Publié le 25 May 2012 - 08:44

Assumons notre part de l’héritage politique commun !

 

Dans la marche d’un peuple, d’une nation, il arrive toujours des moments où la survie du projet collectif commande la prise en compte d’exigences nouvelles. Le Sénégal ne saurait, donc, échapper à cette dure loi de la nature pour s’être forgé le destin d’un havre de paix où le commun vouloir de vie est bien partagé. Au tournant de l’histoire politique de ces deux dernières décennies, nous avons assisté à l’émergence d’enjeux politiques majeurs cristallisés autour d’une ferme volonté populaire de rupture.

 

Cette quête d’une autre forme de gouvernance publique est, sans conteste, une des exigences fortes formulées par les populations avides de changement. Sa non prise en compte dans les programmes et projets politiques pourrait irrémédiablement conduire à un rejet voire un désaveu citoyen. La prégnance de cette demande citoyenne et sa délicatesse devraient inspirer plus de sagesse à la démarche des formations politiques. Pour cela, le contexte de la nouvelle alternance charrie suffisamment d’éléments éloquents pour indiquer la conduite à tenir. Au lieu de se défausser sur leurs rivaux et concurrents, les leaders politiques devraient, à tout le moins, se livrer pour une fois à ce bel exercice de patriotisme : placer les aspirations profondes des populations au cœur de leurs programmes. En faisant du citoyen le lieu de convergence des dividendes tirées de la démocratie et de l’Etat de droit, nos acteurs politiques pourraient, alors, se targuer d’être au service de l’homme tout court. Ainsi, pourraient-ils penser comme le Général De Gaule qui parlant de sa vision de l’Etat disait : «Le seul combat qui vaille c’est l’Homme». Cette générosité envers l’être humain est, d’ailleurs, ce sentiment qui doit habiter tout acteur en quête de charges publiques. Nous faut-il, alors, réaliser «le perfectionnement réel de l’humain dans l’homme» pour reprendre l’heureuse formule de Condorcet. En effet, rien, en dehors de ce défi majeur et primordial, ne saurait justifier l’engagement de l’homme dans et pour sa communauté. C’est pourquoi, il est à saluer le sursaut national autour de la question citoyenne, notamment de la bonne gouvernance. Cet élan doit être maintenu et renforcé, au besoin, afin que les espoirs de l’avènement d’un monde nouveau ne s’estompent. Il suffira que chacun joue son rôle en tout lieu et en toute responsabilité pour ressusciter et réhabiliter les valeurs pour lesquelles notre nation est respectée. Rater ce tournant est, assurément, fatal. Car, il est, dans la vie des hommes et des nations, des moments où chaque génération doit assumer sa part de l’héritage commun. Au bout du compte, c’est à un Sénégal réconcilié d’avec ses valeurs fondatrices que nous sommes appelés, chacun et tous, à bâtir.

 

Par ailleurs, cette trajectoire, qui pose la gouvernance vertueuse comme moyen de réalisation des fins utiles pour la société, devra nécessairement passer par le deuil de mœurs politiques souillées par une prolifération inacceptable de contre-valeurs. Les acteurs politiques, très souvent difficiles à faire entendre raison, doivent être encadrés voire recadrés par le biais d’une pédagogie du comportement. A cet égard, il faudrait encourager la veille citoyenne assurée par la société civile depuis plusieurs décennies avec à la clé un éveil de plus en plus grand de la conscience politique des populations. Une réelle avancée qui mérite d’être saluée. Cependant, convient-il de souligner que le combat pour le développement d’une culture de la bonne gouvernance est à intensifier à tous points de vue.

 

 

«Obligation de rendre compte»

 

A ce rythme où, de nouveaux acteurs ont investi l’espace public au nom d’un idéal démocratique articulé autour de la refondation des institutions pour une meilleure gouvernance, il urge pour les politiques de changer. En vérité, ils sont sommés d’accepter les mutations qu’impose un environnement mondialisé devenu hostile à la démagogie, rebelle à la transhumance politique et au parjure idéologique, excédé par les proportions inquiétantes de la corruption et préoccupé de l’avenir de «l’homme dévêtu» de ses honneurs par l’ivresse du pouvoir. Ce changement sonne, en effet, comme un couperet car les mandants, sous nos cieux comme ailleurs, semblent bien décidés à ne plus laisser-faire. L’obligation de Rendre compte étant ainsi érigée en devoir et l’impunité appelée à être rangée au rancart.

