Publié le 10 Jun 2014 - 13:47
APRÈS L'OBTENTION DU DIPLÔME

Les portes de la galère

 

Le diplôme est censé être la clé du bonheur qui passe par le travail. Depuis quelques années, les étudiants des EPES voient leur diplôme ne leur ouvrir que les portes de la galère. Désillusion, amertume, chômage… une situation qui s’explique par un secteur tertiaire déjà trop saturé.

 

Dans un contexte où il est difficile de trouver du stage, il va sans dire que l’emploi est plus que jamais compromis. Malgré les conventions signées ça et là et proclamées partout, il existe en réalité une vraie cassure entre l’école et l’entreprise. ''Ce sont des vœux pieux qui ne permettent pas d’aller loin. Le cordon ombilical est rompu. Le dialogue n’est pas de mise'', soutient un cadre du marché de l’emploi.

Deux interlocuteurs du secteur bancaire affirment par exemple que les spécificités de la banque ne sont pas prises en compte dans la formation. L’un d’eux n’hésite pas à affirmer tout net : ''si j’ai besoin d’un caissier, je ne  le cherche pas à l’ISM ou à l’IAM. Je regarde d’abord dans le secteur''. A en croire nos interlocuteurs, les banques ne cherchent plus de jeunes diplômés. ''Elles procèdent plus au débauchage''.

Dès lors, il n’est plus surprenant que des diplômés chôment. De plus en plus d'hommes et de femmes prêts pour le monde professionnel restent sans emploi. Et c'est  une fois à la porte du marché de l’emploi que les étudiants découvrent la triste réalité : Ils étaient dans un monde d’illusions.

Une étudiante de l’IAM est restée sans le moindre emploi depuis trois ans. Et pourtant, son père s'est sacrifié pour payer   sa formation. Aujourd’hui, elle ne peut pas s’empêcher de rire de dépit quand elle se souvient de certains propos. ''Au début, tu es plein de rêve. Je me rappelle, on nous disait : si on vous propose un salaire de 300 000 FCFA, il faut refuser, parce que on vous forme en tant que cadre.

Je vivais dans l’utopie. Aujourd’hui, je n’arrive même pas à avoir un boulot à 50 000 FCFA', soupire-t-elle. Une affirmation qui correspond parfaitement avec le profil de sortie dressé par Kaly Camara, directeur des études de l’établissement. ''Nous formons des chefs d’entreprise, des cadres, des managers'', se glorifie-t-il. S’étant déjà heurtée au mur de l’emploi après plusieurs stages, l’étudiante conclut : ''si je n’ai pas d’entreprise, mon enfant n’ira pas dans ces écoles de formation''.

Paul Gningue et ses camarades ont connu le même sort qu'elle. Ils sont de la promotion 2010 de l’école des douanes, un établissement privé. Leur famille ainsi qu’eux étaient convaincus qu’avec la réputation de l’école, ils trouveraient facilement du travail. ''Nos parents nous demandaient si c’est l’école même qui allait nous trouver de l’emploi'', se rappelle-t-il encore. Mais la désillusion fut grande. Las d’attendre un boulot qui ne se signale pas, ils ont fini par créer un cabinet de consultance.

A l’écouter, on sent, malgré la retenue, qu’il est amer contre son école. ''Il y a certaines choses que je ne veut pas dire. Mais les étudiants doivent avoir certaines informations avant de choisir. Il y a plein de choses qu’on ne leur dit pas''.

Flou sur le taux d'insertion

Quant aux responsables des établissements, ils n’ont aucune maîtrise sur leur efficacité externe. Si jamais vous leur demandez le taux d’insertion de leurs diplômés, ils vous donneront des chiffres très peu crédibles, gonflés à l’évidence.  Peu d’entre eux avait pensé à l’insertion.

