Publié le 19 Oct 2017 - 23:21
AMETH GUISSE (ECRIVAIN)

‘’Depuis plus de 50 ans, les choses vont de mal en pis’’

 

Après ‘’Une mort magnifique’’ et ‘’Femmes dévouées, femmes aimantes’’, ‘’42, rue Augustin Moreau’’, Ameth Guissé propose aux lecteurs un nouveau roman ‘’La révolte des infortunés’’. A Monpayis, pays imaginé par l’auteur, éclate une révolte que les autorités n’avaient pas vu venir. Au cœur de la tension naît un amour entre Jean Fara et Saly. Dans cet entretien, Ameth Guissé revient sur les grandes lignes de ce roman.

 

Comment est née l’idée de faire ce livre, ‘’La Révolte des infortunés’’ ?

C’est né simplement du fait que je pense qu’il faut que nous nous inscrivions dans les thèmes qui nous interpellent. Le problème du devenir de notre continent devient de plus en plus présent dans les débats. Je me suis dit que la littérature doit contribuer à l’éveil des consciences. Ce livre n’est pas un roman idéologique ni un appel à l’insurrection. Non. Je pense qu’il faut le lire de manière positive. C’est un livre qui peut aider à prendre un peu plus en compte les préoccupations d’un peuple. Je montre ici comment un épiphénomène peut un jour ou l’autre entraîner une contestation populaire. Je veux rappeler que les peuples n’attendent pas toujours les rendez-vous des scrutins pour changer des destins. Il faut tout faire pour que les inégalités se sentent moins. Aujourd’hui, on a des peuples beaucoup plus exigeants et qui ont un droit de regard sur tout. Ce droit de regard peut s’exercer de plusieurs façons.

Ce qui s’est passé ici au Sénégal, en 2012, constitue-t-il le point de départ de l’histoire que vous contez dans ce roman ?

Oui cela a été une source d’inspiration, il faut l’avouer quand même. Mais je n’ai pas voulu focaliser l’histoire uniquement ici. Je pense que ce qui s’est passé au Sénégal est le lot de ce qui se passe dans pas mal de pays de la sous-région. Il y a dix jours, il y a eu un soulèvement en Guinée pour les mêmes raisons que celles évoquées dans ce livre (ndlr : problème dans la fourniture d’électricité). Ce qui démontre que ce qui appartient à tout le monde, il faut le donner à tout le monde.

Dans ce livre vous parlez du ‘’Mouvement avant-gardiste’’, n’est-il pas juste la copie du mouvement Y en a marre, parce qu’il y a beaucoup de ressemblances dans la constitution des deux ?

Je pense que ce qui est à l’origine du mouvement l’est pour tous les mouvements citoyens. Ce qui les préoccupe le plus, ce n’est pas d’avoir accès à des postes, mais d’aiguillonner la politique ou la gestion du bien commun. Ce qui s’est passé au Sénégal avec le mouvement Y en a marre a fait tache d’huile en Afrique. On a le ‘’Balai citoyen’’ au Burkina ; et des mouvements comme cela, il y en a un peu partout ailleurs dans la sous-région. Cela dénote une nouvelle prise de conscience. Avant, les gens se retrouvaient dans des mouvements clandestins qui ont pour objectif d’essayer de prendre le pouvoir. Aujourd’hui, ce n’est plus le cas et je crois que les gens savent de manière pertinente ce qui est dévolu à chaque formation. Aujourd’hui, il faudrait que ces mouvements citoyens soient une sorte de mauvaise conscience des gouvernants et leur rappellent leurs devoirs. Il faut saluer la naissance de ces mouvements, un peu partout, et qui sont là pour être des objecteurs de conscience. Ils sont là pour essayer d’orienter le bon vouloir du peuple et font en sorte que les préoccupations de ce dernier soient réellement prises en compte. La composition de ce dernier est hétérogène, à l’image de Y en a marre. Il y a des rappeurs là-dedans. Mais, je n’ai pas choisi ce mouvement par rapport à Y en a marre. Non. Pour moi, le mouvement rap est très important. C’est le mouvement qui exprime le mieux les préoccupations du peuple, qui vit avec le peuple et qui n’est pas là dans la romance. En cela, il joue un rôle fondamental. C’est le rôle de la musique aussi, d’un artiste, d’un auteur, etc. Ils doivent essayer de porter les préoccupations de leurs peuples.

A vous lire, on se dit que les peuples sont prêts à la rébellion et non à la révolution. Est-ce le cas ?