 

Fort de ces bouleversements qui rythment, désormais, la marche forcée de nos sociétés vers le règne du citoyen, l’espace politique doit nécessaire connaître une restructuration de divers ordres.

 

D’abord, le premier levier à actionner est celui de l’acteur politique perçu comme un suppôt de Satan et non comme un bâtisseur désintéressé de la cité. La perception dévalorisante de l’acteur politique s’est développée à partir des faiblesses accumulées au fil des ans sans qu’aucune volonté ne vienne en atténuer l’intensité. L’histoire récente ayant écarté la thèse de la fatalité, aujourd’hui, l’ambition est de favoriser l’émergence d’un acteur politique d’un genre nouveau incarnant, au plus haut point, les valeurs de la société et de la république. Ainsi, avec le jeu des mécanismes de contrôle citoyen, ne briguera plus des charges politiques et publiques qui veut. La vie publique s’en trouvera mieux rationalisée et plus saine.

 

Ensuite, le second levier d’importance est le parti en tant qu’appareil politique. Sclérosé comme modèle, il doit être refondé pour mieux structurer son action. Le retour à la primauté de l’idéologie aura l’avantage de mieux faire comprendre et correspondre la vision du monde au programme politique qui la réalise. Ceci est d’autant plus important que dans notre pays les hommes et les partis politiques semblent suivre la voie de la rente plus que celle de l’idéologie qui sert de cadre structurant. Aussi, apparaît-il important que le parti renoue avec la formation de ses militants. Il ne s’agit pas ici de les endoctriner mais d’éveiller leur conscience politique sur les enjeux et chantiers citoyens. Ainsi, longtemps considérés comme des partis électoralistes et opportunistes, ils pourront modifier positivement le regard que l’opinion porte sur leur vie politique.

 

 

«Combattre les démons»

 

Le dernier levier, enfin, porte sur les militants parce que ce sont eux qui ont effectivement adhéré au parti. Leur militantisme actif doit rompre avec la logique de « Panurge et ses moutons », donc de suivisme aveugle. Ils ont, désormais, un rôle à jouer pour que la démocratie et la bonne gouvernance soient érigées en principe dans leur propre parti politique. Les démons, que sont le clientélisme, l’exclusion, la dictature de parti, le refus de l’alternance, la pensée unique, la personnalisation et la patrimonialisation sous quelque forme que ce soit doivent être combattus sans relâche. La finalité d’une telle action est de faire en sorte que le parti politique devienne le creuset, un lieu d’apprentissage de la démocratie et de la bonne gouvernance politique mais aussi de l’esprit et de la lettre de la République. Car, on ne s’improvise pas démocrate. Et la démocratie désespère trop vite de nous. Toutefois, si les militants sont dignes d’intérêt, les sympathisants doivent être traités en faiseurs de roi. En vérité, ce sont eux qui votent pour le parti. A ce titre, ce dernier doit repenser ses modes de communication avec eux en vue d’établir une relation faite de confiance et de soutien permanent. C’est dire que le droit du sympathisant à être conforté dans ses convictions politiques mérite d’être respecté par les formations politiques.

 

Au total, une synergie forte, entre l’acteur politique, le parti et les militants, produira, à coup sûr, des effets améliorants. C’est en intégrant ces défis et urgences que les acteurs publics notamment politiques pourraient assumer leur part de l’héritage politique commun. Chaque génération porte sur elle la responsabilité de forcer les traits de la gloire commune ou de les avilir. Après les précurseurs qui ont écrit les premières pages de notre histoire politique à des moments où s’assumer n’était guère chose aisée, sonne à nouveau l’appel du devoir. L’entendre c’est agir en conséquence et donner la preuve que notre pays sait puiser dans son génie propre pour s’émanciper !

 

Dr. Elhadji Babacar MBENGUE

Politologue / Spécialiste Relations internationales

elhadjibabacarm@yahoo.fr

 

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