Publié le 1 Feb 2019 - 07:16
ATELIER SUR LA PROFESSION DE NOTAIRE

La grande offensive de la chambre

 

C’était parti pour une séance de partage et d’information entre la Chambre des notaires et les chroniqueurs judiciaires. Mais, très vite, l’actualité a pris le pas sur la volonté de former. Sans tabou, les notaires se sont prononcés, hier, sur des questions brûlantes telles : le Collectif des 22 notaires, les accusations de ‘’népotisme’’ dans la corporation. Même la traque des biens mal acquis n’a pas échappé au menu.

 

La riposte a certes tardé, mais elle a finalement eu lieu. Loin d’être douce, elle est foudroyante. Et creuse davantage le fossé entre la chambre et le Collectif des notaires de la première promotion du concours d’aptitude à la profession. Hier, pendant que les 22 ruminaient encore leur colère devant le palais de Justice de Dakar, les notaires, eux, profitaient d’un atelier de partage et d’information avec les chroniqueurs judiciaires pour porter la réplique. La présidente de la chambre, Aïssatou Sow Badiane, explique : ‘’C’est le décret 2002 portant statut des notaires qui a institué le concours d’aptitude au stage. Par la suite, il y a eu le 2009 qui prévoit le concours d’attribution de charge. Je pense que c’est la manière la plus démocratique qui soit. Eux, ils disent qu’ils ne veulent pas passer le concours (d’attribution). De quoi on a peur ?’’

Et comme pour ne rien arranger, la présidente, invoquant toujours les textes, ajoute une autre condition que doivent normalement remplir les stagiaires, à la croire. Il s’agit de l’examen pour disposer du diplôme d’aptitude. Elle déclare : ‘’A l’issue du stage, ils doivent subir un examen de sortie. En effet, pendant leur stage, ils ont pu acquérir des connaissances pratiques. C’est avec l’examen qu’on doit éprouver leurs connaissances pratiques du métier. C’est à l’issue de cet examen d’aptitude qu’ils sont déclarés aptes à remplir la fonction de notaire. Ce diplôme leur permet soit d’être associés dans les cabinets ; c’est mon cas, et ceux qui veulent disposer de leurs propres charges attendront la création de nouvelles charges pour postuler à un concours d’attribution. C’est ce que prévoient les textes en vigueur. Tout le monde doit s’y soumettre.’’

Par ailleurs, Mme Badiane informe que les personnes dans l’attente de leur décret de nomination sont au nombre de 40 et non les 22, comme pourraient le penser certains. ‘’Avant l’arrivée des 22, d’autres Sénégalais étaient déjà inscrits au registre. Aujourd’hui, ils ont les mêmes critères de diplôme et de stage. Ils ont des droits acquis. Ces derniers bénéficient même, en plus de remplir les mêmes conditions, de plus d’expérience dans le métier. Et ils attendent au même titre que les 22’’, renseigne la présidente. Qui ajoute : ‘’L’exercice de la profession ne se fait pas uniquement en étant attributaire de charge. Moi, je suis associée ; Daniel Senghor, Président honoraire de l’Union internationale du notariat, est un notaire associé ; le vice-président de la chambre, Me Aliou Ka, n’a pas non plus de charge à lui. Jean-Paul Sarr, Amadou Moustapha Ndiaye... Il y a également des notaires salariés.’’

Donc, à en croire les notaires, ce sont les 22 qui rechignent à respecter les règles. Pour Me Jean-Paul Sarr, ‘’lorsqu’on aspire à exercer un métier, on est censé connaitre ces règles-là. Les membres du collectif savaient, dès le départ, qu’ils devaient subir deux concours. Le premier, c’est celui d’aptitude au stage. Une fois qu’on est admis et subi le stage, on doit subir un concours d’attribution de charge, lorsque celle-ci est créée par les pouvoirs publics. C’est un problème de droit qui se pose à des gens chargés d’appliquer le droit, si demain ils sont notaires’’. Amadou Moustapha Ndiaye d’enfoncer le clou : ‘’Il y a des dispositions qui régissent notre profession, aussi bien sur le plan des statuts que sur le plan de la déontologie. Ces règles, comme dans toute profession règlementée, nous assujettissent à des devoirs envers nous-mêmes, envers la société, envers nos confrères. Comme dans toute profession règlementée, l’Etat a aussi l’obligation de protéger ces personnes auxquelles il a délégué une partie de ses compétences. Des protections qui sont liées à l’utilisation abusive du terme notaire…’’

