Publié le 18 Jan 2019 - 20:04
APRES LA SORTIE DE BOUGANE GUEYE DANY

L’opposition dans un boulevard de suspicion

 

Accusée, à tort ou à raison, d’être infiltrée par le régime sortant, l’opposition s’enlise dans une situation de suspicion qui met d’ores et déjà certains de ses leaders sur le qui-vive.

 

Les véritables alliés de Macky Sall sont-ils tapis dans l’opposition, comme l’affirme Bougane Guèye Dany ? Si la réponse coule de source dans certaines sphères de l’opposition sénégalaise, chez l’auteur de la contribution parue hier dans la presse, l’on pousse le bouchon plus loin. Selon le candidat recalé du mouvement Gueum sa bopp, certains leaders de l’opposition souhaitent au président Macky Sall un second mandat pour mieux se positionner en 2024, parce qu’il y aura inéluctablement une redistribution des cartes. Mieux ou pire, Bougane Dany Guèye soutient même qu’avec le parrainage, le président sortant a réussi à diviser l’opposition avec, d’un côté, les recalés et, de l’autre, ceux qui ont réussi à se faufiler entre les mailles des filets, ‘’parfois avec la complicité même des gouvernants’’.

Dans la même veine, le patron de Dmedia dénonce ‘’une démarche unitaire hypocrite de l’opposition’’. Car, aux dires de Bougane Guèye, ‘’les admis du parrainage, comme des vautours, attendent et courtisent les recalés, espérant grossir leurs rangs pour conforter leur score au soir du 24 février 2019’’. Mais, se demande-t-il, pourquoi ces recalés ayant réussi à bousculer Macky Sall dans ses fiefs devraient-ils rejoindre ‘’des opposants complices du système machiavélique de légitimation d’une victoire soporifique et illégitime ?’’.

De tels soupçons mettent d’ores et déjà beaucoup de partis d’opposition sur le qui-vive. En effet, les propos du leader du mouvement Guem sa bopp traduisent tout le sentiment de suspicion et de manque de confiance qui règne au sein même de l’opposition sénégalaise qui, à moins d’un mois du scrutin présidentiel, se cherche indéfiniment.

Entre manque de confiance entre ses différents leaders et absence de cohérence dans la démarche, l’opposition sénégalaise est donc  partie pour se fragmenter davantage, malgré le coup de massue reçue en pleine tête aux lendemains des opérations de vérification des parrainages à l’issue desquelles une vingtaine de candidats à la candidature a été recalée.

Cette situation d’incertitude, selon Bougane Guèye, n’est rien d’autre que l’œuvre du président de la République sortant, Macky Sall, candidat à sa propre succession, qui aurait des taupes jusque dans les instances de décision de l’opposition.

Babacar Thioye Ba : ‘’Les masques vont tomber…’’

Qu’en est-il exactement de ses accusations ? Selon Pape Saër Guèye, membre du Comité directeur du Pds, il n’y a pas l’ombre d’un doute que l’opposition est infiltrée par le régime du président Macky Sall. ‘’C’est une évidence que nous sommes infiltrés. Mais on ne doit pas jeter l’anathème sur une personne, parce que le moment ne s’y prête pas. Moi, personnellement, je sais qu’au moins, il y en un qui nous a infiltrés’’, charge-t-il. Sans pour autant tenter de laver son parti de tout soupçon de connivence avec l’adversaire. ‘’Le Pds est un parti qui a enduré une violence d’Etat. Quel intérêt a notre parti, qui a des chances de remporter la présidentielle de février 2019,  si notre candidat se présente, à faciliter la tâche à celui qui est le chef d’orchestre de tous ses malheurs ? S’il y a un parti qui a montré la preuve par 9 qu’il a toujours combattu tout ce que Macky Sall pose comme acte, c’est le Pds. Les gens voient partout des dealers. Mais qu’ils sachent que chaque formation politique qui a son candidat a le droit de chercher ses intérêts dans le sens de conduire sa vision pour l’intérêt du Sénégalais’’, déclare-t-il.

Plus mesuré, le plénipotentiaire de Khalifa Ababacar Sall, lui, estime que s’il y a un infiltré dans les rangs de l’opposition, il sera bientôt débusqué. ‘’Si certains pensent qu’il y en a parmi nous des gens qui ne sont pas prêts pour le combat, ça se saura. Le 24 février n’est plus loin, les masques vont tomber, si jamais il y a des gens qui en ont. Avant l’ouverture de la campagne, nous allons faire tomber les masques’’, fulmine Babacar Thioye Ba. Pour ensuite dédouaner les membres de la coalition qui soutient la candidature de l’ancien maire de Dakar. ‘’En tout cas, nous, personne ne peut nous soupçonner de rouler pour Macky Sall. Maintenant, pour le reste, j’accorde une présomption de confiance et d’engagement à tous les partis de l’opposition dans ce combat’’. Seulement, ajoute-t-il, ceux qui veulent mener le combat et qui veulent aller jusqu’au bout, seront identifiés au fur et à mesure qu’on avance dans le processus électoral.

