenaires incluant le Sénégal, le Tchad et l’Union africaine pour voir quel genre d’assistance serait possible dans le futur.


Reed Broody, (partie civile, Human Right watch)  

‘‘Signal d’alarme aux tyrans’’

 ‘‘C’est une immense victoire pour les victimes de Hissein Habré qui ont lutté sans relâche depuis 25 ans pour le traduire en justice. Cette condamnation envoie un signal d’alarme aux tyrans, leur rappelant que s’ils commettent des atrocités, ils ne seront jamais hors de portée de leurs victimes.’’


Me Assane Dioma Ndiaye (partie civile)

 ‘‘Qu’il s’agisse du Burundi, de la Gambie...’’

C’est l’Afrique qui marche lentement mais sûrement vers le combat pour l’éradication de l’impunité. C’est un exemple lancé à tous les tenants du pouvoir en Afrique. Les dirigeants ne peuvent plus commettre une violation massive des droits humains et dormir tranquilles. Où qu’ils soient, quel que soit l’endroit où ils se cachent, la justice pourra les atteindre. Qu’il s’agisse du Burundi, qu’il s’agisse de la Gambie, ou de la Centrafrique, soyez rassurés que tous les crimes qui y sont commis ne resteront pas impunis. Qu’on ne nous parle plus de procès néocolonialiste.’’

Fat Sy et O. L Diop

 OUSMANE LAYE DIOP

 

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