Selon lui, c’est le Code pénal qui prévoit des sanctions contre toute personne qui se prévaut indument du titre de notaire. Dans une allusion à peine voilée, il prévient les 22 : ‘’Toute personne qui aura utilisé le terme ou la qualité de notaire peut être poursuivie en justice.  Si vous avez lu le texte, vous allez savoir qui peut se prévaloir de ce titre. Ce n’est pas tout le monde. Pour s’en prévaloir, il faut avoir été nommé par l’autorité de tutelle. De même, toute personne qui aura, par des manœuvres, des allusions, porté atteinte à l’honorabilité d’un notaire peut également être poursuivie, selon les dispositions du Code pénal.’’ Maître Aliou Ka de renchérir : ‘’Les notaires ne sont pas au-dessus des lois. Il est institué dans le statut des notaires deux organes de contrôle et de sanctions que sont le Conseil de discipline de la chambre et la Commission de discipline qui sont saisis en cas d’infraction aux règles de déontologie. Le propre de la profession est de prévenir le risque. Ce risque peut tout de même survenir. Le notaire concerné en assumera, dans ce cas, les conséquences. C’est évidemment possible pour la chambre de s’autosaisir et de les traduire devant le Conseil de discipline, ce que nous ne souhaitons pas jusqu’à aujourd’hui. C’est juste de mener un combat, mais il faut le faire dans les règles de l’art et le respect de la loi.’’

Pendant ce temps, la présidente tempère : ‘’Nos portes leur sont ouvertes. Nous sommes en contact permanent. De concert avec le ministère de la Justice et le président de la République qui sont les seuls à pouvoir créer des charges, si nous sommes consultés, nous donnerons nos points de vue.’’

Reprenant la parole, Amadou Moustapha Ndiaye rappelle, comme pour attester de leur disponibilité à accueillir les jeunes : ‘’Il faut savoir que pour qu’on puisse désigner un nombre de personnes pour participer au concours, c’est nous qui en exprimons le besoin. C’est nous qui les recrutions dans nos offices, qui les payions en tant que collaborateurs. Il y a donc un lien de subordination entre eux et nous. On les considère comme nos jeunes frères, des neveux et nièces qui sont égarés ou qui sont dans une situation de doute. Mais on ne désespère pas de les ramener sur le droit chemin. Moi, personnellement, je leur parle souvent. Je les appelle donc à la raison.’’

Le président honoraire de l’Union internationale du notariat, Daniel Senghor, a, lui, mis l’accent sur la corrélation étroite entre l’évolution de l’activité économique et celle des charges. L’auteur du livre ‘’Notariat sénégalais’’ précise : ‘’La création de nouvelles charges doit toujours procéder d’une analyse de l’activité économique… Exemple : la troisième charge qui a été créée au Sénégal l’a été à Rufisque. C’était en 1925. Par la suite, elle a été supprimée en 1932, à la suite du déplacement du négoce de l’arachide du port de Rufisque vers celui de Dakar et de la chute de l’activité économique. L’autorité régule donc en fonction d’analyses économiques des besoins. Ainsi, elle décide soit de la création de charges soit de la suppression. Il en a toujours été ainsi.’’

Daniel Senghor : ‘’Il faut rendre l’intervention du notaire obligatoire dans les transactions liées au domaine national’’

Mais au-delà du débat conjoncturel, Me Senghor se jette sur les problèmes d’ordre structurel. ‘’La question qu’il faut se poser, estime-t-il, est de se demander pourquoi l’activité reste-t-elle confinée à 51 notaires, sans qu’on n’ait pu aller plus haut ? Il ne faut pas mettre la charrue avant les bœufs’’. Pour lui, il y a un réel besoin de sécurité juridique au Sénégal. ‘’Seulement 5 % du territoire national est cadastré ; 95 % relève du domaine national qui est inaliénable. Le notaire ne peut donc y intervenir. Et pourtant, tout le monde sait que les terres du domaine national se vendent tous les jours. C’est comme si l’on voulait que le citoyen soit privé de l’assistance dont il est en droit d’attendre du notaire’’.

Allant plus loin, le président honoraire rappelle que 90 % du contentieux judiciaire concerne les litiges fonciers et domaniaux. ‘’C’est dans les matières où le notaire n’intervient pas. Engageons un débat national, voyons qu’est-ce qu’on peut faire pour rendre obligatoire le recours au notaire dans ce domaine d’activité. Là, nous rendrons rentable l’exercice de la profession à Ourossogui, à Dagana, à Bakel… Mais on ne peut pas mettre la charrue avant les bœufs’’.

