Publié le 8 Jul 2017 - 00:27
AMBIANCE

Soweto en état de siège

 

Le déluge n’a pas eu lieu. Hier, tôt dans la matinée, les forces de défense et de sécurité ont assiégé les alentours de la Place Soweto au moment où les parlementaires procédaient à la modification de la loi électorale. L’atmosphère était par moments chaude. Mais les éléments d’Abdoulaye Daouda Diallo ont eu la situation sous contrôle. Du début jusqu’à la fin.

 

Le chemin qui mène au Paradis est parsemé d’embûches. Celui qui mène à l’Assemblée nationale était hier rempli d’obstacles. Soweto s’est revêtue d’atours inhabituels pour recevoir un invité pas comme les autres, le patron de la Police. 9 heures ; déjà, les forces de défense et de sécurité prennent d’assaut les lieux. Balisant le chemin à leur boss. Il faut montrer patte blanche pour déambuler dans les parages. Toutes les rues et ruelles qui mènent à l’Hémicycle sont barricadées.

Des éléments du Groupement mobile d’intervention sont positionnés partout. Assis sur un banc face à l’Assemblée nationale, juste à côté de l’immeuble abritant la Banque nationale de développement économique (Bnde), Moctar Ba est en train de déguster tranquillement sa tasse de café. Un des responsables de la sécurité s’approche et le prie de ‘’circuler’’. Il explique : ‘’Je suis juste en train de prendre un café. Je quitte dès que je termine.’’ ‘’Svp, il est interdit de s’asseoir ici. Il faut quitter les lieux’’, lui dit alors l’agent. Dégoûté, le bonhomme, la quarantaine, vêtu d’un beau boubou bleu,  prend la direction du ministère de la Justice.

 Interpellé, il raconte son désarroi : ‘’Moi, j’étais juste venu accompagner mon fils qui doit se présenter au baccalauréat. En quittant, j’ai fait un crochet pour prendre une tasse de café et voir l’ambiance ici à l’Assemblée. Je pense quand même que nous avons le droit de circuler librement et de boire un café si nous le voulons. Que je sache, le Sénégal, jusque-là, est un pays démocratique et non une dictature’’. Pendant ce temps, les éléments du Gmi enjoignent au vendeur de café d’évacuer le site.

Plus le temps passe, plus les nerfs se surchauffent. Moussa Diakhaté membre de la coalition gagnante Wàttu Senegaal, a lui aussi fait les frais de la loi des flics. Venu auprès des forces de l’ordre s’enquérir de la situation de deux jeunes qui étaient avec lui et qui, selon lui, ont été interpellés, il se fera éconduit manu-militari. ‘’Dégage !’’ lui intime l’agent de Police. Le bras droit de Pape Diop, dans son «Lacoste » orange, réplique : ‘’Vous n’avez pas le droit de me parler sur ce ton. Je suis un citoyen et vous avez interpellé des jeunes qui sont venus ici avec moi’’. L’agent, sur un ton on ne peut plus menaçant, déclare : ‘’Je n’ai aucune explication à vous donner ! Je vous dis de dégager !’’ Aussitôt, d’autres éléments viennent à son secours pour l’aider à exécuter ses menaces. Ils sont au nombre de huit.

Ainsi Moussa, de la porte de l’Hémicycle, est poussé vers la Bnde. Il tente de s’y opposer, mais le rapport de forces tourne à l’avantage des hommes d’Abdoulaye Daouda Diallo. Une policière, taille moyenne, tenue bleu sombre, très sereine du reste, vient à son tour demander ce qui se passe. Après avoir écouté les deux parties, elle donne l’ordre de laisser le politicien retourner d’où il venait. C'est-à-dire à l’intérieur de l’Assemblée d’où il sera chassé une seconde fois avec tout le public qui était à l’intérieur pour ‘’perturbations de séance’’. Gallo Tall, membre du Parti démocratique sénégalais, en est un. Il sort de l’Assemblée en boitillant, l’air abattu. ‘’Vous voyez ce qu’ils ont fait. J’ai été battu par les policiers. C’est un régime dictatorial. Nous allons faire face à la forfaiture’’, clame-t-il, avant de s’engouffrer dans sa voiture grise, visiblement mal en point. Les autres manifestants scandent à leur tour : ‘’Libérez le peuple !’’ Il est presque 12 heures.

