Publié le 30 Jan 2017 - 10:12
ANALYSE

Benoît Hamon, le petit frondeur devenu grand 

 

On imaginait qu’il allait faire un simple tour de piste. Mais dès décembre, après le renoncement de Hollande et un passage télé réussi, sa campagne décolle : les débats tournent autour de ses idées. Il devient favori.

 

Jeudi 5 janvier, Benoît Hamon est face à la rédaction de Libé. L’entretien se termine. Le candidat est posé à la cafétéria. Un petit café. Il joue à la politique-fiction. Il se projette au soir du second tour quand le gagnant appelle le perdant : «Je compte sur toi, Manuel, hein ?» Depuis, les jours ont passé. Et la scène est devenue réelle. Benoît Hamon, 49 ans, a raflé la primaire. Aujourd’hui, sa victoire paraît logique. Sauf qu’elle n’était pas au programme. Personne ne l’avait prévue, ni lui ni ses adversaires. Le député des Yvelines est passé, en quelques semaines, de «petit» candidat à «grand» favori. Du vide à des meetings bondés à travers le pays. Une aventure folle. Le mec formé au cœur du PS a réussi à imposer ses idées tout au long des débats. Et, surtout, à se poser en homme neuf. Son équipe se frotte les yeux : «On part à l’arrache et on termine loin devant. Ce qui nous arrive est dingue.»

L’épopée débute au printemps. Benoît Hamon réunit ses proches, une cinquantaine d’élus, dans un gymnase au sud de Paris. Des têtes connues, comme les députés Pascal Cherki ou Régis Juanico. D’autres moins. La parole tourne et les reproches tombent. Le quinquennat de l’ex-ministre passe mal. Notamment son deal de l’automne 2013 qui a propulsé Manuel Valls à Matignon six mois plus tard. Ali Rabeh, intime du député, se souvient : «Tout le monde a dit ce qu’il avait à dire. Sans violence, mais il fallait que ça sorte. Ça a permis de dissiper les doutes.» Une décision est prise : si primaire il y a, Benoît Hamon en sera. Le 17 juin, le premier secrétaire du PS, Jean-Christophe Cambadélis, dit «oui» à la primaire. Dans la foulée, les frondeurs se retrouvent (presque) au complet dans le XIVe arrondissement de la capitale. Il ne manque que Montebourg. Les présents cherchent un moyen de se rassembler autour d’une seule candidature. En vain. La députée Barbara Romagnan, elle-même frondeuse, est «fâchée» : «Je trouvais notre division irresponsable.»

«Espace à prendre»

Le 11 juillet, Hamon retrouve son petit cercle. Juanico, Balas, Cherki et consorts s’installent dans l’arrière-salle de l’Européen, une brasserie près de la gare de Lyon. La discussion ne traîne pas. Ils veulent se lancer rapidement afin de devancer Montebourg et de combler le déficit de notoriété. Une date est bloquée pour l’annonce de candidature : ça sera le 21 juillet. Sauf que l’horreur se produit trois jours plus tard à Nice. La déclaration est repoussée. Prenant de vitesse son principal concurrent sur la gauche, le député des Yvelines devient officiellement candidat le 16 août. Ali Rabeh est soulagé : «Benoît a toujours eu un problème de légitimité. Il n’a jamais voulu faire le pas avant les autres. Cette fois, il l’a fait.» Nadjet Boubekeur, chargée de communication chez Audrey Azoulay, quitte le ministère de la Culture. Et rejoint la petite équipe. «On ne pensait pas à la victoire. Notre objectif était double : imposer nos idées et se faire plaisir», dit-elle cinq mois plus tard. Le seul qui y croit un peu, c’est le directeur de campagne, Mathieu Hanotin : «J’ai tout de suite vu qu’il y avait un espace à prendre, il était mince mais réel.» Cinq jours plus tard, Montebourg annonce, comme prévu, sa candidature à Frangy-en-Bresse.