Non, c’est un décalage qu’on voit dans tout mouvement. Il y a ceux qui veulent aller plus loin et ceux qui ne sont intéressés que par la satisfaction des besoins immédiats. Sachant que c’est un mouvement spontané, il ne peut pas, du jour au lendemain, aller au-delà des préoccupations premières. On revient un peu à l’objectif du mouvement qui n’était pas de participer à la gestion des affaires, mais d’aiguillonner. Ce groupe étant hétérogène, certains sont plus éclairés que d’autres et il y en a qui sont plus ulcérés que les autres. Le fait que les moyens de production, l’énergie qui leur permet de gagner leur vie, d’avoir les moyens de leur indépendance leur font défaut, ils peuvent engager le combat.

Au moment où ils accèdent à cela, ils ne se préoccupent plus des autres choses. Ainsi, les préoccupations ne sont plus les mêmes. C’est un mouvement d’ensemble ; certains sont dans des objectifs beaucoup plus lointains, d’autres beaucoup plus proches. C’est cela que j’ai voulu montrer. Comme c’est un mouvement spontané, donc on n’est pas suffisamment préparé. Est-ce que l’Afrique est en cela préparée ? Je crois que c’est une question qu’il faut se poser. Il y a de plus en plus d’agitation aujourd’hui. Encore une fois, les gens ne cherchent pas le pouvoir, mais veulent voir les choses changer. C’est ce qui s’est passé au Burkina. Les gens n’ont pas combattu Compaoré pour prendre le pouvoir, mais plutôt pour qu’il le cède.

Vous démontrez dans le livre que c’est bien possible d’avoir une répartition équitable de l’électricité. Votre thèse est tirée de la réalité ou vous étiez dans la fiction ?

Je suis dans la fiction et je souhaiterais que cela soit réel. Ce qui est important ici est que le mouvement avant-gardiste montre que, contrairement aux arguments qu’on leur avait avancés, il faut des ressources additionnelles pour pouvoir distribuer de l’électricité à toute la population ; il n’y a pas eu d’investissement et pourtant les choses se sont faites. Le problème était qu’il y avait une répartition inique. On ne peut pas prendre 75% de la production et l’allouer au 1/10e de la population.  Ces gens-là ont des matériels Hi Tech, alors que le peuple qui leur permet d’assurer les moyens de leur liberté, on l’en prive. L’électricité ici n’est qu’un exemple de phénomène. Je pense que cette répartition inique, on peut la lier à beaucoup d’autres choses. Les investissements prioritaires ne vont pas toujours aux populations mais souvent à des choses moins prioritaires. Aujourd’hui, par exemple, Il y a des investissements qui pouvaient être alloués à la santé et qui ne le sont pas. Donc, le problème de l’électricité ici n’est qu’une métaphore. Cela pose le problème de l’arbitrage des décisions des gouvernants.

Dans ce livre, seriez-vous Jean Fara ?

Qui moi ? (Il rit). Non je ne suis pas Jean Fara. Jean Fara est un personnage et ce livre est une continuation de mes deux précédents ouvrages, ‘’Mort magnifique’’ et ‘’Femmes dévouées, femmes aimantes’’. Jean Fara est le fils de Sandiéry qui était dans le premier cité et Saly est la prostituée qui était dans le second nommé. Par le jeu du hasard, ils se sont retrouvés. Ce sont les mêmes personnages qui demeurent. Je pense que ce qui est important ici dans le personnage de Fara, c’est qu’il fait une rupture de classe. Il est issu d’une famille très aisée, celle de Sandiéry qui était presque une bourgeoisie. Lui, on ne devrait donc normalement pas le retrouver dans un mouvement pareil. C’est quelqu’un qui devait continuer dans la droite ligne de ses parents. Mais je pense qu’il y a eu une prise de conscience beaucoup plus importante et qui montre que ce n’est pas parce qu’on est issu d’un tel ou tel autre milieu qu’on est enclin à prendre faits et causes pour son peuple, mais ce sont des questions de sensibilité. Pour Jean Fara, son vécu et le parcours de son père l’ont aidé à faire une prise de conscience beaucoup plus importante. Et là, il vient s’investir.

Ne vous substituez-vous pas à lui quand même par moments, comme quand il parle des nouvelles ressources de Monpayis ?

