Publié le 15 Oct 2015 - 20:53
APOLOGIE DU TERRORISME, INCITATION A L’INTOLERANCE RELIGIEUSE

La face sombre de l’imam Ibrahima Sèye

 

Imam ratib « présumé djihadiste », poursuivi pour apologie du terrorisme, incitation à la désobéissance militaire et à l’intolérance religieuse, le professeur Ibrahima Sèye est dans la tourmente depuis quelques jours. Placé sous mandat de dépôt le lundi 12 octobre dernier, il faisait l’objet d’une étroite surveillance policière depuis des mois. Au sein de la population, l’idée qui prédomine est que l’imam est un « élément nuisible à la société ».

Reportage

« Ibrahima Sèye est un imam ratib trop radical. Ses sermons virulents incitent à la haine. Si vous n’avez pas la même idéologie que lui, il vous traite de mécréant. Ce qu’il incarne est contraire à l’islam. Sa mauvaise vision lui a valu la prison. » Voilà, ce que pense l’écrasante majorité des fidèles musulmans qui ont côtoyé le professeur d’Histoire et Géographie. Depuis l’arrestation de l’imam ratib, les langues se délient de plus en plus. Notamment au Lycée Alpha Molo Baldé de Kolda, l’établissement dans lequel il sert. Bocar Thiam, professeur d’Anglais dans ledit Lycée, confie qu’Ibrahima Sèye a toujours eu des accrochages avec des professeurs, des élèves et des imams comme lui. « Il a eu des problèmes au sein même de la cellule pédagogique d’Histoire et de Géographie.

La cellule était dirigée par une femme. Ibrahima a dit, à qui voulait l’entendre, qu’il ne serait jamais dirigé par celle-ci. Ce qui prouve qu’il ne respecte pas la hiérarchie, ni les règlements de l’établissement ». Un membre de l’administration du Lycée Alpha Molo Baldé souligne que « Ibrahima Sèye est dangereux et nuisible à la société. Il n’est pas un bon élément qui mérite de rester au Lycée, du fait qu’il est un poison pour ses élèves. Car il inculque ses idéologies de djihadiste aux élèves. Nous lui avons demandé d’arrêter. Il ne veut pas. Tout le temps, c’est des problèmes avec ses collègues ». Même son de cloche chez Ousseynou Sène, un professeur rencontré au CEM II de Kolda. «Nous sommes dans un pays laïc. Mais, Ibrahima Sèye, ce qu’il incarne n’est pas conforme à l’islam. Si vous n’avez pas la même idéologie que lui, il vous traite de mécréant », confie-t-il. 

‘’Sermons virulents et incitatifs à la haine’’

Né le 27 mai 1978 à Dakar, Ibrahima Sèye est marié à deux femmes et est père de huit (8) enfants. Le natif de Ouakam a passé, le lundi 12 octobre dernier, sa première nuit à la prison de Kolda. A l’âge de 26 ans, il est devenu professeur d’Histoire et de Géographie. En octobre 2004, Ibrahima Sèye a été affecté au Lycée Alpha Molo Baldé de Kolda. En 2009, il a été nommé Imam Ratib par le comité des « Ibadous » de la ville. Depuis lors, il n’a cessé de se distinguer par ses prêches virulents à caractère, selon certains, « djihadistes ». De fil en aiguille, de nombreux fidèles ont arrêté de prier dans la mosquée qu’il dirige.