La campagne est lancée et le plus dur commence. Aucune tête d’affiche près de Benoît Hamon. «On se retrouve à faire des réunions publiques avec une quarantaine de déprimés», souffle Rabeh. La presse regarde ailleurs. Nadjet Boubekeur enchaîne les textos aux journalistes avant chaque déplacement. Peu ou pas de réponse. Dans son QG, au 11e étage de la tour Montparnasse, lors des conférences de presse, son équipe s’installe près des journalistes pour faire le nombre. Du côté des proches de Montebourg, on ne prend pas la peine de s’inquiéter. Du genre «Benoît fait un tour de piste et il revient à la maison». La bande à Hamon n’a pas d’autre choix que de tenir. Le porte-parole et ami, Régis Juanico, revient sur ce moment : «Je vois très vite que le discours de Montebourg n’avait pas d’énergie. C’était le même qu’en 2011 : il manquait de souffle.» Le député des Yvelines, lui, a une cible : il s’adresse aux jeunes actifs afin de dépasser le cadre du PS. Un espace se dégage. «Comme disait si bien Mitterrand, un socialiste ne peut pas gagner une élection sans la jeunesse», lâche Hanotin. Dans son programme, des mesures phares, le revenu universel, le numérique, l’écologie trouvent un début d’écho. Juanico confirme : «Benoît n’est pas dans le passé et la critique du gouvernement. Il a proposé un chemin, le récit de la France de demain.»

Le déclic arrive le 1er décembre : Benoît Hamon est à Toulouse pour une réunion avec des étudiants de Sciences-Po. C’est la première fois qu’il remplit une salle : ils sont pas loin de 500. Au même moment, le président de la République annonce son forfait à la présidentielle et change la donne : le match annoncé entre Montebourg et Hollande tombe à l’eau. Le 8 décembre sur France 2, Benoît Hamon est l’invité de l’Emission politique. Le candidat déroule son programme. Pas de grande envolée. De la pédagogie. Le lendemain, son site internet explose. Son téléphone portable aussi. Nadjet Boubekeur : «Toute l’équipe a été bluffée par sa prestation.» Barbara Romagnan : «Ce soir-là, devant plus d’un million de personnes, il a réussi à donner envie aux gens de le suivre.» La semaine d’après, ça se répercute. Lors de son premier meeting parisien, le gymnase Japy déborde. L’alignement des planètes en trois semaines. Ses adversaires s’inquiètent du décollage. Le second tour ne fait plus partie des songes.

«Pas le coup d’un soir»

Benoît Hamon est tout de même surpris de la vitesse de l’emballement. Juanico l’admet : «On espérait prendre de la place en janvier. Décembre, c’était un peu trop tôt pour nous. Car, après ça, on devait tenir sur la distance. Mais la bonne chose, c’est qu’on s’est invités chez les Français durant les fêtes de Noël.» Restent les trois débats télé. Le candidat est sous pression. Contrairement à Montebourg et à Valls, il ne connaît pas cet exercice. Il part trois jours sur ses terres, en Bretagne. Les fêtes en famille et des centaines de fiches. Il révise. Le député revient début janvier à Paris. Il est (déjà) fatigué, un peu malade et le stress monte. Le premier débat arrive : ça passe. Le lendemain, on embarque dans le train avec lui pour un meeting à Marseille. Posé dans le wagon-bar, il guette son téléphone. Les retours sont tous positifs. Sauf celui de sa mère. Elle lui demande de «mieux se tenir» derrière le pupitre. Il prend ça pour un compliment.

Les ambitions changent. Désormais, le candidat vise la victoire finale. Il nous prévient : «Je ne suis pas le coup d’un soir.» Benoît Hamon sort plus fort après trois débats. Il remplit des salles pleines de jeunes. Le pari est gagné. Le challenger arrive en tête au premier tour et enfile le costume de grand favori. Entre les deux tours, il reçoit le soutien de Montebourg, d’Aubry. Les proches de son adversaire, Manuel Valls, mettent des coups sous la ceinture. Mais rien n’y fait. Benoît Hamon passe sans encombre le débat face à l’ancien Premier ministre. Son équipe ne s’est même pas inquiétée. Dans les esprits, le match est déjà gagné. Dès vendredi, les proches du candidat organisent «l’après» en coulisse.

Au sein de l’équipe de Hamon, lorsqu’on fait le bilan, un détail revient : son évolution. Son conseiller, Franck Chaumont, dit : «Je connais très bien Benoît. Et ces derniers mois, il m’a étonné. Son niveau a grimpé chaque jour un peu plus.» Reste à savoir jusqu’où. La nouvelle aventure qui débute s’annonce encore plus exigeante.

Rachid Laïreche , Liberation.fr

 

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