Publié le 21 Aug 2017 - 19:56
ASSEMBLEE GENERALE DE L’UMS

Les coulisses d’une révolution

 

Samedi 19 août 2017, voilà une date qui restera à jamais dans les annales de l’Union des magistrats sénégalais. Loin de la capitale et de son bruit infernal, loin des salles d’audience et de leur ambiance stressante, les magistrats se sont retirés à Saly, pour tenir leur assemblée générale. Une véritable séance d’exorcisme de la magistrature. L’indépendance de la Justice, le statut des magistrats, le Conseil supérieur de la magistrature…  Aucun sujet n’a été laissé en rade. Mais le moment fort est sans aucun doute l’élection d’un nouveau président de la structure. Magatte Diop cède sa place à Souleymane Téliko, après seulement un mandat.

 

C’est un grand jour. Les magistrats sont venus de tous les coins et recoins du Sénégal pour participer au ‘’ndeup’’ (séance d’exorcisation) de leur profession. L’enjeu justifie leur intérêt. Au-delà des grandes problématiques qui assaillent la magistrature. Ils doivent aussi choisir ceux qui seront chargés de défendre leurs intérêts pour les deux prochaines années. Les magistrats ne veulent plus du bureau sortant qu’ils accusent d’être à la solde de l’Exécutif. Ils ont tenu à le manifester avec beaucoup d’abnégation. La preuve par le résultat du vote : Souleymane Téliko arrive largement en tête avec 125 voix. Magatte Diop, président sortant, a juste 77 voix. Contre toute attente, Marième Diop Guèye, la grande ‘’inconnue’’ de ses collègues, qui a fait une belle campagne, récolte le score honorable de 41 voix.

Mais comme ce fut âpre ! Pendant un moment, on a cru qu’il ne restait que deux candidats. Certains pensaient que la ‘’dame de fer’’ Marième Diop Guèye s’était retirée de la course pour rejoindre Souleymane Téliko dans sa ‘’Coalition And Suxali Justice’’, rapportent nos sources qui n’ont manqué aucun détail. La magistrate, poursuit-on, a dû se lever et lancer à haute voix : ‘’Président, moi aussi, je suis candidate. Il n’y a aucune coalition.’’

En effet, renseignent nos interlocuteurs, vers 17 h, lorsque le doyen Ousmane Diack, encadré de ses deux assesseurs, a indiqué que la tradition veut que le président sortant soit reconduit, s’il est candidat à sa propre succession, la salle a grondé. Le président de séance a dû appeler au calme : ‘’S’il vous plait, un peu de silence ! Je rappelle juste la tradition. Magatte Diop est candidat, est-ce qu’il y a un autre candidat ?’’, a-t-il alors demandé. Souleymane Téliko, dit-on, s’est levé et s’est dirigé vers le pupitre. ‘’Je suis le candidat de la Coalition And Suxali Justice’’. Ses partisans ont applaudi. Marième a pris un moment avant de rendre publique sa décision de se présenter.

L’admission des procurations, la pomme de discorde

Et la guerre des trois s’engagea avec opiniâtreté. Mais, au préalable, renseigne nos sources, le président Diack a fait cas des procurations qui avaient causé beaucoup de problèmes, ‘’lors de la dernière assemblée générale’’. Celles-ci avaient poussé à tenir un deuxième tour. Le président de rappeler que la décision avait été prise de ne plus accepter le vote par procuration, car on ne peut vérifier leur authenticité. Aussi, a-t-il décidé que ce mode de scrutin ne sera pas accepté. Cette décision, rapportent nos interlocuteurs n’a pas trouvé l’assentiment du candidat Souleymane Téliko qui a demandé le respect scrupuleux du règlement intérieur ou, à défaut, de soumettre la question à l’assemblée. Mais le président n’a rien voulu entendre.

Alors, il y a eu un vif débat dans la salle entre ceux qui étaient pour et ceux qui étaient contre la mesure. Devant la cohue, dit-on, Magatte Diop est allé prendre le micro et a lancé à ses adversaires que Souleymane Téliko a peur de se mesurer. Ajoutant que tous les magistrats étaient présents, il s’est montré provocateur. ‘’Vous avez toujours dit que je suis le candidat de la hiérarchie. Moi, je suis le candidat de ces gens-là, c’est pourquoi vous faites du dilatoire. Président, il faut passer au vote !’’, a-t-il lancé dans un tonnerre d’applaudissements de ses partisans. Mais nos sources rapportent que Souleymane Téliko a campé sur sa position.

Le temps passant, nos interlocuteurs renseignent que les esprits se sont échauffés. Ce qui a poussé le président à dire que certains tentent de perturber le scrutin. Il a alors fallu des conciliabules de plusieurs minutes qui n’ont rien donné, puis Ousmane Diack a décidé de passer outre et de continuer le processus électoral, au grand dam de Téliko et Cie. Il a alors invité la candidate Marième Diop Guèye à prendre la parole pour dix minutes et de s’adresser aux électeurs.

L’opération de ‘’charme’’ de Marième Diop Guèye

La magistrate, dit-on, a évité de prendre position dans le débat sur l’admission des procurations. Marième Diop Guèye, selon nos interlocuteurs, a fait honneur à tout ce qu’on dit d’elle : une dame ‘’belliqueuse, intraitable, mais très sincère’’. A ceux qui disent qu’ils ne la connaissent pas, elle a rétorqué que c’est pareil pour elle, mais que cela ne pouvait être un obstacle à ce qu’on vote pour elle. Avouant qu’elle ne connait pas la plupart des magistrats présents, elle a souligné que c’est la raison pour laquelle elle n’a pas pu faire une ‘’campagne serrée’’. Elle a laissé entendre : ‘’C’est parce que je ne peux pas et je n’aime pas parler de moi. Je n’ai pas fait une telle campagne, parce que je n’ai pas voulu vous faire des promesses. J’ai préféré attendre ce jour pour vous dire ce que je pense de l’UMS et de la corporation’’, rapportent nos sources.

