Publié le 26 Oct 2018 - 10:46
ANCIEN ÉMIGRÉ DEVENU EXPLOITANT AGRICOLE

Amadou Diaby, un bouclier contre l’immigration

 

En plus de rentrer au bercail, Amadou Diaby, un ancien émigré, veut empêcher la jeunesse de partir à l’étranger. Et pour cela, il mise sur l’agriculture, pour éviter que la force de travail du continent noir ne soit au service de l’Occident.

 

Lorsqu’Amadou Diaby a vu les émigrés sortir les matelas pour dormir les uns contre les autres, il ne s’est pas empêché de tressaillir. Ce voyage effectué, il y a quelques années, en France, lui a ouvert les yeux sur les conditions de vie parfois inhumaines des expatriés. Et puisqu’une bonne partie de ces Sénégalais vivant à l’extérieur travaillent dans des exploitations agricoles, il a estimé que l’agriculture est une solution pour ralentir l’immigration. C’est ainsi qu’il a décidé de cultiver son lopin de terre à Vélingara, dans son fief natal. La petite parcelle lancée en 2014 s’est agrandie d’année en année pour atteindre 500 ha en 2018.

Au-delà des conditions de vie constatées en France, en Italie et en Espagne, l’homme s’appuie également sur sa propre expérience. Il a été lui-même émigré pendant des années, aux Etats-Unis particulièrement, et sait donc que, contrairement à ce que pense la jeunesse africaine, la vie est tout sauf rose en Occident. Surtout que cette force de travail du continent noir bénéficie plus aux pays riches. ‘’Quatre-vingt-dix pour cent des revenus des émigrés restent à l’étranger. Nous  devons donc faire en sorte  que les 100 % nous reviennent’’, préconise Diaby. Pour cela, une seule voie : fixer les jeunes dans leur terroir en leur offrant des solutions locales. Aujourd’hui, Agrisen International, la Sarl de Diaby, emploie 35 permanents et 50 temporels. La majorité du travail se fait par la main-d’œuvre, du semi à la récolte, pour éviter les conséquences de la mécanisation à outrance sur l’emploi. L’ancien émigré mise sur la multiplication des variétés. Du maïs et de l’arachide, il a élargi ses spéculations au riz, un produit qui lui tient à cœur. ‘’L’autosuffisance en riz ne se limite pas uniquement dans le Nord. Vélingara peut aussi apporter une réponse’’, lance Boubacar Diallo, son homme de confiance, chargé du suivi-évaluation. Cette année, 135 ha de riz sont exploités contre 165 ha de maïs, 200 ha d’arachide et 5 ha de niébé. L’échec connu en 2017 sur le coton l’a contraint à observer une pause sur cette spéculation.

En fait, jusqu’ici, Amadou Diaby n’a connu que des succès dans l’agriculture. Ses chiffres indiquent pourquoi les agriculteurs sont parmi les plus riches dans les pays occidentaux. En 2014, il a investi 3 millions. Après la récolte, il s’est retrouvé avec un chiffre d’affaires de 6,5 millions, soit un bénéfice de plus de 100 %. En 2015, les 7 millions investis ont rapporté 11,75 millions. Il en est de même en 2016 où les dépenses évaluées à 15 millions ont généré un revenu de 21,887 millions après récolte. Ce n’est qu’en 2017 que les rendements ont été moins bons, du fait de l’impact du coton sur le décompte final. Ainsi, avec 27 millions investis, il n’a eu que 28 millions, soit 1 million de plus. En 2018, il a mis 32 millions. Les récoltes sont prévues en fin novembre-début décembre. Et les estimations sont plus que prometteuses. Amadou Diaby espère récolter 70 à 100 millions de francs Cfa. ‘’La terre ne ment pas. Avec une certaine maîtrise, elle rend beaucoup plus que ce qu’on lui donne’’, dixit-il. Cette  réussite fait que la structure est passée, en 5 ans, d’un établissement à un Gie, puis à une Sarl. Les 5 % du chiffre d’affaires sont alloués, en nature, aux communes qui donnent leurs terres.  Médicaments, fournitures scolaires, jeux de maillots…

2 227 producteurs pour 2 500 ha

Pourtant, les paysans font partie des couches les plus pauvres au Sénégal. Comment a-t-il pu alors tirer autant de profits dans ce secteur délaissé de plus en plus par des jeunes qui partent à l’étranger ou dans les centres urbains à la recherche de petits boulots pour nourrir la famille ? Le secret de Diaby réside dans la maitrise. Comme tout paysan, lui aussi a démarré par de faibles rendements, à ses débuts. Ayant vu ce qui se passe aux Etats-Unis, il a décidé de miser sur des pratiques éprouvées au lieu d’y aller à l’aveuglette. Il a décidé de miser sur la formation de son personnel. Il sollicite alors l’Administration pour un renforcement  de capacités. Mais Diaby a voulu à avoir un plus. C’est ainsi qu’il s’est attaché les services de la Sodagri. ‘’Chaque année, elle nous envoie deux techniciens’’, révèle-t-il. Pendant trois mois, ces deux agents accompagnent le personnel dans les exploitations. 

Outre ses exploitations personnelles, cet homme au teint noir est aussi dans l’accompagnement des jeunes. Il dit avoir formé 2 227 producteurs qui exploitent 2 500 ha. Il leur offre l’appui technique nécessaire pour le développement de l’activité. Au début, dit-il, il y avait de la résistance, mais maintenant, les gens ont vu eux-mêmes ce qu’ils peuvent  gagner. D’où la demande formulée par plusieurs localités de faire partie de l’aventure. Seulement, il se pose un problème de financement. Jusqu’ici, Diaby travaille sur fonds propres, du fait de ‘’l’inaccessibilité’’ des crédits bancaires. ‘’Les nombreuses démarches n’ont rien donné.

‘’Les banques demandent un bulletin de salaire. Un paysan ne peut pas avoir un bulletin de salaire. Sinon, il faut une garantie. Je ne l’ai pas. Tout ce que je peux faire, c’est de leur montrer mes exploitations et ma maison’’, regrette-t-il. Cet homme voudrait aussi l’appui de l’Etat pour le matériel agricole. Pour le moment, il loue des machines pour certaines activités, parce que sa philosophie ne lui permet pas certaines options. ‘’Certes, j’ai de quoi acheter un tracteur, mais si je mets 30 millions pour une machine, je bloque 200 jeunes’’, déclare-t-il.

BABACAR WILLANE

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