Publié le 20 Sep 2016 - 16:13
APRES LA CONSIGNE DU KHALIFE DES MOURIDE

Cheikh Bethio ou la fin d’un mythe

 

Depuis l’affaire du double meurtre de Médinatou Salam en 2012, le guide des thiantacounes tente de revenir au-devant de la scène par tous les moyens. Mais le récent ‘‘ndigeul’’ du khalife des mouride devrait mettre fin à ses ambitions pour de bon.

 

Cheikh Béthio Thioune de Charybde en Scylla. Ou, plus prosaïquement, Cheikh Béthio Thioune de mal en pis. Depuis 2012, le guide moral du mouvement ‘‘thiantacoune’’ perd de sa superbe au rythme d’événements ou de déclarations qui sont à son désavantage. Juste après la perte du pouvoir des libéraux qu’il avait promis de réélire grâce à sa force militante de millions de ‘‘thianta’’ sur les listes électorales, les choses se gâtent pour le Cheikh. Comme un pied de nez du destin, la dégringolade commence un certain mois d’avril qui est à la base de l’histoire particulière de sa rencontre avec le cinquième Khalife de Cheikh Ahmadou Bamba, Serigne Saliou Mbacké.

La légende du petit enfant courant derrière la charrette de ce dernier le 17 avril 1946 à Tassette est une date importante dans le calendrier Thianta. Mais elle a laissé place à un avril, le 22, plus lugubre dans sa localité natale de Médinatou Salam, en 2012. Une séance d’allégeance vire au massacre. Deux des disciples du Cheikh Bara Sow et  Ababacar Diagne, sont battus à mort et enterrés à moins d’un kilomètre de sa maison de Keur Samba Laobé, (Médinatou Salam, Mbour). Des indices accablants mouillent Cheikh Béthio Thioune et 20 de ses disciples. Ils sont arrêtés et mis sous mandat de dépôt pour meurtres aggravés, association de malfaiteurs, recel de malfaiteurs.

En février 2013, après quatre demandes de liberté provisoires rejetées, il est autorisé à se faire traiter médicalement en France et peine inexplicablement à rejoindre la case prison depuis. Le procureur près le tribunal régional de Thiès qui a instruit le dossier, Ibrahima Ndoye, ayant été muté en octobre 2015 à la Cour de répression de l’enrichissement illicite (Crei).

Ce massacre irrésolu a sérieusement entamé le crédit de cet inconditionnel de Serigne Saliou qui a toujours ouvertement revendiqué son inculture religieuse, coranique plus particulièrement. Cheikh Béthio essaie de replacer le mouvement thiantacoune sur l’échiquier socio-politique avec beaucoup de difficultés. Les fastes réunions hebdomadaires de ses disciples à Ndiouroul, Mermoz, réduites à leur portion congrue par les autorités, depuis les émeutes pour sa libération à Dakar en octobre 2012, rognent sa capacité d’influence.

Désormais, c’est par à-coups médiatiques que le guide des thiantacounes se rappelle au bon souvenir de l’opinion. Comme cette humiliation infligée à la chanteuse Ami Collé Dieng  à Janatu lors du Magal de Touba de 2014. ‘‘J’ai organisé une manifestation selon un programme bien défini. Une personne débarquée de je ne sais où, je ne savais pas ce qu’elle voulait déclarer, qui tente de prendre le micro, j’ai catégoriquement refusé. Nous sommes bien organisés. Ça ne se passe pas comme ça. Je ne la connais pas, c’était la première fois que je la voyais’’, s’est-il justifié devant l’ampleur des réactions d’indignation face à son geste.

Qu’à cela ne tienne ! Ce sortant de l’Ecole nationale de la magistrature en 1976, qui a contracté des rapports difficiles avec Touba depuis la disparition de Serigne Saliou, n’épargne  pas les marabouts qui lui jalouseraient son succès. Fin avril dernier, une vidéo circulant sur le net le met en exergue s’en prenant à Serigne Modou Bousso Dieng. Ce qui le remet dans l’œil du cyclone médiatique. Son fils Serigne Moustapha Saliou qui anticipe une crise, étouffe l’affaire aussitôt. ‘‘Mon père tient en haute estime tous les dignitaires de la voie mouride a fortiori les illustres fils et petits-fils de Serigne Touba. C’est la raison pour laquelle toute personne avertie ne saurait accorder du crédit à l’exploitation tendancieuse qui a été faite de cette vidéo’’, déclarait-il dans le journal le Populaire du 28 avril 2016.

Pour boucler le tout, ses déboires conjugaux avec son ex-épouse Aimé Maimouna Sao alimentent les unes de la presse et contribuent à consacrer définitivement cette image d’homme à femmes qui s’affranchit allègrement des préceptes religieux et règles civiles dès qu’il s’agit d’union matrimoniale.

Prise de contrôle

Ses prises de contrôle hostile n’ayant pas réussi, Cheikh Béthio Thioune abat sa dernière carte : une féminisation à outrance du titre de Cheikh qui a fini de profaner cette appellation honorifique. Elle a également eu l’heur d’agacer l’oligarchie mouride à Touba qui a réglé ces cas d’espèce, poliment mais fermement. Après ses rapports presque séditieux avec l’authentique hiérarchie Mbacké-Mbacké, le rappel à l’ordre du très sobre Serigne Sidy Mokhtar Mbacké est plus une porte de sortie honorable pour Cheikh Béthio.

Ce dernier avait besoin de cette perche pour se dépêtrer de situations embarrassantes qu’une santé chancelante et une influence moribonde ne lui permettent plus de tacler avec l'efficacité d'antan. Consigne reçue et acceptée 5 sur 5. Voix grave et ample boubou blanc pour une déclaration filmée, Cheikh Béthio désacralise ‘‘cheikhs’’ et ‘‘cheikhettes’’ et accepte de rentrer dans les rangs qu’il semblait avoir quitté depuis la disparition de Serigne Saliou. Suffisant pour que certains dignitaires de Touba parlent déjà de la fin d’un mythe.  Hasard du calendrier, c’est hier qu’on s’est remémoré pour la neuvième année, la disparition de  son vénéré et incontestable guide, dans le calendrier musulman.  

MAME TALLA DIAW

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