A ce propos, Boubacar Baldé, un surveillant d’un établissement de la place fait une révélation qui renseigne sur le degré d’intégrisme de l’imam. « Quand on intègre Ibrahima Sèye, on est coupé de la société. Beaucoup de personnes l’ont fui à cause de ses sermons virulents, incitatifs à la haine. Un jour, lui et moi, on a failli en venir aux mains, n’eût été la présence de certaines personnes ». Un proche de l’imam ratib Mactar Diallo qui dirige la prière à la mosquée du Lycée de confier : « Dans la même mosquée, on se retrouve avec deux imams qui dirigent la prière de manière différente. Tout ça, c’est l’œuvre d’Ibrahima Sèye. Il disait qu’il n’allait pas prier derrière Mactar Diallo. Parce que ce dernier et ses collaborateurs sont tous des mécréants. Son arrestation ne nous a pas surpris. »

Du côté des élèves, les avis sont partagés. D’aucuns estiment qu’Ibrahima Sèye est un bon professeur, grâce à son idéologie. Tandis que d’autres, par contre, estiment qu’il « ne mérite pas d’être un modèle pour les élèves. Car, tout ce qu’il incarne est contraire à l’islam », a regretté Moussa Diop, élève en classe de Seconde.

Le comité de la mosquée soutient son imam

Toutefois, malgré la réprobation quasi-générale, l’imam Sèye peut compter sur les membres du comité de la mosquée qu’il dirige. Ils ont transmis au Journal EnQuête un texte qui souligne que « Ibrahima Sèye a toujours respecté strictement la hiérarchie, la déontologie et la législation, contrairement à ses détracteurs qui veulent coûte que coûte ternir l’image de leur imam ratib ». Le texte poursuit : « Le constat est unanime sur la personne de Ibrahima Sèye, pour reconnaître son assiduité aux cours et son respect des horaires. De surcroît, il est un modèle au plan professionnel et social, donc il n’est point un danger pour les élèves. » Le comité lance un appel solennel à l’apaisement des cœurs et des esprits. « Car, dit-il, il n’acceptera jamais qu’un des leurs se comporte en marge des lois et règlements de la République du Sénégal à laquelle ils appartiennent tous et respectent les symboles. »

L’enregistrement date du 3 avril 2015

Les propos qui lui valent d’être arrêtés ont été tenus, il y a quelques mois, plus précisément le 3 avril 2015, au cours d’un prêche du vendredi. Dans l’enregistrement audio dont EnQuête détient une copie, il s’attaque, comme on l’a déjà écrit, au président de la République qu’il a traité de mécréant profanateur. Les confréries religieuses du pays sont aussi ses cibles. Le professeur estime qu’elles sont en déphasage avec les préceptes et les valeurs de l’islam. Il s’attaque aussi au drapeau national qui, selon lui, n’est pas conforme aux valeurs de l’islam.

A l’en croire, l’une des couleurs de ce symbole national fait que l’hivernage s’est installé tardivement. A propos de l’envoi de troupes militaires sénégalais au Mali, au Darfour et éventuellement au Yémen, il dit : « Si ces militaires meurent au cours du combat, ils vont tous aller en enfer. Parce qu’ils combattent leurs frères musulmans. S’il y avait à choisir entre Bush et Ben Laden, j’aurais choisi Ben Laden. ‘’Billahi Wal Kitabi’’. Je suis écœuré quand je vois des musulmans qui s’accompagnent avec des chrétiens, des mécréants ou des animistes. Dans cette mosquée, nous n’avons pas besoin de ces gens-là. »

L’imam était sous surveillance, depuis des mois

Ce sermon incendiaire, enregistré par un fidèle qui ne partage pas ses idées, a été remis aux autorités policières qui, dès lors, avaient décidé de mettre l’imam ratib sous surveillance. Après des mois d’enquête, il a été interpellé le lundi 5 octobre dernier à Kolda Commune. Le vendredi 9 du même mois, il a été déféré au parquet. Actuellement, il attend son jugement à la prison de Kolda. Il ressort des éléments de l’enquête que le bonhomme passe son temps à voyager entre le Maroc et la Mauritanie. Adepte d’un islamisme radical, l’imam a finalement payé ses excès. Même si, selon des sources proches de l’enquête, il a émis des regrets et demandé pardon.

EMMANUEL BOUBA YANGA (KOLDA)

 

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