Publié le 16 Aug 2018 - 16:19
AVENIR DE LA GAUCHE SUR L’ECHIQUIER POLITIQUE

Quand les logiques individuelles priment sur l’intérêt collectif

 

Impliquée dans la gestion du pouvoir à partir de 2000, la gauche sénégalaise semble, aujourd’hui, perdre toute son homogénéité et abandonner ses idéaux pour garder des strapontins.

 

Le soutien que des formations politiques comme le Parti de l’indépendance et du travail (Pit), l’Alliance des forces de progrès (Afp), le Parti socialiste (Ps) et bien d’autres partis politiques ont décidé d’apporter à la candidature du président Macky Sall, en perspective de 2019, laisse perplexes certaines figurent emblématiques de la gauche sénégalaise. Selon le porte-parole de Yoonu Askan wi, il ne s’agit, ni plus ni moins, que d’une capitulation. ‘’Il s’agit de voir si ces partis ou organisations, qui soutiennent la candidature de Macky Sall, ont toujours foi ou pas au projet autonome de transformation sociale porté par la gauche depuis plusieurs décennies et pour lequel nous luttons’’, déclare d’emblée Madièye Mbodj, interpellé sur la question par ‘’EnQuête’’.

Pour cet ex-membre influent de And Jëf de Landing Savané, à travers ce soutien, il y a là, à la fois, une crise d’identité et une crise de perspective. ‘’Certains estiment que le projet pour lequel nous luttons, depuis plusieurs décennies, ne pourra plus se réaliser. Ils capitulent. C’est ça qui nous a fait rompre avec Aj/Pads. Quelque part, on estime que les perspectives sont bouchées et qu’aujourd’hui, la seule façon de faire de la politique est de s’allier à ceux qui sont au pouvoir. Pour d’autres, c’est une occasion de se faire des postes, des sinécures, ce que certains appellent ‘’la lutte des places’’, persifle-t-il, tout en se désolant de tous les sacrifices consentis jusqu’à maintenant pour assurer une véritable libération nationale et une véritable émancipation sociale.

Idéologisme contre réalisme

Si des partis comme le Ps, l’Afp et le Pit semblent résolument engagés à porter la candidature du président Macky Sall en 2019, la Ligue démocratique (Ld), elle, va plus loin. Les camarades de Nicolas Ndiaye, Secrétaire général intérimaire de la Ld, ont décidé d’investir le Président Macky Sall, à l’occasion de leur 8ème congrès ordinaire prévu les 13 et 14 octobre prochain.

‘’Le Bureau politique de la Ld  a retenu l’investiture du candidat de la coalition BBY au 8ème congrès ordinaire du parti. Il réitère son engagement à renforcer l’unité et la cohésion de la Ld ainsi que de la coalition BBY, et l’implication sans faille de tous les militants du parti dans toutes les tâches politiques et organisationnelles du moment’’, déclarent les ‘’Jallarbistes’’ à l’issue de leur réunion du Bureau politique tenue samedi 11 août à Dakar. Dans la résolution ayant sanctionné cette réunion, Nicolas Ndiaye et ses camarades ont également décidé d’accompagner le processus de la collecte des parrainages des militants et des sympathisants du parti en faveur du candidat de BBY.

Ces engagements pris, le porte-parole de la Ld estime que vouloir coûte que coûte présenter un candidat à partir d’une base idéologique, sans tenir compte du contexte et des enjeux, c’est faire preuve d’idéologisme, de rigidité et de dogmatisme. ‘’Pour nous, la politique, c’est aussi l’art d’avoir l’intelligence des situations’’, déclare-t-il Avant d’ajouter qu’en tant que militants de gauche mobilisés depuis de longues années pour le plein épanouissement de l’humain, ils sont sensibles aux efforts du pouvoir actuel en faveur de la réduction des inégalités sociales et territoriales.

‘’Les bourses de sécurité familiale, la couverture maladie universelle, la maîtrise de l’inflation depuis 2012, toutes les mesures en faveur des travailleurs et des retraités, l’électrification et l’adduction en eau potable des zones rurales et leur désenclavement, entre autres, prouvent, à suffisance, que les politiques publiques en cours répondent, en partie, à nos aspirations en tant que force de gauche’’, souligne-t-il.