Il faut dire que la dame a marqué des points. Son style décontracté, son verbe soigné et son ton puissant ont ravi la salle. Nos interlocuteurs renseignent qu’à un moment donné, elle a récolté des applaudissements. Puisqu’elle n’a pas épargné l’Exécutif : ‘’Le véritable problème de l’indépendance de la Justice, c’est qu’un beau jour, on vous annonce que vous êtes nommé quelque part. D’où vient ce choix ?’’, aurait-elle lancé.  La candidate de dire que c’est de là que provient ‘’la précarité’’ dans leur corps. Trouvant les mots pour parler à ses collègues, nos sources rapportent cette phrase qui a retenu l’attention : ‘’Les nominations, a-t-elle dit, sont faites selon la tête du magistrat, non de son mérite. Il faut y remédier, chers collègues.’’

D’ailleurs, à ce stade de son propos, elle a titillé, dit-on, ses collègues, leur reprochant de ne lui avoir rien demandé au cours des deux législatures qu’elle a faites au Conseil supérieur de la magistrature (CSM). Alors qu’elle n’a eu de cesse d’y défendre ses collègues. ‘’Vous n’exigez jamais rien aux membres du conseil. Ni aux collègues élus, encore moins à ceux qui sont nommés’’. La magistrate d’inviter ses pairs à avoir le réflexe de demander des comptes à leurs mandataires. Selon les confidences reçues, elle a lancé à la salle : ‘’En Conseil supérieur de la magistrature, le ministre disait qu’avec Marième, il ne peut rien faire. Le même ministre, quand des gens sont allés lui soumettre des problèmes, il leur a dit : ‘’Tant que vous n’aurez pas plusieurs Marième Guèye, vous n’aurez pas grand-chose.’’ Ce faisant, elle a demandé à revoir le fonctionnement du CSM, sinon, l’indépendance, selon elle, sera un vain mot. Au finish, la candidate a eu un score très honorable pour une ‘’inconnue’’.

Téliko a surfé sur la vague du désir d’indépendance des magistrats

Souleymane Téliko lui a succédé au présidium. Avec le calme et le sérieux qui le caractérisent, il s’est adressé, dit-on, au corps électoral dans un discours solennel. Lui également s’est offusqué du manque de transparence dans les procédures de nomination dans la magistrature. Nos interlocuteurs soulignent qu’il s’est montré offensif, notamment lorsqu’il a lancé : ‘’Du jour au lendemain, on peut être affecté pour nécessité du service. Devons-nous laisser cette pratique perdurer ? Non ! Nous n’avons pas ce droit. Il est temps que nous agissions pour l’intérêt supérieur de notre profession. Et la première chose à faire est de se débarrasser de cette équipe qui a montré ses limites.’’ Ensuite, il ne s’est pas privé d’attaquer le bilan du président Magatte Diop, tout en promettant de tout mettre en œuvre pour faire bouger les lignes, s’il est porté à la tête du syndicat des magistrats.

Magatte Diop

Attaqué de toutes parts, Magatte Diop ne s’est pas laissé faire, dit-on. Eloquent, combatif jusqu’au tapis, le président sortant a cogné à tout-va ses concurrents. Il les a, entre autres, attaqués sur leur manque d’expérience au sein de l’UMS. Soulignant que les deux autres candidats ne savent pas comment fonctionne la structure. Il a lancé quelques phrases qui ont retenu l’attention : ‘’L’indépendance, ce n’est pas une affaire de vedettariat’’ ; ou encore : ‘’Ils vont tout droit vers l’impasse, si vous les élisez. Ils n’auront même pas d’interlocuteurs. Car la justice, ce n’est pas du buzz.’’ Il a ensuite, poursuivent nos interlocuteurs, remercié le procureur de la République, Serigne Bassirou Guèye.

Pour mieux charmer les électeurs, il a, dit-on, promis que les terrains promis par l’Etat seront bientôt une réalité. ‘’Ce n’est pas un rêve’’, aurait-il dit. Avant de demander à ses pairs un délai de deux ans pour arriver à la généralisation de la retraite à 68 ans.

Malgré cela, les magistrats ont choisi Téliko.

Moins importante, l’élection des autres membres du Bureau exécutif de l’UMS n’a pas causé beaucoup de difficultés, rapportent encore nos sources. Après Souleymane Téliko, les magistrats ont désigné Mamadou Sékou Diouf, Khawsou Diop et Racky Dème, respectivement aux postes de vice-président, secrétaire général et trésorière générale. La dernière nommée, membre du bureau sortant, a sauvé l’honneur de l’ancienne équipe. Elle a pris le dessus sur Babacar Guèye.

Ce qui est une véritable consolation pour Magatte Diop qui ne s’est pas empêché de jubiler, selon nos interlocuteurs. Les autres élus sont : Mamadou Bassirou Ndiaye, SG Adjoint, Aliou Faye, SG à l’organisation. Les affaires sociales sont revenues à Fatou Bintou Cissokho qui s’adjuge le plus gros score de cette journée en laminant Aminata Clédor Ndiaye (152 contre 49). Le dernier poste est revenu à Cheikh Tidiane Youm. Il s’agit du poste de SG à la presse.

 

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