Publié le 2 Oct 2019 - 02:01
AMINATA KOBELE KEITA, AMBASSADRICE GUINEE AU SENEGAL

‘‘La crise diplomatique est conjuguée au passé’’

 

Elle a présenté les Copies figurées de ses Lettres de créances le 28 mars 2019 à Me Sidiki Kaba et ses Lettres de créances le 17 avril 2019 au président de la République, Macky Sall. Son Excellence Aminata Kobélé Keïta, Ambassadrice de la République de Guinée au Sénégal, a abordé, avec ‘’EnQuête’’ les grandes lignes de la coopération bilatérale entre les deux pays ainsi que les préparatifs de la célébration des 61 ans de la Guinée prévue demain mercredi.

 

La Guinée aura 61 ans, ce 2 Octobre 2019. Que peut-on retenir de ces six décennies d’indépendance, globalement ?

Avant de parler du 2 Octobre, il faut savoir qu’il est une suite logique du 28 septembre qui, lui-même, est une suite logique du 14 septembre 1958. Ces deux dates du mois de septembre sont plus importantes. La première rencontre pour décider du référendum 28 septembre, le jour fatidique où la Guinée a dit ‘‘Non’’ au général De Gaulle, a eu lieu quelques jours plus tôt, le 14. Donc, je ne saurais parler du 2 Octobre, qui est la date de la proclamation de l’indépendance de la République de Guinée, sans parler même de ses origines. C’est pourquoi je vous ramène quelques jours en arrière.

On retiendra que c’est cet acte qui a permis d’ouvrir la voie aux autres colonies de la France.

C’est votre première. Comment votre ambassade se prépare à célébrer la fête d’indépendance ?

Je viens d’être nommée. Habituellement, selon le budget, la fête était organisée dans un hôtel où nous convions nos homologues des autres pays résidant au Sénégal où l’on se retrouvait pour manger et faire la fête. Cette fois, ce qu’il y a de particulier, est que le personnel de l’ambassade et moi-même avons décidé de faire la fête avec la communauté. En fait, c’est la fête de tous les Guinéens. Où qu’ils puissent se trouver, le 2 Octobre est l’affaire de tous. Vouloir aller fêter avec une partie des Guinéens seulement, c’est comme si la fête n’était pas nationale. C’est pour cela que nous avons préféré la fêter avec toute la communauté dans l’unité, sans distinction aucune.

Il y a une forte présence guinéenne au Sénégal, à Dakar notamment. En tant qu’ambassadeur, comment s’arrange-t-on pour gérer une masse aussi critique de citoyens dans un pays étranger avec leurs problèmes spécifiques ?

Nous avons l’une des plus grandes communautés en Afrique ici. En dehors du Sénégal, il y a la Sierra Leone et la Côte d’Ivoire. C’est relativement simple. L’une de nos principales missions, au Sénégal, c’est de nous occuper des problèmes sociaux de la communauté guinéenne vivant au Sénégal. Soit dit en passant, on ne néglige personne. C’est l’impartialité totale pour toute l’ambassade qui est érigée en ligne de conduite. Tous les Guinéens confondus doivent être traités de la même façon, car nous n’avons qu’une seule chose en commun qu’est la Guinée (Elle se répète). Donc, quand on en parle, on parle du peuple de Guinée. Je ne raisonne pas en termes de Peul ou Malinké. C’est le Guinéen qui m’intéresse.

Vous avez une idée du nombre de Guinéens présents au Sénégal ?

Ils sont près de... Alors il faut savoir que c’est un chiffre estimatif, je ne pense pas que ce soit exact, mais ils sont près de 2 millions. J’ai demandé qu’on me dresse des statistiques qui soient à jour, car les gens refusent de se faire recenser à l’ambassade. En fait, c’est ça le problème. Ceux qui sont vers Thiaroye et dans les provinces sont des personnes sans moyens financiers conséquents. Ils ne peuvent pas se déplacer pour le recensement. Je mets en place une équipe qui va faire le tour de ces provinces pour que les gens puissent être en possession de leur carte consulaire. Ça va être aux frais de l’ambassade, mais il faudra faire avec.  Ce sont nos compatriotes guinéens, il faudrait bien qu’ils soient identifiés comme guinéens.

En général, à quels genres de problèmes sont-ils le plus souvent confrontés au Sénégal ?