Comme pour calmer le jeu, le ciel, contrairement aux jours précédents, était hier, dans la matinée, un peu plus clément. Mais cette clémence de Dame Nature contrastait carrément avec l’état d’esprit des hommes politiques présents à Soweto. De plus en plus, la tension monte, les nerfs deviennent tendus. Quelques instants auparavant, aux alentours de 10 heures, un peloton du Gmi était arrivé en renfort. Sirènes hurlantes, feux allumés, ils ont débarqué sur les lieux, à bord de deux camions blancs, deux pick-up et un mini car bien blindé. Avec la décision ferme de tenir au respect tout éventuel perturbateur. Une démonstration de force que déplore le militant du Pds Assane Ba, debout loin du rond point de l’Assemblée nationale : ‘’C’est vraiment triste ce que nous vivons dans ce pays. Nous avons vraiment connu un recul démocratique. Macky Sall veut gouverner ce pays avec la force mais ça ne marchera pas. Nous sommes venus de Ouakam pour assister à cette plénière. C’est notre droit le plus absolu mais on nous a empêchés de le faire. On nous a éconduits comme des malpropres’’, rouspète le politicien, furax.

Des candidats au baccalauréat en syncope au Lycée Lamine Guèye

Comme dans un état de siège, le dispositif est impressionnant. A 11 heures, le ministre, le corps frêle, enveloppé dans un blanc immaculé, arrive avec un cortège modeste : un motard, une voiture 4x4 et une Mercedes S 500 de couleur noire. La tension entre avec lui au sein même de l’Hémicycle. Après les expulsions de Gallo Tall et Cie, d’autres jeunes seront chassés jusqu’aux alentours du Lycée Lamine Guèye où des candidats au baccalauréat sont en train de préparer les épreuves de l’après-midi. Là-bas, devant le Centre d’examen, les policiers jettent des gaz lacrymogènes pour disperser la dizaine de manifestants. Quelques élèves tombent en syncope. Ils sont évacués à l’intérieur de la salle des profs.

Oustaz Assane Seck est surveillant. ‘’C’est grave ce qu’ils ont fait. Moi je me demande si ces gens réfléchissent ! Comment on peut jeter des grenades lacrymogènes devant un établissement alors que des enfants sont en train de faire un examen ?’’ A peine a-t-il terminé que Doudou Mbaye, correcteur, trouvé dans la salle des profs au chevet des enfants évanouis, embouche la même trompette de désolation : ‘’C’est honteux ! C’est inadmissible ! Heureusement que c’est arrivé au moment où les élèves sont en pause. Nous espérons que les choses vont se calmer avant la reprise parce qu’on ne peut pas travailler dans ces conditions’’. Mais plus de peur que de mal, les victimes, au nombre de trois, allongées sur les fauteuils de la grande salle, reprennent de plus en plus leurs esprits. Pour elle, le baccalauréat de 2017, ce sera aussi les gaz lacrymogènes.

Omar Sarr malmené par les flics

Le Secrétaire général adjoint du Parti démocratique sénégalais, lui non plus n’a pas été épargné. S’interposant à l’exclusion de jeunes qui étaient venus assister à la séance plénière, il fut bousculé, contraint de sortir de l’Hémicycle parce qu’il voulait s’adresser à des journalistes. Le pauvre, en costume bleu sombre, assorti d’une cravate mauve, n’avait que sa voix aigue pour crier dans le brouhaha indescriptible : ‘’Vous n’avez pas le droit de les expulser. Ils sont dans leurs droits. Ils sont des citoyens. Ils ne sont pas des chiens. Ces jeunes sont juste venus assister au débat. C’est une dictature qui se met en place. Il n’y a plus de débat. La démocratie est à terre. Il faut que les populations se préparent pour la prochaine bataille. C’est du jamais vu ici à l’Assemblée. On dirait que l’Assemblée est devenue un camp militaire ou policier. Vous voyez, ils sont en train de me chasser alors que je suis un représentant du peuple’’. Malgré sa hargne, il n’a pu empêcher le déroulement du vote.

REACTIONS

MAMADOU LAMINE DIALLO (COORDONNATEUR DE LA COALITION GAGNANTE)

‘’La lutte va continuer sur le plan du droit et de la politique’’

‘’Comme vous le voyez, nous assistons à un état de siège. Ils empêchent les Sénégalais d’accéder à l’Assemblée ; ils brutalisent des députés. La majorité a peur. L’heure est grave et tout le monde doit en prendre conscience. Cette loi remet en cause le secret du vote, alors que c’est la base de la démocratie sénégalaise. C’est ce qui est ressorti du code consensuel de 1992. Cette loi veut que personne ne sache pour qui j’ai voté, pour qui je n’ai pas voté.

Avec leur majorité mécanique, ils vont sûrement adopter le texte mais la lutte va continuer sur le plan du droit et de la politique. Mais encore faudrait-il qu’il nous remette nos cartes d’identité. A quelques jours du scrutin, il y a un nombre important de Sénégalais qui n’ont pas encore leurs cartes et c’est un véritable problème.’’

Mor Amar

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