Là, c’est un débat d’actualité. Ce n’est pas le professionnel Ameth Guissé qui parle. J’ai parlé en tant que profane dans ce mouvement qui va au-delà de sa révolte, pose des problèmes d’avenir. C’est une vision qu’ils ont eue quand ils parlent de la répartition des ressources. La préoccupation majeure doit être les générations à venir. Maintenant, la question qu’on se pose, c’est : est-ce qu’avec les options choisies, les générations futures s’y retrouveront suffisamment ? Dans le livre, je dis quelque part que l’Afrique ne décollera pas avec la génération actuelle. Ce sont les générations à venir qui feront la rupture. Ce sont ceux qui ont vécu en France, y ont travaillé et ont démystifié l’homme blanc qui pourront le faire. Ils sont nourris aux nouvelles technologies ; ça, il le faut et ce sont ces gens-là qui pourront apporter la rupture. Les jeunes qui sont dans ce livre placent leur vision dans cette optique-là. Il faut également qu’on fasse un focus sur certains secteurs comme la santé, l’éducation etc. Une fois que ce sera fait, je pense que les gens auront aussi accepté beaucoup plus facilement qu’il y ait des inégalités.

Qu’est-ce qui vous fait croire que c’est l’Afrique de la diaspora qui apportera la rupture au moment où beaucoup pensent que ce sont ceux qui sont imprégnés et ont vécu les réalités du continent qui peuvent le développer ?

Je défends le contraire, tout simplement par l’expérience. Je le dis parce que nous sommes tous là depuis plus de 50 ans et les choses vont de mal en pis, malgré la conscience que les gens acquièrent une fois retournés au pays. Ils sont de plus en plus freinés dans leur élan par les réalités socio-économiques beaucoup trop importantes et pesantes. Il y a une conscience aiguë qui se développe de plus en plus. Ceux d’aujourd’hui ne sont pas ceux d’hier. On voit de plus en plus de jeunes révoltés par cette approche que certains ont de l’Afrique. Les progrès technologiques aujourd’hui gomment de plus en plus les différences et les décalages. Ce qui permet d’accéder aux mêmes informations. Je pense qu’il y a un sursaut d’orgueil qui est noté de plus en plus chez les jeunes. J’ai bon espoir que, dans l’avenir, ces jeunes voudront que le respect qu’on leur doit ne soit pas seulement dû à leurs compétences intrinsèques, mais à la valeur de tout un continent.

Vous parlez d’amour dans ce roman. Pourquoi le choix de faire naître un amour fort entre un homme et une femme au milieu d’une rébellion ?

J’ai voulu adoucir le texte d’abord, parce qu’une révolte est mouvementée et très dure. Je pense que le lecteur a besoin quand même d’un peu d’eau de rose. J’ai voulu transiter vers une certaine forme de douceur entre la brutalité d’une révolte et la douceur de l’amour et de se retrouver entre deux personnages iconoclastes. Cela se passe entre une Saly qui n’a jamais cru au mariage ni à l’amour normatif et un Jean Fara qui a une idéologie très marquée. Je pense que ce sont deux personnes qui peuvent vivre un amour particulier. Je pense que les lecteurs aimeront bien cette dualité entre cette ardeur de la révolte et la douceur de l’amour. C’est une belle histoire d’amour, je crois. Il est vrai que quelque part, il est très poétique et très musical. Et il peut arriver sur des champs de guerre ou de bataille que des cœurs épris se retrouvent.

La religion y est présente à travers le personnage d’Imam Dave. Pourquoi ce choix ?

Imam Dave est important pour moi. Ici, il est plus objecteur de consciences que prêcheur. Un imam qui est ami avec une prostituée, c’est parce qu’il respecte son engagement. Il y a des causes qui effacent tous les péchés. Et je pense que c’est le genre d’imam qu’on aurait aimé retrouver dans ce pays. Je rappelle, à travers lui, le rôle que les religieux ont à jouer. Quelque part dans le livre, je dis que nos marabouts d’aujourd’hui sont comme les chefs de canton, jadis. Ils sont des relais du pouvoir.

Dans ce livre, on les utilise pour étouffer la révolte

Effectivement. La religion étouffe la contestation populaire. Aujourd’hui, un mot d’ordre religieux est comme une fatwa. Je pense que, de plus en plus, les religieux doivent écouter l’appel de leur peuple, surtout quand il est en souffrance. Imam Dave montre ce que le religieux devrait être. Il n’a pas de préjugés sur les gens, sinon il n’y aurait pas cette amitié très forte entre Saly et lui. L’engagement de Saly est une cause noble qui efface tout. C’est en cela qu’il faut lui tirer le chapeau comme à Saly qui est un personnage intéressant quand on voit son cursus, étudiante-prostituée, et qui s’engage dans une contestation populaire. C’est parce que la haine de son époque l’a poussée là. Grace au mouvement, elle a laissé ses tares de côté et a trouvé l’amour. 

BIGUE BOB

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