Ma première visite ici, j’ai préféré la réserver aux prisonniers guinéens qui sont en porte-à-faux avec la loi sénégalaise. J’ai eu la chance d’avoir l’autorisation du ministère sénégalais de l’Intérieur, pour un mois, de pouvoir visiter trois prisons, dont celle de Rebeuss. J’ai été désagréablement surprise de retrouver plus de 200 Guinéens en délicatesse avec la justice, sans même la présence d’un avocat. Aucun d’eux n’en avait. Il y en a qui y croupissent depuis trois, quatre, voire sept ans sans avoir rencontré un seul juge d’instruction. Cela m’a choquée (elle se répète). Le fait d’avoir retrouvé des jeunes femmes qui sont condamnées, mais pour des faits pour lesquels l’ambassade ne peut rien faire. Quand on en vient à la criminalité ou à des tueries, on n’y peut rien. On a fait le tour de trois prisons, mais elles étaient pleines de Guinéens. C’est une situation qui, aujourd’hui, me pose problème, car je suis là pour eux et cela m’affecte tout naturellement. J’aurais souhaité trouver tout le monde en train de travailler au Sénégal... en tout cas ne pas les trouver sur ce mauvais sentier.

Quel est l’état des relations bilatérales entre le Sénégal et la République de Guinée ?

Elles sont au beau fixe. Ne serait-ce que la venue du président Pr. Alpha Condé à l’investiture du président Macky Sall, ça en dit long. Le professeur Alpha Condé a beaucoup d’amis au Sénégal. Tout récemment, je l’ai représenté au décès de Dansokho Amath et le weekend dernier, j’étais à un symposium organisé en son honneur sur instruction de mon président. Et tant d’autres Sénégalais comme le président de votre Assemblée nationale, Moustapha Niasse. Ce sont des relations anciennes et donc très bonnes.

Après l’épisode Ebola, on avait senti que les relations s’étaient refroidies entre Macky Sall et Alpha Condé. Est-ce qu’on a vraiment dépassé ce cap difficile entre Dakar et Conakry ?  

Je puis vous assurer que les relations se sont vraiment raffermies. Cette crise diplomatique est conjuguée au passé. On a oublié ça (rires).

Les flux commerciaux en ont pâti également. Est-ce qu’on peut avoir une idée des chiffres du commerce sénégalo-guinéen ?

Sur le plan commercial, en 2012, il y a eu une commission mixte entre la Guinée et le Sénégal. Il est vrai que c’est le Sénégal qui l’a reçue la dernière fois et que c’est la partie guinéenne qui devait recevoir en retour. Mais avec l’histoire d’Ebola ça a trainé depuis. Je suis en train de me battre pour réactiver le dossier. De même, je n’ai pas hésité à l’exposer au président Macky Sall lors de la présentation de mes Lettres de créances tout en sachant que la balle est dans le camp de mon gouvernement.

Vous êtes membre des forces de défense et de sécurité guinéenne et vous vous êtes ‘’reconvertie’’ comme diplomate. Ce n’est pas trop compliqué ?

Reconvertie serait trop dire. D’abord, je reste policière parce que quand on atteint le grade de général de brigade dans une institution comme la police, on reste policier. Je crois qu’entre le travail de policier et de diplomatie, il n’y a qu’un seul pas. C’est presque le même travail de négociations avec tact. Je ne me sens pas tellement comme une étrangère dans la sphère diplomatique.

Vos deux prédécesseurs, Mamadou Beau Keita et Madifing Diané, étaient également issus des forces de défense et de sécurité guinéennes. Pourquoi cette tradition de policiers ambassadeurs accrédités à Dakar ?

Il y a des nominations qui sont du pouvoir discrétionnaire du chef de l’Etat. M’étendre à expliquer ce fait serait me coincer, me mettre une colle. On ne peut pas vraiment dire pourquoi il y a une décennie de policiers qui se sont succédé à Dakar. Il a ses raisons.

Beaucoup de Guinéens qui sont à Dakar se plaignent beaucoup des lenteurs dans l’établissement ou le renouvellement de leurs pièces administratives. Quelles sont les mesures que vous comptez prendre pour ?

Comme vous le savez, je viens d’être nommée. Ce qui est bien est que j’ai fait la police de l’air et des frontières avant d’être accréditée à Dakar. J’étais directrice centrale de cette police. Donc, dans la procédure de documentation, je m’y connais un tant soit peu. J’avoue que quand je suis venue, il y avait beaucoup de laisser-aller. Je suis en train de remettre les choses à l’endroit, mais ce n’est pas facile. Ils sont nombreux à venir nous solliciter tous les matins et la nouvelle technologie qu’on a installée ne marche pas souvent bien. Mais les usagers ne comprennent pas ça. Ils ont besoin de quelque chose, ils l’exigent maintenant. Sinon, les conditions sont réunies pour faciliter l’obtention des documents requis. 

PAR OUSMANE LAYE DIOP

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