Le Pr Papa Guèye soutient : ''La majorité des établissements publics comme privés ne sont pas outillés pour donner le taux d’insertion de leurs diplômés. Ils n’ont pas d’indicateurs sur leur efficacité externe. Il y a des privés qui le mettent sur des papiers publicitaires, mais je n’ai pas vu d’études''. Les premières initiatives sont inspirées par l’Autorité nationale d'assurance qualité de l'enseignement supérieur (ANAQ-SUP), parce que cela fait partie désormais des critères d’évaluation. 

Par ailleurs, au-lieu de faire leur mea culpa et de redresser la barre, les responsables préfèrent accuser les étudiants, qu'ils qualifient soit pas assez entreprenants, soit de prétentieux. A l’IAM, le directeur des études M. Camara incrimine : ''Les étudiants qui échouent n’ont pas d’ambition. Après le Bac, ils ne savent pas ce qu’ils veulent. Nous ne pouvons pas les transformer''. Son collègue de l’IMC affirme que la quasi-totalité de la dernière promotion a trouvé refuge sur le marché. ''ceux qui n’ont pas de travail, c’est parce qu’ils font la fine bouche. Ils ne prennent pas les boulots qui s’offrent à eux'', déclare-t-il

Saturation du tertiaire

Si le taux de chômage est devenu aussi élevé, c’est que quelque part, les écoles forment pour un secteur déjà saturé.  ''Il est vrai que le tissu économique sénégalais ne peut pas absorber tous ces diplômés'', avoue le directeur Accréditation et relations institutionnelles de Bordeaux Management School (BEM), El Hadji Malick Faye. Il y a néanmoins quelqu’un comme le directeur de l’IMC qui ne croit pas à la saturation, ni même à un nombre pléthorique d’écoles de commerce. ''Le monde d’aujourd’hui est un monde ouvert. L’essentiel est d’avoir d’abord la formation. Moi j’ai fait la science politique. Rien ne me disait que je serais là aujourd’hui'', argumente Mamadou Gaye.

Dans tous les cas, le constat est unanime. Presque toutes les écoles proposent les mêmes filières, celles du tertiaire. Ce n’est pas pour rien que les gens de l’ISM disent que l’IAM, c’est en fait ISM modifié d’une lettre. Si cette affirmation est valable pour le nom, elle l’est aussi pour les options. Banque, assurance, marketing, communication, ressources humaines, audit… ''Sur les 70 EPES recensés, avance M. Niasse, 59 établissements, soit 84,30%, proposent des formations en commerce, particulièrement en commerce international, en management, en marketing ou en comptabilité. L’informatique que proposent 38 EPES sur les 70, soit 54,29% des  établissements,  vient  en  deuxième  position''.

Cette similitude se fait ressentir jusque dans le choix des sigles. A quelle logique obéissent certains choix ? En guise d’exemple, il y a des cas frappants comme ESTM (École Supérieure de Technologie  et  de  Management)  et  ESMT  (École  Supérieure  Multinationale  de Télécommunications), ESAG  (École  Supérieure d’Administration et de Gestion) et CESAG (Centre Africain d’Études Supérieures en Gestion), Institut de Commerce et de Management (ICM) et Institut de Management et de Commerce (IMC), ISEG et ESSEG, HEC et HEG. Des noms qui ne permettent pas aux élèves et parents de se retrouver facilement.

Toutefois, les EPES ne sont pas les seuls responsables des offres de formation. Il y a aussi un certains nombre de facteurs qui échappent à leur contrôle. Le premier est que l’économie sénégalaise est elle-même essentiellement tertiaire. Le deuxième est le profil des bacheliers. Au Sénégal, 70 à 80% des bacheliers sont des littéraires. Ils ne sont donc pas préparés pour les filières scientifiques. 

D’où le redressement de la barre prôné par les autorités actuels, surtout le duo de scientifiques composé du Président Macky Sall et de son ministre de l’Enseignement supérieur, Mary Teuw Niane. ''Nous avons accrédité dix licences au mois de mars, les 80%, c’est des licences STEM, parce que le ministre, en saisissant l’ANAQ-SUP, a précisé qu’il souhaitait recevoir les bacheliers des licences à orientation STEM'', renseigne le Pr Guèye. 

 

 

 

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