Abondant dans le même sens, le mandataire de la coalition Alternative Fippu pense que les masques ne tarderont pas à tomber. ‘’Si on est infiltré, le moment viendra où on va découvrir qui était derrière cette forme de manigance et de mascarade qui consiste à venir rejoindre les rangs de l’opposition pour mieux aller négocier après’’, soutient Ibrahima Sylla.

Selon l’enseignant-chercheur en science politique à l’université Gaston Berger de Saint-Louis, ce qui est sûr, c’est que dans l’opposition, il y a beaucoup de gens qui ne sont mus que par leurs intérêts crypto-personnels. Il dit : ‘’On a parmi nous des gens qui n’ont aucune conviction. Tous les jours, on voit certains quitter l’opposition pour aller rejoindre le pouvoir. Cela pose fondamentalement un problème de crédibilité de la classe politique censée représenter les Sénégalais’’, estime-t-il. Soulignant ainsi que les vrais gens de l’opposition, ceux à qui on peut faire confiance, on les verra au lendemain des parrainages ou d’une alternance, rester dans l’opposition. ‘’Ce qui ne sera pas le cas de beaucoup de gens qui, d’ores et déjà, sont effectivement dans la contestation,  mais sont obnubilés par le pouvoir’’. Ibrahima Sylla de renchérir : ‘’Il y en a parmi nous des leaders à qui le changement n’intéresse pas. Ce qui les intéresse, c’est comment exister politiquement et, le moment venu, comment aller négocier leur posture’’, soutient-il.

Engagés dans la course à l’élection présidentielle du 24 février 2019, les différents leaders de l’opposition en lice n’ont pas les mêmes positions sur certains aspects du jeu démocratique. Mais ce qui est le plus étonnant, selon Ibrahima Sylla, c’est l’absence de cohérence dans les positions de certains membres. ‘’Je fais partie de ceux qui ont toujours dénoncé l’attitude de l’opposition et des parties prenantes des différentes instances qui sont regroupées autour de Fippu ou des autres coalitions. Ce qui donne l’impression que ces gens ne militent pas en faveur d’une volonté farouche de changement et que, quelque part, ils sont obnubilés plus par des échappées solitaires, des destins personnels, que par une volonté de battre Macky Sall’’, s’inquiète l’analyste doublé d’un politique. Pour lui, l’opposition aurait dû, depuis longtemps, se regrouper autour d’un certain nombre de pôles pour aller à la conquête des parrains. Un schéma qui aurait peut-être permis de ne pas avoir plus de 20 candidats à la candidature. ‘’Dans le cadre de Fippu, il y avait des initiatives qui avaient été prises, mais chacun est par la suite parti dans son coin pour essayer d’exister politiquement. A terme, on s’est rendu compte qu’on a eu des recalés qui n’avaient pas rempli toutes les conditions pour réunir le nombre de parrains exigés’’, relève-t-il.

Postures floues

Si certains des recalés sont accusés, à tort ou à raison, de négocier avec le régime sortant, c’est parce que, jusque-là, leurs postures restent floues. Mais la logique voudrait, selon Ibrahima Sylla, que tous ceux qui ont été recalés se retrouvent autour des gens qui ont passé le filtre du parrainage, même si, jusqu’ici, ils continuent de contester les procès-verbaux des 7 sages. ‘’On a un seul adversaire en face et il est identifié. Dans ces conditions, la logique voudrait que l’opposition, à un moment, se retrouve. Mais c’est là où on risque d’avoir des défections. Il y a parmi nous  des gens qui n’inspirent pas confiance et qui roulent pour Macky Sall. A partir du 20 janvier, une fois qu’on aura la liste définitive des candidats, on y verra beaucoup plus clair’’, souligne-t-il.

 De son côté, Pape Saër Guèye estime que jusque-là, il n’a jamais été question, pour son parti, de se ranger derrière qui que ce soit. A la question de savoir si le Pds est prêt à soutenir un autre candidat, si  Karim Wade est écarté de la course à la présidentielle du 24 février 2019, l’ancien ambassadeur itinérant sous le règne de Me Abdoulaye Wade répond sèchement : ‘’On a un candidat, c’est Karim Wade. On n’a pas de plan B, ni de plan C. On ne le dit pas contre un candidat ou contre l’opposition. On joue notre partition. Demain, que les gens ne viennent pas dire : non, ils auraient dû supporter tel candidat. On ne va pas aider Macky Sall à satisfaire sa commande. Nous n’allons pas montrer à l’opinion nationale et internationale qu’on est aussi faible pour nous agenouiller devant les désirs de Macky Sall. On ne le fera pas’’, fulmine-t-il.  

ASSANE MBAYE

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