‘’C’est un soutien qui se fonde sur des intérêts tout à fait personnels’’

Quoi qu’il en soit, estime Amadou Ka, le soutien de ces partis à la candidature du Président Macky Sall ne devrait surprendre personne. ‘’Ce n’est pas un phénomène qu’on peut considérer comme inattendu, parce que dans mon ouvrage que j’ai intitulé ‘’De la lutte des classes à la bataille des places, le tragique destin de la gauche sénégalaise’’, je relevais déjà que c’est un soutien qu’on doit pouvoir comprendre. Parce que ce n’est pas un soutien qui se fonde sur une affinité idéologique ou bien sur une affinité programmatique. Mais c’est un soutien qui se fonde sur des intérêts tout à fait personnels’’, souligne l’enseignant-chercheur en science politique à l’Université Gaston Berger de Saint-Louis. Pour lui, ce qui se passe avec les différents soutiens apportés au Président Macky Sall, s’intègre carrément dans le processus de faillite de la gauche qui a commencé depuis quelques années. D’ailleurs, il croit dur comme fer que ce qui est en train de se passer n’est qu’une étape dans ce processus. Certains allant même jusqu’à pronostiquer la mort programmée de cette idéologie.

‘’Les vraies valeurs de gauche ne disparaîtront jamais’’

Mais pour Madièye Mbodj de Yoonu Askan wi, malgré les tentatives d’élimination, les vraies valeurs de gauche ne mourront jamais, tant qu’il y aura l’exploitation de l’homme par l’homme, la domination et l’oppression. ‘’Pendant qu’il y a des forces qui meurent, il y a d’autres qui surgissent. Cela s’est toujours passé comme ça dans l’histoire. Quand on est apparu dans les années 68, on a dit que nous étions la nouvelle gauche. Cela veut dire que, quelque part, il y avait une ancienne gauche qui avait fait son temps. Aujourd’hui, il y a une certaine gauche qui a fait son temps, qui n’y croit plus. Il y a d’autres forces qui émergent qui peuvent ne pas s’appeler gauche, parce que le terme en lui-même n’est pas important. C’est : qu’est-ce qu’on porte comme valeur, projet, progrès et transformation sociale’’ ? souligne-t-il.

‘’La gauche existera tant que l’égalité n’est pas assurée, tant que les conditions de vie ne seront pas transformées. Elle est une exigence qui ne disparaîtra jamais ; mais telle qu’on la connaît, depuis les indépendances jusqu’à maintenant, va disparaître. Parce que ce n'est plus des gens qui s’inscrivent dans des dimensions qui ont à voir avec les intérêts collectifs’’, rétorque Amadou Ka.

Abondant dans le même sens, Moussa Sarr estime que la gauche, c’est des valeurs d’humanisme, de progrès, de paix, de justice sociale et de solidarité. Sous ce rapport, les valeurs qui fondent son action politique sont pérennes et nourriront toujours la quête des hommes vers le mieux-être. Allant plus loin, Madièye Mbodj relève que, dans ce pays, il y a de nouvelles générations de patriotes anti-impérialistes qui croient effectivement en la nécessité pour notre pays de se libérer totalement de l’emprise impérialiste ‘’pour une vraie indépendance nationale et une vraie souveraineté populaire portées autour d’un projet alternatif de développement autonome, endogène’’.

Pour lui, ‘’ce sont ces forces anti-impérialistes, patriotiques, panafricanistes, porteuses de rupture avec le système en place depuis 1963, depuis que Senghor a évincé Mamadou Dia. C’est ce même système  qui est reproduit sous Diouf, Wade et sous Macky Sall’’. Toutefois, remarque Amadou Ka, même s’il y a des partis qui continuent toujours à croire à l’idéal révolutionnaire de gauche et qui, malheureusement, n’ont pas encore les moyens ou qui sont en train de se battre pour constituer un bloc de gauche, il faut s’écarter des enjeux électoraux, c’est-à-dire ne jamais créer un parti avec uniquement comme objectif de participer à la prochaine élection présidentielle et aux prochaines élections législatives. Aussi de l’avis de l’enseignant en science politique, pour relancer la gauche, il faudrait que les gens se débarrassent de tout ce qui est addiction au pouvoir et qu’ils puissent avoir le courage de mener des combats. Vaste programme !

ASSANE MBAYE

 

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