Les notaires ont, par ailleurs, botté en touche les accusations selon lesquelles les services notariés coûtent cher au Sénégal. Ils plaident pour un accroissement de l’assiette qui pourrait jouer sur une baisse plus importante des tarifs.

Tamaro Seydi sur la traque des biens mal acquis

Hier, aucune question n’a été laissée en rade. Sans tabou, les notaires se sont prononcés même sur les questions qui fâchent. A ceux qui, avec la traque des biens mal acquis, se demandaient à quoi sert maintenant les actes notariés, la présidente de la Chambre des notaires rétorque : ‘’Notre rôle est de pré-constituer des preuves. Ce qui s’est passé avec la traque des biens mal acquis, c’est un renversement de la charge de la preuve. On ne vous demande pas de prouver que vous êtes propriétaire. L’acte notarié suffit ; on vous demande de prouver autre chose. C’est vrai que c’est un frein, mais il ne nous appartient pas de faire ici la critique. Ce que nous pouvons dire, c’est que les notaires ont accompli selon les règles’’.

Maitre Tamaro Seydi, qui a comparu dans cette affaire en tant que témoin, de préciser : ‘’Dans la traque, on n’a pas remis en cause les actes qui ont été posés. Les actes que nous faisons sont des preuves et ils valent jusqu’à inscription de faux. Est-ce qu’il existait du faux ou pas ? Ce n’était pas de notre ressort. Ce sur quoi nous travaillons, ce sont les déclarations qui nous sont faites par les clients. A aucun moment ma responsabilité civile, professionnelle n’a été engagée. J’avais également répondu aux questions qui m’ont été posées. Qui a amené les actes ? Comment on a amené les actes ? Ça, vraiment, ce n’était pas du droit pour moi. Sincèrement.’’

Sur les accusations de népotisme, Aïssatou Sow précise : ‘’La charge n’appartient pas au notaire. C’est ce que disent les textes et nous le respectons. Il n’y a pas de profession plus démocratique et plus paritaire. Nous sommes 51 : 26 hommes et 25 dames.’’ Sur cette question, Daniel Senghor rappelle une anecdote : ‘’C’est une question qui m’interpelle, parce que moi-même j’en ai fait les frais. Au motif qu’on ne pouvait pas avoir deux membres de la même famille dans la même corporation, on m’a écarté de l’attribution d’une charge. Or, j’avais plus d’expérience que les deux autres concurrents réunis, plus de diplômes que les deux réunis.  C’était lors de la création de Dakar 6. Les jeunes ont donc de la chance.’’

Aïssatou Dior Diagne : ‘’Le pouvoir de destitution appartient à l’autorité publique’’

Les notaires ont également été interpellés sur le projet de décret en gestation au ministère de la Justice, ainsi que la création de 32 nouvelles charges. ‘’Les aspirants notaires sont très forts. Ils accèdent à des choses dont nous n’avons pas accès. Nous ne sommes pas consultés sur la création de 32 charges. Même chose pour le projet de décret. Comme nous ne sommes pas consultés, nous ne pouvons en parler’’, répond Mme Badiane. Me Senghor de renchérir : ‘’Il y a une réflexion Uemoa ; il est anticipé de parler de décret dans un tel contexte. Le Sénégal doit en tenir compte. D’autant plus que nos ambitions de développement passent par une intégration régionale.’’

Par ailleurs, les notaires se sont entièrement désolidarisés des actes d’Aïssatou Dior Diagne. Aux journalistes qui relevaient l’impunité dont bénéficie cette dernière, vu le nombre important de ses condamnations, la présidente réplique : ‘’Nous sommes 51 notaires. Vous ne nous parlez que d’un seul problème. Dans le cas d’Aïssatou Dior Diagne, il y a eu des mesures disciplinaires. Mais nous avons des limites. Le pouvoir de destitution ne nous incombe pas. Nous avons bien joué notre rôle. Dans certains pays, la chambre peut destituer. Nous, on n’a pas ce pouvoir. C’est à l’autorité qu’il revient de le faire. Nous compatissons. Parce qu’il y va de l’image de la profession. Nous ne protégeons pas ceux parmi nous qui seraient indélicats. Il n’y a pas d’impunité. Je vous rassure."

MOR AMAR

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