Publié le 31 May 2018 - 20:37
APRES LE VOTE DE LA LOI

Ça fume partout au Sénégal

 

Le tabac est la première cause de mortalité dans le monde. Au Sénégal, avec l’adoption du décret n°2016-1008 du 26 juillet 2016 portant application de la loi n°2014-14 du 28 mars 2014, on avait pensé que les choses allaient se compliquer pour l’industrie du tabac au Sénégal et pour les fumeurs. Ce n’est pas tellement le cas, car les gens continuent de fumer dans les lieux publics. Même si les images sur les paquets de cigarettes ont fait mouche. A l’occasion de la journée mondiale de lutte contre le tabac, célébrée aujourd’hui, EnQuête fait un large focus sur la question. 

 

Au Sénégal, 6% (0,5 million) de la population consomment actuellement du tabac, avec 11% des hommes et 1,2% des femmes. C’est le résultat d’une enquête réalisée, en 2015, par l’agence nationale de la statistique et de la démographie sous la coordination du ministère de la Santé et de l’Action sociale. En effet, 0,7% de la population totale utilise actuellement du tabac sans fumée avec 0,3% des hommes et 1,0% des femmes. La dépense moyenne mensuelle au Sénégal en cigarettes par fumeur est de 6 716 F CFA. Le tabac constitue également la première cause de mortalité, dans le monde. Mais cela n’ébranle pas les fumeurs. Même avec le vote de la loi et la mise des images sur les paquets de cigarettes, ça fume partout au Sénégal.

Abdou Diaw est un commerçant au marché Tilène de Dakar. Cure-dents entre les lèvres, il fait partie de ceux qui considèrent que les images sur les paquets de cigarettes n’ont aucun impact sur les fumeurs. La meilleure manière de lutter contre cette substance, dit-il, est d’interdire la vente du tabac. ‘’Ce ne sont pas des images qui vont arrêter les fumeurs. D’ailleurs, bon nombre de fumeurs achètent au détail. Il faut quelque chose de plus touchant pour faire appliquer cette loi’’, conseille-t-il. Pour ce jeune non-fumeur,  la cigarette n’a jamais fait partie de sa vie. ‘’Je ne vends même pas de cigarette. Personne ne fume chez moi. Nous considérons le tabac comme une drogue au même point que l’alcool’’, précise Abdou Diaw.

 A côté de lui, Mody Sarr égrène son chapelet. Ce marchand ambulant a pris une petite pause, histoire de se reposer. Le ramadan est passé par là. Il partage l’avis de son ami. ‘’On ne sent même pas qu’il y a une loi antitabac au Sénégal. Les gens fument partout. Les habitudes n’ont pas changé. Vous pensez que de simples images vont dissuader les gens de consommer du tabac ? Non, c’est peine perdue’’, dit-il. A son avis, il revient aux forces de sécurité de réguler tout cela. Mais cela doit commencer d’abord par la fermeture des industries du tabac. ‘’On ne peut vouloir interdire la vente du tabac et de fumer en lieu public, en laissant les entreprises faire ce qu’elles veulent. Il faut arrêter tout le monde. Même si on met des images de cadavres sur les paquets, les gens vont continuer à acheter de la cigarette’’, précise Mody.

Au marché Tilène, on parle le même langage. Embouchant la même trompette, Djibril Sarr, un étudiant à l’université Cheikh Anta Diop, tente de se justifier. Les fumeurs sont, à son avis, conscients des conséquences du tabac. ‘’On est tous des majeurs. Ce n’est pas à l’Etat de nous dire d’arrêter, surtout par des images. Cela peut inquiéter ou gêner d’autres, mais pas moi. Beaucoup de gens fument parce qu’ils ont des soucis. Chacun a sa propre raison. Les problèmes sont plus sérieux que ces images. Il faut que l’on respecte le choix des populations’’, fulmine-t-il. Pour le moment, ce jeune fumeur ne compte pas arrêter. ‘’C’est parce qu’on est au mois du ramadan que j’ai diminué. Je ne fume que le soir. En plus, le lieu public n’appartient à personne. Pourquoi vouloir nous interdire de fumer dans ces lieux ? Je vous dis que d’ici 2020, cette loi ne sera jamais appliquée, parce qu’elle n’est pas bonne. Chacun est responsable de ses actes’’, peste M. Sarr.

Il est appuyé par son camarade Petit Fall. ‘’Qu’ils mettent des images partout ! Cela ne nous gêne pas. C’est ma vie et cela n’engage que moi. En tout cas, je n’ai jamais été interpellé par qui que ce soit, parce que je fume dans un lieu public. Il faut qu’on nous laisse vivre en paix. Nous allons tous mourir de quelque chose. Donc, ce débat n’a pas de sens’’, fustige ce jeune étudiant.

‘’La première fois que j’ai vu les images, j’ai cru avoir le cancer’’

Si pour d’aucuns les images n’ont aucun impact sur les fumeurs, cela n’est pas le cas pour d’autres. Alassane Diallo est étudiant à la faculté des Sciences. Depuis que les paquets de cigarettes ont été changés, il a commencé à en acheter au détail. ‘’J’achetais un paquet par jour que je terminais le lendemain. Mais, avec ces images qui apeurent, même si je veux le paquet, je demande au boutiquier de me mettre les barres dans un sachet ou de les enrouler sur du papier. Je suis plus à l’aise comme cela’’, explique-t-il. A l’en croire, les images coupent l’appétit des fumeurs et les découragent. ‘’La première fois que j’ai vu les images, j’ai cru automatiquement avoir le cancer. J’ai eu peur. J’en ai parlé avec un ami qui m’a conseillé d’arrêter la cigarette. Mais je ne sais pas comment faire’’, souligne M. Diallo. Cet étudiant veut arrêter, s’il a un bon suivi. ‘’Ma mère me dit tous les jours que je suis en train de me tuer à petit feu. J’en suis conscient et je vais arrêter’’, confie-t-il.

Lazare Mendy a arrêté de consommer du tabac, grâce aux images. Au début, explique-t-il, il a pensé qu’il n’allait jamais pouvoir arrêter. ‘’Un jour, j’ai demandé à ma petite sœur d’aller m’acheter du tabac. Elle a refusé sur instruction de ma mère. J’y suis allé moi-même. Quand le boutiquier m’a tendu le paquet, j’ai sursauté. Il m’a dit que c’étaient les nouveaux paquets. Automatiquement, mon envie a bizarrement disparu’’. A son retour à la maison, il a été tenté, à plusieurs reprises, de continuer à fumer. ‘’Quand l’envie de fumer me reprenait, je prenais un verre d’eau citronnée. Je l’ai fait pendant deux mois. Aujourd’hui, j’ai tourné définitivement cette page’’, soutient Lazare qui conseille à ses camarades d’arrêter, parce que le tabac est nuisible.

Selon le coordonnateur du programme national de lutte contre le tabac (pnlt), Docteur Oumar Ba, l’application de la loi antitabac est un processus qui appelle un changement de comportements. Cette application, poursuit-il, ne se fait pas en un seul jour. ‘’A la veille de la sortie des décrets d’application de la loi antitabac, il n’y a pas eu de panneaux publicitaires sur le tabac. L’interdiction de fumer dans les lieux publics de même que les autres aspects de la loi sont en cours. C’est un processus lent. Mais, il n’y a aucun blocage’’, a précisé Dr Bâ, lors d’une rencontre avec la presse, en prélude à la journée mondiale de la lutte contre le tabac prévue aujourd’hui.

VIVIANE DIATTA

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